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CE QU'ON POURRAIT FAIRE.

LAISSER 2

AISSER aller le monde comme il va, faire fon devoir tellement quellement, et dire toujours du bien de monfieur le prieur, eft une ancienne maxime de moine; mais elle peut laiffer le couvent dans la médiocrité, dans le relâchement et dans le mépris. Quand l'émulation n'excite point les hommes, ce font des ânes qui vont leur chemin lentement, qui s'arrêtent au premier obstacle, et qui mangent tranquillement leurs chardons, à la vue des difficultés dont ils ferebutent; mais aux cris d'une voix qui les encourage, aux piqûres d'un aiguillon qui les réveille, ce font des courfiers qui volent et qui fautent au-delà de la barrière. Sans les avertiffemens de l'abbé de Saint-Pierre, les barbaries de la taille arbitraire ne feraient peutêtre jamais abolies en France. Sans les avis de Locke, le défordre public dans les monnaies n'eût point été réparé à Londres. Il y a fouvent des hommes qui fans avoir acheté le droit de juger leurs femblables; aiment le bien public, autant qu'il eft négligé quel quefois par ceux qui acquièrent, comme une métairie, le pouvoir de faire du bien et du mal.

Un jour à Rome, dans les premiers temps de la république, un citoyen dont la paffion dominante était le défir de rendre fon pays floriffant, demanda à parler au premier conful; on luidit que le magistrat

était à table avec le préteur, l'édile, quelques fénateurs, leurs maîtreffes et leurs bouffons; il laiffa entre les mains d'un des efclaves infolens qui fervaient à table un mémoire, dont voici à peu-près la teneur: ,, Puisque les tyrans ont fait par toute la terre le mal ?, qu'ils ont pu, ô vous qui vous piquez d'être bons, " pourquoi ne faites-vous pas tout le bien que vous ❞ pouvez faire? D'où vient que les pauvres affiégent " vos temples et vos carrefours, et qu'ils étalent une " misère inutile à l'Etat, et honteufe pour vous, dans , le temps que leurs mains pourraient être employées 9 aux travaux publics? Que font pendant la paix ,, ces légions oifives qui peuvent réparer les grands

chemins et les citadelles? Ces marais, fi on les defféchait, n'infecteraient plus une province, et , deviendraient des terres fertiles. Ces carrefours, irréguliers et dignes d'une ville de barbares, peuvent fe changer en places magnifiques: ces marbres, entaffés fur le rivage du Tibre, peuvent être taillés ,, en statues, et devenir la récompense des grands hommes, et la leçon de la vertu; vos marchés ,, publics devraient être à la fois commodes et magni"fiques, ils ne font que mal-propres et dégoûtans; "vos maisons manquent d'eau, et vos fontaines " publiques n'ont ni goût ni propreté. Votre prin"cipal temple eft d'une architecture barbare; l'entrée "de vos fpectacles reffemble à celle d'un lieu infame; "les falles où le peuple fe raffemble pour entendre ,, ce que l'univers doit admirer, n'ont ni proportion, › ni grandeur, ni magnificence, ni commodité. Le "palais de votre capitale menace ruine, la façade ,, en est cachée par des mafures, et Moletus y a fa

,, maifon au milieu de la cour. (1) En vain votre paresse

me répondra qu'il faudrait trop d'argent pour ,, remédier à tant d'abus; de grâce donnerez-vous cet argent aux Maffagètes et aux Cimbres? Ne ferat-il pas gagné par des Romains, par vos architectes, par vos fculpteurs, par vos peintres, par "tous vos artistes? Ces artiftes récompenfés rendront ,, cet argent à l'Etat par les nouvelles dépenfes qu'ils

feront en état de faire; les beaux arts feront en 'honneur, ils feront à la fois votre gloire et votre "richesse; car le peuple le plus riche est toujours ,, celui qui travaille le plus. Ecoutez donc une noble " émulation, et que les Grecs, qui commencent à eftimer votre valeur et votre conduite, ne vous reprochent plus votre groffièreté.

