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nos amis devait être du fouper, il nous aurait aidés, mais nous nous pafferons bien de lui?

Cet excès de démence ne pouvait fe foutenir plus long-temps; cependant le rapporteur fut d'avis de condamner Lavaisse au banniffement; tous les autres juges, à l'exception du fieur Darbou, s'élevèrent

contre cet avis.

Enfin, quand il fut queftion de la fervante des Calas, le rapporteur opina à son élargissement, en faveur de fon ancienne catholicité; et cet avis passa tout d'une voix.

Serait-il poffible qu'il y eût à présent dans Toulouse des juges qui ne pleurassent pas l'innocence d'une famille ainfi traitée? Ils pleurent, fans doute, et ils rougiffent; et une preuve qu'ils fe repentent de cet arrêt cruel, c'eft qu'ils ont pendant quatre mois refufé la communication du procès, et même de l'arrêt, à quiconque l'a demandée.

Chacun d'eux fe dit aujourd'hui dans le fond de fon cœur : " Je vois avec horreur tous ces préjugés, "toutes ces fuppofitions qui font frémir la nature " et le fens commun. Je vois que par un arrêt j'ai , fait expirer fur la roue un vieillard qui ne pouvait " être coupable; et que par un autre arrêt j'ai mis

hors de cour tous ceux qui auraient été néceffai,, rement criminels comme lui, fi le crime eût été "poffible. Je fens qu'il eft évident qu'un de ces

arrêts dément l'autre ; j'avoue que fi j'ai fait ,, mourir le père fur la roue, j'ai eu tort de me ,, borner à bannir le fils, et j'avoue qu'en effet j'ai ,, à me reprocher le banniffement du fils, la mort effroyable du père, et les fers dont j'ai chargé

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, une mère respectable et le jeune Lavaiffe pendant

,, fix mois.

"Si nous n'avons pas voulu montrer la procé,, dure à ceux qui nous l'ont demandée, c'eft qu'elle " était effacée par nos larmes; ajoutons à ces larmes

la réparation qui eft due à une honnête famille " que nous avons précipitée dans la défolation et ,, dans l'indigence; je ne dirai pas dans l'opprobre, ,, car l'opprobre n'eft pas le partage des innocens; ,, rendons à la mère le bien que ce procès abomi‚ nable lui a ravi. J'ajouterais, demandons - lui " pardon; mais qui de nous oferait foutenir fa " présence?

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,, Recevons du moins des remontrances publiques, , fruit lamentable d'une publique injustice; nous en ,, fefons au roi, quand il demande à fon peuple des fecours abfolument indifpenfables pour défendre " ce même peuple du fer de ses ennemis; ne foyons ,, pas étonnés que la terre entière nous en fasse,quand "nous avons fait mourir le plus innocent des ,, hommes; ne voyons-nous pas que ces remontrances font écrites de fon fang?

Il est à croire que les juges ont fait plufieurs fois en fecret ces réflexions. Qu'il ferait beau de s'y livrer! et qu'ils font à plaindre fi une fauffe honte les a étouffées dans leur cœur !

DECLARATION JURIDIQUE

De ia fervante de madame Calas, au fujet de la nouvelle calomnie qui perfecute encore cette vertueufe famille. (6)

L'AN 1767, le dimanche, 29 mars, trois heures de relevée, nous Jean-François Hugues, conseiller du roi, commiffaire enquêteur, examinateur au châtelet de Paris, fur la réquifition qui nous a été faite de la part de Jeanne Viguière, ci-devant domeftique des fieur et dame Calas, de nous tranfporter au lieu de fon domicile, pour y recevoir fa déclaration fur certains

(6) En 1767, la fervante catholique de l'infortuné Calas s'étant caffé la jambe, les zélés imaginèrent de répandre le bruit qu'elle était morte des fuites de fa chute, et qu'elle avait déclaré en mourant que fon maître était coupable du meurtre de fon fils. Ce bruit fut adopté avidement par les pénitens et le refte de la populace de Toulouse. Freron, dont la plume était vendue à toutes les calomnies que l'esprit de fanatisme avait intérêt d'accréditer, inféra cette nouvelle dans fes feuilles périodiques. Il'importait de la détruire, non-feulement pour l'honneur de la famille de Calas, mais pour fauver celle de Sirven, qui demandait alors juftice contre un jugement également ridicule et inique, que le fanatifme avait inspiré à un juge imbécille.

