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poifon fubfifte encore. Tous les hommes doivent fe tenir fur leurs gardes ; et s'il eft quelques médecins, ils doivent chercher les remèdes qui peuvent détruire les principes de la mortalité univerfelle.

Il fe peut encore que les formes de la jurisprudence ne permettent pas que la requête des Sirven foit admise au confeil du roi de France, mais elle l'est par le public; ce juge de tous les juges a prononcé. C'est donc à lui que nous nous adressons ; c'est d'après lui que nous allons parler.

Exemples du fanatisme en général.

LE genre humain a toujours été livré aux erreurs: toutes n'ont pas été meurtrières. On a pu ignorer que notre globe tourne autour du soleil ; on a pu croire aux difeurs de bonne aventure, aux revenans; on a

pu croire que les oiseaux annoncent l'avenir, qu'on enchante les ferpens, que l'on peut faire naître des animaux bigarrés, en préfentant aux mères des objets diversement colorés ; on a pu fe perfuader que dans le décours de la lune la moëlle des os diminue, que les graines doivent pourrir pour germer, &c. Ces inepties au moins n'ont produit ni persécutions, ni difcordes, ni meurtres.

Il eft d'autres démences qui ont troublé la terre, d'autres folies qui l'ont inondée de fang. On ne fait point affez, par exemple, combien de miférables ont été livrés aux bourreaux par des juges ignorans qui les condamnèrent aux flammes tranquillement et fans fcrupule, fur une accufation de forcellerie. Il n'y a

point eu de tribunal dans l'Europe chrétienne qui ne fe foit fouillé très-fouvent par de tels affaffinats juridiques, pendant quinze fiècles entiers; et quand je dirai que parmi les chrétiens il y a eu plus de cent mille victimes de cette jurifprudence idiote et barbare, et que la plupart étaient des femmes et des filles innocentes, je ne dirai pas encore affez.

Les bibliothèques font remplies de livres concernant la jurisprudence de la forcellerie; toutes les décifions de ces juges y font fondées fur l'exemple des magiciens de Pharaon, de la pythoniffe d'Endor, des poffédés dont il eft parlé dans l'évangile, et des apôtres envoyés expressement pour chaffer les diables des corps des poffedés. Perfonne n'ofait feulement alléguer, par pitié pour le genre humain, que DIEU a pu permettre autrefois les poffeffions et les fortiléges, et ne les permettre plus aujourd'hui. Cette diftinction aurait paru criminelle; on voulait abfolument des victimes. Le chriftianisme fut toujours fouillé de cette abfurde barbarie; tous les pères de l'Eglife crurent à la magie: plus de cinquante conciles prononcèrent anathême contre ceux qui fefaient entrer le diable dans le corps des hommes par la vertu de leurs paroles. L'erreur universelle était facrée ; les hommes d'Etat qui pouvaient détromper les peuples n'y pensèrent pas ; ils étaient trop entraînés par le torrent des affaires; ils craignaient le pouvoir du préjugé ; ils voyaient que ce fanatisme était né du sein de la religion même ; ils n'ofaient frapper ce fils dénaturé, de peur de bleffer la mère ils aimèrent mieux s'expofer à être euxmêmes les efclaves de l'erreur populaire que la combattre.

Les princes, les rois ont payé chèrement la faute qu'ils ont faite d'encourager la fuperftition du vulgaire. Ne fit-on pas croire au peuple de Paris que le roi Henri III employait les fortiléges dans fes dévotions? et ne fe fervit-on pas long-temps d'opérations magiques pour lui ôter une malheureuse vie que le couteau d'un jacobin trancha plus furement que n'eût fait tout l'enfer évoqué par des conjurations?

Des fourbes ne voulurent-ils pas conduire à Rome Marthe Broffier la poffédée, pour accuser Henri IV, au nom du diable, de n'être pas bon catholique? Chaque année, dans ces temps à demi-fauvages, auxquels nous touchons, était marquée par de femblables aventures. Tout ce qui reftait de la ligue à Paris ne publia-t-il pas que le diable avait tordu le cou à la belle Gabrielle d'Eftrées?