On lut à table le mémoire du citoyen; le conful ne dit mot, et demanda à boire; l'édile dit qu'il y avait du bon dans cet écrit, et on n'en parla plus; la converfation roula fur la sève du vin de Falerne, fur le montant du vin de Cécube; on fit l'éloge d'un fameux cuifinier; on approfondit l'invention d'une nouvelle fauffe pour l'efturgeon; on porta des fantés, on fit deux ou trois contes infipides, et on s'endormit. Cependant le fénateur Appius, qui avait été touché en fecret de la lecture du mémoire conftruifit quelque temps après la voie Appienne; Flaminius fit la voie Flaminienne; un autre embellit le capitole; un autre bâtit un amphithéâtre; un autre des marchés publics. L'écrit du citoyen obfcur fut une femence qui germa peu à peu dans la tête des grands hommes.

(1) Lorfque M. de Voltaire revint à Paris, en 1778, il trouva les mafures détruites et la maifon de Moletus démolie.

DU PAPA

NICOLAS CHARISTESKI,

Prononcé dans l'églife de Sainte-Toléranski, village de Lithuanie, le jour de Sainte Epiphanie.

MES FRERES,

Nous fefons aujourd'hui la fête de trois grands rois, Melchior, Balthazar et Gafpard, lefquels vinrent tous trois à pied des extrémités de l'Orient, conduits par une étoile épiphane, et chargés d'or, d'encens et de myrrhe, pour les présenter à l'enfant JESUS. Où trouverons-nous aujourd'hui trois rois qui voyagent ensemble de bonne amitié avec une étoile, et qui donnent leur or à un petit garçon ?

S'il y a de l'or dans le monde, ils fe le difputent tous, ils enfanglantent la terre pour avoir de l'or, et enfuite ils fe font donner de l'encens par mes confrères, qui ne manquent pas de leur dire à la fin de leurs fermons qu'ils font fur la terre les images du DIEU vivant.

Nous croyons, du moins dans ma paroiffe, que le DIEU vivant eft doux, pacifique, qu'il est également le père de tous les hommes, que dans le fond du cœur il ne leur veut aucun mal; qu'il ne les a point

formés pour être malheureux dans ce monde-ci, et damnés dans l'autre ; ainfi nous ne regardons comme images de DIEU que les rois qui font du bien aux hommes.

Que Moustapha me pardonne donc fi je ne puis le reconnaître pour image de DIEU. J'entends dire que cet homme, avec qui nous n'avions rien à démêler, s'eft avifé d'abord de violer le droit des gens, de mettre dans les fers un miniftre public qu'il devait refpecter, et qu'il a envoyé vers nos terres une troupe de brigands dévastateurs, n'ofant pas y venir luimême.

Je n'imaginerai jamais, mes frères, que DIEU et un turc fanguinaire et poltron fe reffemblent comme deux gouttes d'eau.

Mais ce qui m'étonne davantage, ce qui me fait dreffer à la tête le peu de cheveux qui me reftent, ce qui me fait crier Heli, Heli, Lamma Sanathani ou Laba Sanathani, ce qui me fait fuer fang et eau, c'eft que je viens de lire dans un manifefte de confédérés ou conjurés de Pologne, comme il vous plaira, ces propres paroles. (page 5.)

"La fublime Porte, notre bonne voisine et fidelle alliée, excitée par les traités qui la lient à la république et par l'intérêt même qui l'attache à la ,, conservation de nos droits, a pris les armes en notre faveur. Tout nous invite donc à réunir nos forces pour nous oppofer à la chute de notre 9 fainte religion. "

Ah! mes frères, en quoi cette Porte eft-elle fublime? C'eft la Porte du palais bâti par Conflantin, et ces barbares l'ont arrofée du fang du dernier des

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