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Qu'as-tu donc, ma fille? s'écria-t-il. Il me semble que tu as pleuré. Mauvaise préparation pour un bal.

Ce n'est rien, mon père, répondit Germaine. Nous avons été amenés, par la conversation, à remuer de vieux souvenirs...

De vieux souvenirs, à ton àge?

Oui, ne suis-je pas une vieille fille? des souvenirs qui m'ont causé un peu d'attendrissement, mais c'est passé. Seulement, je renonce au bal de lundi.

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Et je n'y renonce pas,

moi.

Oh! mon père, je vous en supplie! C'était moi qui avais cu cette idée... malencontreuse, et apparemment vous ne me forcerez pas à danser. Voyez cette corbeille, elle contient les débris de nos invitations. Je vous jure que je ne pourrais pas danser lundi.

Germaine ne parvint pas à se contraindre plus longtemps, elle fut saisie subitement d'une crise de larmes. Le comte regarda Gaston, qui était morne et baissait les yeux.

- Mes enfants, dit-il, j'ai dérangé des confidences et je suis de trop ici. Je me retire, nous n'aurions d'ailleurs pas le temps des explications, si vous en aviez à donner à votre père, ce que je n'ai pas la prétention d'exiger. Savez-vous que nous déjeunons dans un quart d'heure?

On entendit en effet le premier son qui annonçait le déjeuner. Ah! mon Dieu, s'écria Germaine, et je suis à peine habillée, et je n'ai pas vu ma mère! Que vais-je lui dire? Mon père, je serai plus à l'aise avec vous, proposez-moi une promenade dans la journée, je vous raconterai tout, je demanderai vos conseils, mais, de grâce, pas un mot devant ma mère. Je saurai me contenir, être gaie peut-être, pourvu que vous me promettiez de tourner en plaisanterie ce caprice de bal, et d'être d'accord avec moi qu'il n'aura pas lieu. Je vous en conjure!

Et Germaine se jeta dans les bras de son père.

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Nous allons donc tous dissimuler? dit le comte. Intérieurement il ajouta : Ce ne sera pas la première fois.

Il sortit. Germaine aussi sortit précipitamment, en se contentant de serrer la main de son frère sans le regarder. Resté seul, Gaston eut à terminer à la hâte sa toilette. Il pensait à l'aventure dans laquelle s'était engagée imprudemment sa sœur, il pensait à Bernard de Rubelles... et il ne lui était pas interdit de penser qu'il n'avait rien su d'Estelle de Bessancourt.

La suite prochainement.

Alfred DE COURCY.

I.

LES FAITS ÉCONOMIQUES

ET LE MOUVEMENT SOCIAL

II. Le socialisme en Alle

La reprise des affaires en Amérique. magne, en Suisse, en Hollande, en Belgique. III. La grève de Vierzon et la prétention des syndicats à diriger les ateliers. IV. La vraie politique sociale. V. La limitation légale de la journée de travail au conseil municipal. VI. Le Congrès ouvrier international de Paris et la réglementation uniforme du travail dans le monde. — VII. La mine aux mineurs et les associations ouvrières de production. VIII. Les sociétés coopératives de consommation et le Congrès des œuvres ouvrières de Caen. IX. La question sociale en Angleterre. X. L'amélioration de la condition des classes ouvrières depuis un demi-siècle. — XI. La récolte de blé dans les divers pays. - XII. Le Transcontinental asiatique

russe.

I.

C'est d'Amérique que nous viennent les symptômes favorables pour une reprise des affaires.

Dans toutes les branches de l'industrie, l'on signale une activité remarquable et une hausse des prix succédant à la dépression des deux dernières années. A New-York, à Chicago, à Montréal, le loyer des capitaux circulant s'est relevé sensiblement par suite des demandes du commerce. La Banque d'Angleterre, pour empêcher son encaisse métallique de se vider par les envois de numéraire en Amérique, a relevé de 2 1/2 à 3 1/2 pour 100 le taux de l'escompte, et, comme elle n'a pas été suivie suffisamment encore par le marché libre, on s'attend à de nouvelles mesures de sa part pour protéger son encaisse. Le monde commercial augure d'autant mieux de ces symptômes que l'intérêt des capitaux engagés à long terme, des placements hypothécaires par exemple, tend au contraire à baisser aux États-Unis et au Canada. Il est difficile d'y obtenir plus du 5 pour 100 d'un placement sûr. Le taux normal de l'intérêt tend ainsi peu à peu à se niveler entre les deux continents. Plus heureux que nous, les États-Unis et le Canada n'ont pas à craindre que quelque complication politique ou financière arrête cette reprise des affaires.