On ne devrait pas, dit-on, reproduire aujourd'hui ces hiftoires fi honteufes pour la nature humaine. Et moi je dis qu'il en faut parler mille fois, qu'il faut les rendre fans ceffe préfentes à l'efprit des hommes. Il faut répéter que le malheureux prêtre Urbain Grandier fut condamné aux flammes par des juges ignorans et vendus à un miniftre fanguinaire. L'innocence de Grandier était évidente, mais des religieufes affuraient qu'il les avait enforcelées, et c'en était affez. On oubliait DIEU pour ne parler que du diable. Il arrivait néceffairement que les prêtres ayant fait un article de foi du commerce des hommes avec le diable, et les juges regardant ce prétendu crime comme auffi réel et auffi com. mun que le larcin, il fe trouva parmi nous plus de forciers que de voleurs.

Une

Une mauvaise jurifprudence multiplie les crimes.

CE furent donc nos rituels et notre jurisprudence, fondée fur les décrets de Gratien, qui formèrent en effet des magiciens. Le peuple imbécille difait : Nos prêtres excommunient, exorcifent ceux qui ont fait des pactes avec le diable; nos juges les font brûler : il est donc très-certain qu'on peut faire des marchés avec le diable: or, fi ces marchés font fecrets, fi Belzebuth nous tient parole, nous ferons enrichis en une feule nuit; il ne nous en coûtera que d'aller au fabbat; la crainte d'être découverts ne doit pas l'emporter fur l'efpérance des biens infinis que le diable peut nous faire. D'ailleurs Belzebuth, plus puisfant que nos juges, nous peut fecourir contre eux. Ainfi raisonnaient ces miférables; et plus les juges fanatiques allumaient de bûchers, plus il fe trouvait d'idiots qui les affrontaient.

Mais il y avait encore plus d'accufateurs que de criminels. Une fille devenait-elle groffe fans que l'on connût fon amant, c'était le diable qui lui avait fait un enfant. Quelques laboureurs s'étaient-ils procuré par leur travail une récolte plus abondante que celle de leurs voifins, c'eft qu'ils étaient forciers; l'inquifition les brûlait et vendait leur bien à fon profit. Le pape déléguait dans toute l'Allemagne et ailleurs des juges qui livraient les victimes au bras féculier; de forte que les laïques ne furent trèslong-temps que les archers et les bourreaux des prêtres. Il en eft encore ainfi en Espagne et Portugal.

Politique et Légif. Tome II.

S

Plus une province était ignorante et groffière, plus l'empire du diable y était reconnu. Nous avons un recueil des arrêts rendus en FrancheComté contre les forciers, fait en 1607, par un grand juge de Saint-Claude, nommé Boguel, et approuvé par plufieurs évêques. On mettrait aujourd'hui dans l'hôpital des fous un homme qui écrirait un pareil ouvrage mais alors tous les autres juges étaient auffi cruellement infenfés que lui. Chaque province eut un pareil regiftre. Enfin, lorfque la philofophie a commencé à éclairer un peu les hommes, on a ceffé de pourfuivre les forciers, et ils ont difparu de la terre.

Des parricides.

J'OSE dire qu'il en est ainfi des parricides. Que les juges du Languedoc ceffent de croire légèrement que tout père de famille proteftant commence par affaffiner fes enfans, dès qu'il foupçonne qu'ils ont quelque penchant pour la créance romaine, et alors il n'y aura plus de procès de parricides. Ce crime eft encore plus rare en effet que celui de faire un pacte avec le diable; car il fe peut que des femmes imbécilles, à qui leur curé aura fait accroire dans fon prône qu'on peut aller coucher avec un bouc au fabbat, conçoivent par ce prône même l'envie d'aller au fabbat et d'y coucher avec un bouc. Il eft dans la nature que s'étant frottées d'onguent, elles rêvent pendant la nuit qu'elles ont eu les faveurs du diable: mais il n'eft pas dans la nature que les pères et les mères égorgent leurs

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