Cette anecdote eft une preuve de ce que le faux zèle ofe fe permettre, de la baffeffe avec laquelle les infectes de la littérature fe prêtent à ces infames manœuvres, de ce qu'enfin on aurait à craindre, même dans notre fiècle, fi le zèle éclairé qui anime les amis de l'humanité pouvait ceffer un moment d'avoir les yeux ouverts fur les crimes du fanatifme, et les manœuvres de l'hypocrisie.

Nous avons cru devoir joindre ici cette déclaration aux autres pièces relatives à l'affaire des Calas: elle eft également néceffaire, et pour compléter cette funefte hiftoire, et pour montrer que c'est moins à l'erreur perfonnelle des juges, qu'à l'atrocité de l'efprit perfécuteur qu'il faut attribuer le meurtre de ce père infortunė.

faits, nous nous fommes en effet transporté, rue neuve et paroiffe Saint-Eustache, en une maifon appartenante à M. Langlois, confeiller au grand confeil, dont le troisième étage eft occupé par la dame veuve du fieur Jean Calas, marchand à Toulouse; et étant monté chez ladite dame Calas, elle nous a fait conduire dans une chambre au quatrième étage, ayant vue sur la rue, où étant parvenu nous avons trouvé ladite Jeanne Viguière dans fon lit, par l'effet de la chute dont va être parlé, ayant une garde à côté d'elle, que nous avons fait retirer; laquelle Jeanne Viguière, après ferment par elle fait et prêté en nos mains de dire la vérité, nous a dit et déclaré que, le lundi, 16 février dernier, fur les quatre heures après midi, étant fortie pour aller rue Montmartre, elle eut le malheur de tomber dans ladite rue, et de fe caffer la jambe droite; que plufieurs perfonnes étant accourues à son secours, elle fut transportée fur le champ chez ladite dame Calas, fon ancienne maîtreffe, où elle a toujours confervé fa demeure depuis qu'elle eft à Paris, laquelle envoya chercher le fieur Botentuit oncle, maître en chirurgie, qui lui remit la jambe; que ladite dame Calas lui a donné une garde, qui eft celle qui vient de fe retirer, laquelle ne l'a point quittée depuis cet accident; que le fieur Botentuit a continué de venir lui donner les foins dépendans de fon état, lefquels ont été si heureux qu'elle n'a eu aucun accès de fièvre, qu'elle eft actuellement à fon quarante-unième jour, fans qu'il lui foit furvenu aucun autre accident; qu'elle a reçu de ladite dame Calas tous les fecours qu'elle pouvait efpérer d'une ancienne maîtreffe, dont elle a éprouvé dans tous les temps mille marques de

bonté; qu'elle a appris avec la plus grande furprise qu'on avait débité dans le monde qu'elle, Jeanne Viguière, était morte, et que dans fes derniers momens elle avait déclaré devant notaires qu'étant chez le feu hieur Jean Calas, fon maître, elle avait embraffé la religion proteftante; et que, par un prétendu zèle, pour cette religion, elle avait, conjointement avec ledit fieur Calas, fa famille, et le fieur Lavaiffe, donné la mort à Marc-Antoine Calas; qu'enfuite ayant été conftituée prisonnière, elle avait feint d'être toujours catholique, afin de n'être point foupçonnée de fauver sa vie, et, par fon témoignage, celle de tous les autres accuses; mais que, fe trouvant au moment de mourir, elle était rentrée dans les fentimens de la foi catholique, et qu'elle s'était crue obligée de déclarer la vérité qu'elle avait cachée, dont elle était, dit-on, fort repentante.

Que pour arrêter les fuites que pourrait avoir cette imposture, ladite Jeanne Viguière a cru devoir recourir à notre ministère, et requérir notre transport, pour nous déclarer, comme elle le fait préfentement en fon ⚫ame et conscience, que rien n'eft plus faux que le bruit dont elle vient de nous rendre compte; que fon accident ne l'a jamais mise dans aucun danger de mort, mais que, quand cela aurait été, elle n'aurait jamais fait la déclaration qu'on ofe lui attribuer, puifqu'il eft vrai, ainfi qu'elle l'a toujours foutenu et qu'elle le foutiendra jufqu'au dernier inftant de fa vie, que ledit feu fieur Jean Calas, la dame fon époufe, le fieur Jean-Pierre Calas, et le fieur Lavaiffe n'ont contribué en aucune manière à la mort de MarcAntoine Calas; qu'elle fe croit même obligée de nous déclarer que le feu fieur Jean Calas était moins capable

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