Dans quelle mesure les marchés européens en profiteront-ils? Trop d'inconnues influent sur la question pour que nous prétendions la résoudre. D'ailleurs, la lutte engagée par le socialisme international contre l'ordre économique a été assez fertile en incidents depuis deux mois, pour nous en occuper presque exclusivement aujourd'hui.

II. En Allemagne, le prince de Bismarck a attaqué le Social Democrat Partei dans la personne de ses chefs parlementaires. Bebel, Vollmar et quatre autres membres du Reichstag ont été condamnés à neuf mois de prison par le tribunal de Freyberg en Saxe. En vain ontils prétendu avoir toujours agi au grand jour et fait uniquement de la propagande par les moyens légaux le tribunal a constaté le caractère de société secrète permanente dans l'organisation du parti, en s'appuyant sur les réunions occultes au château de Wyden, en juin 1880, et à Copenhague, en mars 1883, et sur la propagande systématique qui a suivi ces conciliabules.

Ces faits sont parfaitement établis, et le gouvernement allemand a au moins la loyauté de frapper les chefs, tandis que la république française ne poursuit jamais que d'obscurs comparses ou de malheureux égarés. Il n'en est pas moins vrai que le socialisme se répand, en Allemagne et en Autriche, surtout par la presse, par l'enseignement et par le rapprochement des ouvriers dans des associations légales. M. de Bismarck y a poussé bien involontairement, par sa politique de socialisme d'État. Dans le procès de Freyberg, Bebel et Vollmar ont dit bien haut que le Social Democrat Partei s'était accru considérablement depuis la loi de 1883 sur l'assurance obligatoire contre la maladie, qui a forcé tous les ouvriers à entrer dans des sociétés communales ou corporatives. Les socialistes n'ont pas manqué de prendre l'initiative de la formation de ces sociétés, qui, selon l'expression ingénieuse de Bebel, favorisent le développement de la conscience politique chez les ouvriers. Le parti a ainsi recruté un grand nombre d'adhérents parmi cette masse de travailleurs qui seraient restés tranquillement chez eux, vivant et épargnant selon leurs convenances privées, si la loi ne les avait pas forcés à faire partie d'une société. M. Hitze, un membre du centre, a constaté le même fait au congrès des catholiques allemands, à Breslau.

Au Congrès international ouvrier, qui a réuni à Paris, du 21 au 30 août, les représentants des différentes organisations ouvrières du monde, les délégués allemands et autrichiens se sont fait remarquer par leur violence, tandis que les représentants des Trades-unions anglaises montraient beaucoup plus de raison. La réglementation du travail que le chancelier poursuit en Allemagne n'a donc amorti en rien les passions socialistes. Il en va de même en Suisse, où une loi

de 1880 a limité la journée de travail, rendu le patron responsable de tous les accidents fortuits, et poussé fort loin ce qu'on appelle la protection de l'ouvrier. La grande société populaire du Grütli, qui, depuis de longues années, était le principal instrument du parti radical, vient de passer publiquement au socialisme et de fonder une caisse destinée à soutenir les grèves. En Autriche, malgré le rétablissement des corporations de métier obligatoires, le gouvernement a dù faire voter une loi par laquelle la connaissance des délits commis par les socialistes est retirée au jury pendant cinq ans et soumise aux tribunaux correctionnels.

C'est qu'il y a véritablement, dans le mouvement socialiste contemporain, un dessein profond de sectaires qui s'inspire des doctrines matérialistes les plus brutales et attaque la religion à travers l'ordre établi de la société civile. Les souffrances trop réelles des populations ouvrières leur servent de base d'opération, tout comme les francsmaçons et les carbonari ont exploité pendant un siècle les abus de l'ancien régime pour détruire tous les gouvernements traditionnels et porter des coups redoutables à l'Église elle-même.

