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que le titre. Pourvu que la mémoire se charge péniblement de règles, de mots et de phrases, et qu'on parvienne à parler et à écrire à peu près grammaticalement, on se contente de ce travail routinier, qui est sans utilité pour le développement du goût et des facultés intellectuelles. Quant à l'histoire littéraire, à la biographie des auteurs, à l'analyse et à l'appréciation de leurs ouvrages, il semble que ce soit une étude surabondante et inutile. Aussi, bien peu de jeunes personnes sont en état de lire avec fruit les chefs-d'œuvre de notre littérature et de porter un jugement motivé sur Corneille, Racine, Pascal et Bossuet.

Au reste, un pareil travail offre, il faut en convenir, de sérieuses difficultés : les livres manquent. Assurément, il existe des ouvrages remarquables. Mais les uns sont trop volumineux et exigeraient un temps que les élèves ne peuvent leur consacrer; les autres sont des considérations savantes sur l'art; plusieurs n'embrassent qu'une époque. Aucun ne saurait convenir aux jeunes personnes, à qui leur âge interdit bien des détails, et à qui doit suffire une connaissance moins approfondie de la littérature. Quant aux abrégés, ce sont, en général, des résumés secs et arides; c'est une nomenclature de dates, de noms d'auteurs, de titres d'ouvrages, qui ne procurent ni plaisir, ni instruction, et qui ne laissent dans la mémoire. que des traces fugitives.

C'est pour obvier à ces divers inconvénients que j'ai publié, à l'usage des jeunes personnes, les « Prosateurs » et les « Poètes français », et le petit traité « Du style et de

la composition littéraire », qui ont rencontré un accueil favorable. C'est dans le même but que je publie cette Histoire des principaux écrivains français », poètes et prosateurs. Ce livre est le résumé de leçons faites depuis plus de trente ans dans mon Institut de Londres. Je voulais d'abord l'intituler: «Histoire de la littérature française »; mais, pour justifier ce titre, il aurait fallu parler d'un grand nombre d'auteurs dont la lecture offrirait à de jeunes lectrices aussi peu d'intérêt que de profit, et écrire un ouvrage volumineux qui permit d'entrer dans les détails, ou ne faire qu'un résumé succinct, et s'exposer à ne rien saisir pour vouloir tout embrasser. En fait d'éducation, la solidité vaut mieux que l'étendue. D'ailleurs, quand on sait bien les choses les plus importantes, on apprend vite celles qui le sont moins.

J'ai donc préféré ne parler que de nos écrivains les plus illustres et de leurs chefs-d'œuvre les plus parfaits, afin d'en parler un peu plus à mon aise. J'ai choisi une vingtaine de noms, et j'ai pris ceux qui m'ont paru les représentants intellectuels de notre pays. J'ai tâché de tracer le caractère de chacun, de raconter ce qu'on sait de plus exact sur sa vie, et de répéter, en peu de mots, les jugements des maîtres de la critique sur les ouvrages

les plus populaires, sans jamais oublier que mon livre est destiné aux jeunes personnes. Mon but serait atteint, si je parvenais à leur faire aimer et admirer nos grands écrivains, et à leur inspirer le désir de lire quelques-uns de leurs chefs-d'œuvre.

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J'ai fait précéder la biographie des auteurs de trois Études » sur l'origine et la formation de la langue au moyen âge, sur ses progrès au seizième siècle, et sur son perfectionnement au dix-septième. Des « Études semblables indiquent les modifications qu'elle a subies au dix-huitième et au dix-neuvième siècle. Ces « Études servent d'introduction à la lecture des biographies, établissent un lien entre elles, et font connaître les causes et les influences qui ont agi sur la marche et le sort de notre langue et de notre littérature.

A

HISTOIRE

DES

PRINCIPAUX ÉCRIVAINS

FRANÇAIS

I

MOYEN AGE

ORIGINE ET FORMATION DE LA LANGUE

Il n'y a pas d'époque précise où l'on puisse dire là commence la langue française. La formation de la langue n'a pas plus de date fixe que celle de la monarchie. Depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du x° siècle, notre histoire est gauloise, romaine, franke, gallo-romaine ou gallo-franke. Avec les Capétiens commence l'histoire vraiment française. A cette époque, il se forme un petit peuple, dont Paris est le centre, et qui a pour chef le pctit souverain du duché de France. Ce peuple n'est ni gaulois, ni romain, ni frank, bien qu'il se compose de Gaulois, de Romains et de Franks. En même temps on voit

naître une langue qui se forme avec des mots celtiques, des mots latins et des mots tudesques, et qui, cependant, n'est ni celtique, ni latine, ni germanique. Cette nouvelle langue reçut le nom de « romane », parce qu'elle s'était formée de la corruption du latin, qui lui avait fourni les trois quarts de ses mots.

La formation de cette langue, appelée romane,ne s'opéra pas de la même manière dans la Gaule du nord et dans celle du midi. Au nord de la Loire, la langue est sèche, âpre et sans accent; on y remarque des sons durs, des syllabes sourdes et nasales; elle s'éloigne davantage du latin. Celle du sud éprouva des altérations plus lentes et moins fortes; elle est plus riche, plus douce, plus harmonieuse, plus savante. On distinguait ces deux idiomes par le mot qui, dans chacun, exprimait l'affirmation « oui», et qui se disait «oyl » dans le nord, et « oc » dans le sud. De là les noms de « langue d'oyl» et de « langue d'oc».

Le plus ancien monument de la « langue d'oyl », appelée d'abord « roman rustique » et « roman wallon », c'està dire gaulois, est le serment de Strasbourg, que Louis le Germanique prêta, en 842, à Charles le Chauve, au moment où ils marchaient contre leur frère Lothaire. On n'y voit plus de désinences variables dans ies noms, mais elles ne sont pas encore remplacées par les articles.

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