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Il décrit avec une verve admirable la destruction de l'homme. Rien n'est oublié, ni « les sueurs de la mort, ni les frémissements, ni les veines qui se tendent, ni le cou qui s'enfle, ni la chair qui s'amollit, ni le désespoir, ni le fiel qui crève le cœur, ni l'abandon des enfants, des frères et des amis; » car

Et même Pâris ou Hélène,

Quiconque meurt, meurt à (avec) douleur.

On croirait entendre Bossuet avec sa tristesse chrétienne.

Villon s'élève à des réflexions philosophiques dont les exemples sont rares avant lui, et elles lui viennent même dans les pièces où il raconte sans pudeur sa vie de vagabond et d'escroc. Ainsi, tout en vantant son adresse

A voler devant et derrière,

il ajoute, comme pour se justifier:

Hélas! pauvreté fut mon héritage;
Et l'on sait que dans pauvreté

Ne gît pas trop grand loyauté.

C'est l'idée que Shakspeare prêtera plus tard au pauvre apothicaire vendant, contre sa conscience, du poison à Roméo : « My poverty, dit-il,but not my will, consents. »

C'est la même réflexion que fera Molière en trouvant un pauvre qui porte la probité jusqu'à la délicatesse : « Où la vertu va-t-elle se nicher! >>

Si Villon est le poète le plus sérieux et le plus grand de notre littérature au moyen âge, Philippe de Commines, ministre et historien de Louis XI, en est le meilleur prosateur et le plus solide penseur, avant Montaigne: Philipppe de Commines naquit, en 1445, au château de ce nom, situé sur la Lys, à trois lieues au nord de Lille. Il entra fort jeune au service de Charles le Téméraire, et il ne tarda pas à prévoir que la folle présomption de ce prince finirait par le perdre. Il profita de la première occasion qui se présenta pour le quitter, et il s'attacha au roi de France (1472). Il se trouva bien de ce changement. Louis XI, qui payait largement les gens utiles, le nomma son chambellan et son ministre, sénéchal du Poitou, le combla de biens et l'employa dans plusieurs négociations importantes en Angleterre, à Florence, à Venise et en Savoie.

Après la mort de Louis XI, Commines entra dans la ligue des princes contre Anne de Beaujeu, régente pour son frère Charles VIII. Il fut arrêté et enfermé dans une de ces cages de fer, « de quelque huit pieds en carré, et de la hauteur d'un homme, et un pied de plus. Plusieurs l'ont maudit, et moi aussi, dit-il, qui en ai tâté sous le roi d'à présent, l'espace de huit mois. » Il parle sans

rancune de cette manière barbare de traiter les prisonniers; elle était dans les mœurs du temps, et elle lui paraît toute naturelle. Commines fut mis en jugement et absous, et il entra au service de Charles VIII. Il ne paraît pas qu'il fût employé par Louis XII. II mourut en 1509, dans son château d'Argenton, dans les Deux-Sèvres.

Les Mémoires » de Commines sont au nombre de nos livres historiques les plus estimés. Froissart n'est qu'un troubadour qui se plaît à raconter les tournois et les batailles; c'est le plus grand des chroniqueurs du moyen âge. Commines est le créateur de l'histoire politique en France. C'est un homme d'État qui, au récit vivant et naïf des événements arrivés sous ses yeux, joint une profonde connaissance des hommes et des choses. Il juge parfaitement la forme et le but des gouvernements; il explique les négociations et les intrigues, et il comprend à merveille la politique machiavélique de Louis XI et de ses contemporains, code de violence et de perfidie, où la ruse du renard s'alliait à la férocité du tigre. Accoutumé à préférer le succès à tout, il s'indigne peu de la tyrannie et des vices de son maître, pourvu que le succès l'accompagne. Commines est, sans le savoir, le Machiavel de la France. Il est vrai qu'il estime beaucoup ce qui est honnête, mais il estime encore davantage ce qui est utile.

A la tyrannie ombrageuse et cruelle de Louis XI, il

T. I

2.

préfèrerait un gouvernement doux et humain, parce que la douceur et l'humanité lui paraissent plus propres à l'affermissement de l'autorité royale. Ses pages les plus belles, les plus éloquentes, sont celles où il peint les derniers moments de ce prince « le plus sage homme qu'il ait connu pour se tirer d'un mauvais pas en temps d'adversité », en proie à des maladies cruelles et à une basse superstition, mené par son médecin, « comme un enfant hargneux par un précepteur quinteux et colère; si soupçonneux qu'il avait crainte de son fils, de sa fille et de son gendre, et qu'il faisait tâter les vêtements de ses proches, pour que ses archers vissent s'ils n'avaient point de poignards sous leurs robes ». En racontant cette vie agitée, inquiète, misérable, terminée par une agonie douloureuse qui dura trois ans, Commines s'élève à cette conclusion sublime : « Ne lui eût-il pas mieux valu, à lui et à tous autres princes, moins se soucier et moins se travailler, et entreprendre moins de choses, et plus craindre à offenser Dieu et à persécuter le peuple et leurs voisins, et par tant de voies cruelles, et prendre des aises et plaisirs honnêtes? Leurs vies en seroient plus longues; les maladies en viendroient plus tard; et leur mort en seroit plus regrettée, et de plus de gens, et moins désirée; et auroient moins à douter (redouter) la mort. »

Cette manière de terminer l'histoire de Louis XI rappelle Tacite et n'est pas indigne de Bossuet.

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Nos auteurs du moyen âge offrent déjà les traits distinctifs de l'esprit français, esprit d'observation, d'examen, de mesure, plus sensé qu'enthousiaste, plus raisonneur que poétique, prompt à saisir le ridicule et habile à le faire ressortir. On commence à trouver dans leurs écrits cet ordre direct des phrases, cette simplicité dans l'arrangement des mots, cette clarté, cette précision, cette malignité dans la pensée et dans la diction, ce talent de raconter avec détail et avec grâce, qui forment le génie propre de notre langue. Malheureusement on y trouve aussi le « bel esprit », qui est à la fois un des attraits et une des maladies de notre littérature, où il usurpe trop souvent la place de l'imagination. Malgré les précieuses acquisitions qu'elle avait déjà faites, la langue avait encore bien des défauts, à la fin du xve siècle. On

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