On a pu s'en convaincre par les émeutes sanglantes déchaînées à Amsterdam, dans cette Hollande si libre et si prospère. A l'occasion d'un conflit entre la police et les amateurs du vieux jeu populaire de l'Anguille, la banque a été menacée et les souvenirs de la Commune de Paris ont été hautement glorifiés. Dans le malheureux pays de Posen, écrasé par la Prusse, les socialistes cherchent par des placards à exciter les paysans contre le clergé catholique, leur seul vrai défenseur. A Bruxelles, lors de la grande procession ouvrière du 15 août, organisée si longtemps à l'avance, les manifestants, au lieu de se borner à réclamer la réforme des abus dont ils peuvent avoir à se plaindre, ou même le suffrage universel, ont donné à leur démonstration son vrai sens, par le chant du Streemrecht Marche, dont voici les principales strophes :

Qui peut adoucir le sort du peuple?

Le suffrage universel.

Qui fera estimer davantage l'esclave du salaire?

Le suffrage universel.

En avant donc pour ce droit!

Mais restons attachés au drapeau rouge.

Qui peut faire disparaître prêtre et tyran?

Le suffrage universel.

Que considèrent ceux-ci comme le plus grand danger pour eux?

Le suffrage universel.

A nous bientôt vos églises et vos châteaux,

Et le suffrage universel.

Qui peut seul guérir nos maux?

Le suffrage universel.

De nombreuses grèves, qui éclatent depuis lors sans raison apparente sur tous les points du pays, attestent l'ébranlement moral des populations manufacturières et un plan d'agitation concerté par les meneurs. Si la situation douloureuse des mineurs du Borinage excuse leur affolement dans les journées de mars, le sac et l'incendie de l'usine Baudoux sont le fait d'ouvriers verriers qui gagnaient de 1200 à 1500 francs par mois. Ils y ont été délibérément poussés, les débats du procès l'ont établi, par l'union verrière, qui voulait empêcher l'introduction d'un nouveau système de fours destinés à améliorer considérablement la production.

III.

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On retrouve également la main tyrannique d'un syndicat ouvrier dans la grève de Vierzon, qui en elle-même serait peu importante, si les députés et les journalistes socialistes de Paris ne l'exploitaient bruyamment et si M. Grévy ne venait d'accorder tout à point leur grâce à Roche et à Duc-Quercy, les agitateurs de Decazeville.

La Société française de matériel agricole, dont M. Arbel, un sénateur républicain, est le président, avait vu une grève se produire parmi ses forgerons il y a quelque temps. Quand elle reprit le travail, elle n'engagea que 140 ouvriers au lieu de 270, par la raison que la crise agricole rend très difficile l'écoulement de ses produits. Naturellement elle les choisit parmi ceux qui s'étaient montrés le moins hostile. Cela ne faisait pas le compte de la chambre syndicale, qui, en les terrorisant et en provoquant même des violences matérielles contre eux, les a forcés à abandonner le travail. La chambre émet la prétention que la compagnie, au lieu d'employer 140 ouvriers huit heures par jour, fasse travailler tout le personnel à raison de quatre heures seulement. A quoi la compagnie de répondre que la mise en train des machines exigeant deux heures, une journée de quatre heures seulement élèverait considérablement le coût de la production. Surtout elle entend être maîtresse chez elle et choisir librement son personnel. A-t-elle toujours fait ce qu'il fallait pour créer entre elle et ses ouvriers des liens moraux qui leur donnent l'énergie de résister à la pression des meneurs? Nous l'ignorons: mais il est certain qu'elle est en présence d'une des tentatives les plus caractéristiques des syndicats ouvriers pour prendre en main la direction des ateliers, en recruter le personnel comme ils l'entendent, en faire les règlements intérieurs et contrôler leur exécution par leurs délégués. C'est là un mot d'ordre général, on a pu s'en convaincre dans bien des grèves. Aux patrons dépouillés de toute autorité, chez eux, il ne resterait plus qu'à fournir les fonds et à courir les risques des affaires! On cherche ainsi à pré

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