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sur l'enseignement et la morale, c'est du sentiment religieux qu'ils tirent l'éclat, la force et l'élévation qui distinguent leurs écrits.

Certes, le XVIIe siècle ne fut pas exempt d'écarts, de fautes ni d'erreurs. Les passions humaines y furent la source de bien des égarements. Mais on revenait tôt ou tard des séductions du monde; on se jetait dans les bras de la religion, et l'on finissait par une mort chrétienne. Ce siècle est, en effet, l'époque des conversions éclatantes. On cite celle de Louis XIV, du grand Condé, de Turenne, de Racine, de La Fontaine, de l'abbé de Rancé, l'austère réformateur de la Trappe, de Pascal et des autres PortRoyalistes, de la duchesse de Longueville, de madame de La Vallière, de madame de La Sablière, cette amie si dévouée de La Fontaine, et de beaucoup d'autres personnages moins illustres. C'est à cette alliance de la religion avec les lettres et les mœurs, que le xvIIe siècle doit le mérite inappréciable d'avoir été une digue entre la corruption du siècle qui le précéda et le scepticisme de celui qui le suivit.

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IV

CORNEILLE.

(1606-1614)

Il n'est peut-être aucun écrivain français qui mérite mieux que Corneille le titre de génie créateur. Si l'on se représente l'idéal du poème dramatique, il est permis de croire qu'il existe des ouvrages plus parfaits que les siens. Mais si l'on compare ses chefs-d'œuvre aux pièces informes de ses devanciers et de ses contemporains, on peut le considérer comme le plus grand nom de notre littérature. Avant lui, la scène française était dans le chaos; tout était à créer caractères, passions, style, conformité du drame avec la vie. Corneille créa tout. Nous lui devons la tragédie, la comédie de caractère, la comédie héroïque, la tragi-comédie qu'on appelle drame, et les pièces à machines et à décorations, qu'on accompagnait alors d'un peu de musique, et qui furent l'origine de l'opéra français. Outre les différentes branches

de l'art dramatique, Corneille créa la langue tragique; if lui donna une noblesse, une élévation, une vigueur, une fermeté, un mouvement, qui ne laissent rien à désirer, et il écrivit des morceaux au-dessus desquels il n'y a rien dans la littérature française. C'est surtout sur la scène tragique que Corneille sut monter à une hauteur dont le plus heureux de ses rivaux ne l'a pas fait descendre. A une époque où l'on n'y mettait que des aventures romanesques et des turlupinades, il donna à la tragédie un but moral, et la fit servir à élever l'âme de l'homme, en lui montrant sans cesse des caractères héroïques, des sentiments sublimes, des objets dignes d'admiration et propres à inspirer l'amour du devoir, l'enthousiasme de la vertu, le goût des grandes et belles choses. Nul doute que les chefs-d'œuvre de Corneille n'aient contribué à élever les idées de la nation francaise « La France doit peut-être à Corneille une partie de ses belles actions, disait Napoléon; aussi, s'il vivait, je le ferais prince. »

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Pierre Corneille, le sublime peintre de l'héroïsme, naquit à Rouen, en 1606. Son père était maître des eaux et forêts et avocat du roi à la chambre de la table de marbre; c'est le nom qu'on donnait au tribunal chargé de juger tout ce qui avait rapport à l'administration des eaux et forêts. Les services qu'il rendit dans cette double fonction lui valurent des lettres de noblesse ; et il ne

faut point douter, a dit Thomas Corneille, frère cadet de Pierre, que le mérite du fils n'ait beaucoup contribué à faire avoir au père cette glorieuse distinction.

Le jeune Pierre Corneille fit de bonnes études chez les Jésuites de Rouen, pour qui il conserva toujours une vive reconnaissance. Au sortir du collége, il étudia le droit; mais il ne parut au barreau que pour y reconnaître son incapacité. Il-y renonça et se voua à la littérature dramatique.

En France, comme en Angleterre, en Espagne, en Italie, le drame naquit dans l'Église. D'abord on prit l'habitude, pour solenniser chaque fête, de mettre en action l'événement dont on célébrait le souvenir. Les prêtres furent les premiers acteurs de ces spectacles édifiants, connus sous le nom de mystères». On y joignit insensiblement des bouffonneries satiriques et licencieuses, comme la fête de l'àne ou celle des fous. L'autorité ecclésiastique attaqua souvent ces scandaleux abus, sans pouvoir en obtenir l'entière suppression. Au quinzième siècle, les clercs des procureurs du parlement, qu'on appelait clercs de la basoche, se mirent aussi à donner des spectacles, pendant les vacances du palais. Comme il leur était défendu de jouer les «< mystères », ils inventèrent une foule de farces, appelées « moralités, soties » ou « sottises », où l'on trouve quelquefois le vrai comique. La plus remarquable est celle de « l'Avocat

Patelin », représentant les ruses d'un avocat pauvre et fripon pour se procurer un habit. Patelin se rend chez un drapier, il le flatte, marchande du drap, et l'emporte sans payer. C'est la fable du « Corbeau et du Renard ». Le marchand fait citer le larron et raconte au juge sa mésaventure; il lui parle aussi de son berger qui lui a volé des moutons, et finit par s'embrouiller tellement dans le drap et les bêtes, que le magistrat lui dit:

Sus, revenons à nos moutons.

Ces mots sont devenus un proverbe toujours applicable aux gens qui se laissent aller à des divagations et qui mêlent ensemble les parties distinctes d'un récit. Depuis lors, le nom de patelin est resté à ceux qui jouent dans le monde le même rôle que le héros dans la pièce, et qui cherchent à tromper les autres par des flatteries et de vains discours.

Ce fut vers le milieu du XVIe siècle qu'on vit paraître en France les premiers essais de tragédies et de comédies à la manière des Grecs et des Latins. Jodelle (1532-1573), ami de Ronsard, en cut l'honneur; mais comme il n'avait ni goût ni génie, il fit plutôt dans sa

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Cléopâtre » une caricature qu'une imitation du drame ancien. Cette pièce est pleine d'extravagances, de grossièretés Cléopâtre, accusée par Séleucus d'avoir caché

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