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grand homme qui n'est plus, et d'un autre grand homme qui annonce sa fin prochaine, pénètre l'âme d'une mélancolie profonde, en lui faisant envisager avec douleur l'éclat si vain et si fugitif du génie et de la gloire humaine.

Les brillants succès de Bossuet dans la chaire l'avaient fait appeler à l'évêché de Condom (1669). L'année suivante, le roi le nomma précepteur du dauphin ; et bientôt après, il fut élu membre de l'Académie française (1671). Bossuet ne négligea rien pour remplir dignement la noble mission qui lui était confiée d'élever l'héritier du trône. Il se démit de son évêché; il se dévoua tout entier à son élève, et n'oublia rien pour former son cœur, orner son esprit, et en faire un prince pieux, bon, juste et instruit. Pendant neuf ans (1670-1679), il se chargea lui-même de toutes les leçons et de tous les détails de l'éducation littéraire et religieuse. Il est triste de dire que tant d'efforts et de travaux furent à peu près inutiles. Le dauphin avait un esprit faible, paresseux, « opiniâtre »>, indifférent à tout, comme son grand-père Louis XIII. Il resta toute sa vie un prince médiocre. La sévérité excessive de son gouverneur, l'austère duc de Montausier, nuisit peutêtre à son éducation. S'il en faut croire madame de Caylus, parente de madame de Maintenon, la manière rude avec laquelle on forçait le dauphin d'étudier, lui inspira un si grand dégoût pour les livres, qu'il prit la résolution

de n'en jamais ouvrir quand il serait son maître ; et il tint parole.

Bossuet écrivit plusieurs ouvrages pour l'éducation du dauphin. Le plus remarquable et le plus populaire est le « Discours sur l'Histoire universelle ». Dans ce livre, Bossuet, appliquant l'art oratoire à l'histoire, retrace avec une incomparable éloquence toute la suite des siècles, depuis la création du monde jusqu'au règne de Charlemagne. On y voit, dans la première partie, les empires s'élever, fleurir et tomber les uns à la suite des autres; dans la seconde, la religion, toujours ferme et inébranlable, rester seule debout au milieu de toutes ces ruines, et prouver elle-même sa sainteté par sa durée perpétuelle. Dans la troisième partie, l'auteur, créant la philosophie de l'histoire, nous découvre les causes des changements des empires, et porte le plus beau jugement que le christianisme ait porté sur l'antiquité païenne. C'est l'œuvre d'un profond penseur et d'un écrivain consommé.

Aux grandes instructions que renferme le « Discours sur l'Histoire universelle », Bossuet ne pouvait pas en ajouter de plus utiles pour un prince que celles qui lui apprennent à gouverner ses sujets. C'est dans ce but qu'il écrivit le Traité de la politique tirée de l'Écriture sainte ». Il s'applique à fonder uniquement sur la Bible les éléments d'une science où la ruse et la perfidie triomphent si souvent du droit et de la justice.

Pour enseigner la philosophie à son élève, Bossuet composa le Traité de la connaissance de Dieu et de soimême ». « L'homme, dit-il, n'a besoin, pour devenir un vrai philosophe, que de s'étudier lui-même; et, sans s'égarer dans les recherches inutiles de ce que les autres ont dit et pensé, il n'a qu'à se chercher et s'interroger lui-même, et il trouvera celui qui lui a donné la faculté d'ètre, de connaître et de vouloir. » Dans ce petit livre, l'auteur étudie la structure du corps, la nature de l'âme et les rapports qui les unissent, et, de la considération de ces trois choses, il s'élève à la connaissance de Dieu, qui en est la cause et la fin, puisque sans lui l'homme n'aurait ni mouvement, ni esprit, ni vie, ni raison.

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Outre les ouvrages dont nous avons parlé, Bossuet en écrivit un grand nombre d'autres. Les principaux sont « l'Histoire des variations des Églises protestantes, Six Avertissements aux protestants », qui rappellent les « Provinciales » de Pascal, les « Élévations sur les Mystères» et des « Méditations sur l'Évangile

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1).

Dans l'Histoire des Variations Bossuet expose, dit Gibbon, avec un heureux mélange de récit et de raisonnement, les fautes et les folies, les changements et les contradictions de nos premiers réformateurs, dont les variations, comme il le soutient habilement, sont la marque d'erreurs historiques, tandis que la perpétuelle unité de l'Église catholique est le signe et la preuve de

l'infaillible vérité. » L'auteur déploya son génie ordinaire pour faire ressortir les innombrables contradictions de ces professions de foi et les opposer les unes aux autres, el il fit un chef-d'œuvre d'histoire, de polémique et de style. Mais il se trompa quand il prédit que l'esprit d'examen conduirait à l'incertitude et à une indifférence religieuse qui minerait les États protestants, et que le protestantisme était incompatible avec l'existence d'un gouvernement bien réglé. L'exemple de l'Angleterre, où la foi est aussi vive et la liberté plus respectée que partout ailleurs, suffirait seul pour donner un démenti à cette prédiction.

Les « Élévations sur les Mystères» offrent les rẻflexions les plus profondes et les plus sublimes sur la nature de Dieu, sur ses perfections, sur la Trinité, le péché originel, la rédemption et la vie de Jésus-Christ. C'est là que se trouve cette admirable explication psychologique de la Trinité : « Dieu se conçoit lui-même; concevoir et engendrer sont une même chose en Dieu. Dieu conçu, c'est le Fils; Dieu concevant, c'est le Père. Dieu se concevant, s'aime ; l'amour de Dieu est substantiel comme sa pensée, et forme la troisième personne de la Trinité. »

Les «< Méditations sur l'Évangile » sont une espèce de suite aux «< Élévations ». Bossuet y explique les discours de Jésus-Christ, et y expose la morale chrétienne dans

toute sa beauté et dans toute sa perfection. « Ce livre, dit la Harpe, n'a pas moins d'onction, d'enthousiasme et d'effusion de cœur que les « Lettres spirituelles » du tendre Fénelon: seulement Bossuet conserve toujours cette tendance au sublime qui lui est naturelle. Ceux qui n'ont pas lu ces « Méditations » ne connaissent pas tout Bossuet. »>

Pour prix de l'éducation du dauphin, Louis XIV nomma Bossuet premier aumônier de la dauphine, évêque de Meaux et conseiller d'État (1681), et il le désigna pour faire le discours d'ouverture de la célèbre Assemblée du clergé convoquée en 1682, à propos de sa querelle contre le pape. Ce prince voulait étendre à tous les diocèses du royaume la « régale », c'est-à-dire le droit de percevoir les revenus des évêchés et des autres bénéfices quand ils étaient vacants. Innocent XI s'éleva contre cette prétention, et adressa au roi plusieurs brefs menaçants. Louis XIV appela le clergé à son aide, et résolut de lui faire poser des règles fixes pour séparer le pouvoir spirituel du pouvoir temporel. C'était une œuvre fort délicate. Bossuet eut la gloire de l'accomplir. Il ouvrit l'assemblée par son fameux sermon sur « l'Unité de l'Église », qui est un chef-d'œuvre d'habileté, de mesure et d'éloquence. Il fut l'âme de toutes les délibérations, et il rédigea les résolutions arrêtées qui devaient fixer pour l'avenir les rapports du pape avec l'Église gallicane. Il les résuma

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