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orphelins abandonnés; le jésuite Bourdaloue, dialecticien vigoureux, sublime en profondeur comme Bossuet Vest en élévation; Mascaron, évêque de Tulle, dont les discours sont remarquables par la force et le mouvement, mais trop privés de goût pour être classiques; Fléchier, qui, à force d'élégance et d'harmonie, mérita le second rang dans l'oraison funèbre, en louant dignement les exploits et les vertus de Turenne; Massillon que la perfection de son style a fait surnommer le « Racine de la chaire »; l'abbé de Rancé, l'austère réformateur de la Trappe; l'abbé Fleury, le savant et judicieux auteur de la meilleure « Histoire ecclésiastique » que nous ayons; et les solitaires de Port-Royal, le grand Arnauld, l'infatigable controversiste, et Lancelot, digne d'écrire sous sa dictée de si excellents ouvrages sur l'enseignement, et Nicole, moraliste pieux et aimable, et Sacy, le traducteur de la Bible; et parmi les protestants, Saurin, le premier prédicateur de son Église, qui, à une éloquence mâle et forte d'idées, ne sut pas assez joindre la pureté du goût, l'élégance et l'harmonie du style des orateurs catholiques.

Au-dessus de tous ces grands hommes s'élève Bossuet, esprit plein de sublimité et de poésie, qui fut l'oracle du catholicisme, le « Démosthènes de la tribune évangélique », et reçut, de son vivant, le titre de « Père de l'Église ». Peu d'hommes ont mené une vie aussi active, et exercé sur leurs contemporains une influence aussi

puissante que l'immortel évêque de Meaux. On le voit lutter à la fois contre les protestants, les jansenistes, les quiétistes et les ultramontains; tracer les limites de la puissance spirituelle des papes et de la puissance emporelle des rois; élever l'héritier du trône; diriger les assemblées du clergé; tonner dans la chaire contre les vices de la ville et de la cour; exhorter à la mort Henriette d'Angleterre, le grand Condé et les personnages les plus illustres du temps; répondre aux théologiens et aux hommes d'État qui le consultent comme un oracle; remplir les devoirs de son ministère de manière à servir de modèle à tous les évêques; et composer ces sublimes ouvrages d'éloquence, d'histoire, de théologie et de controverse qui lui assurent peut-être le premier rang parmi tous les écrivains de la France. Le trait distinctif du caractère de Bossuet, c'est un bon sens profond qui en fait le guide le plus sûr pour les questions de théologic et de philosophie et pour les pratiques de la vie active. C'est ce bon sens souverain qui le préserva de la tentative imprudente que fit Pascal de prouver la révélation chrétienne avec toute la rigueur du raisonnement géométrique; des illusions du mysticisme qui séduisirent l'àme tendre de Fénelon; du double écueil de limiter la prescience divine ou de détruire la liberté humaine, où échouérent Arnauld et ses amis les Port-Royalistes ; et de cet ascétisme impitoyable qui s'empara de ces picux

solitaires, et qui faisait « paraître la religion trop pesante, l'Évangile excessif et le christianisme impossible. >>

Jacques-Bénigne Bossuet, né à Dijon en 1627, appartenait à une famille qui comptait plusieurs de ses membres dans la magistrature. Son père, ayant été nommé doyen des conseillers au parlement de Metz, confia ses enfants aux soins de son frère aîné. Le jeune Bossuet fit ses premières études au collège des Jésuites, et il montra dès lors ce goût du travail et cette ardeur de tout savoir qui furent les passions dominantes de toute sa vie. Ces rares dispositions, jointes à une intelligence précoce et à une mémoire prodigieuse, rendirent ses progrès rapides. Les jésuites, fins observateurs du caractère de leurs élèves, ne tardèrent pas à deviner dans le jeune Bossuet le génie d'un grand homme. Ils voulurent l'attirer dans leur Compagnie. Son oncle, qui partageait probablement l'éloignement que les Parlements avaient pour la Société de Jésus, résolut de couper court à toute insinuation en l'envoyant achever ses études à Paris. Bossuet entra au collége de Navarre, situé sur l'emplacement de « l'École polytechnique », et dirigé par le docteur Cornet, qui est connu pour avoir résumé en cinq propositions le fameux livre de « l'Augustinus » (1642).

Avant de quitter Dijon, Bossuet appartenait déjà à l'Église. Par un abus alors très-fréquent, on conférait souvent à des enfants de hautes dignités ecclésiastiques.

Ainsi, l'on voit dans ce siècle un duc de Verneuil nommé évêque de Metz à cinq ans: Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal à huit ans; l'abbé de Rancé, investi deneuf bénéfices, avant d'avoir atteint l'âge de onze ans. De même, Bossuet fut tonsuré à huit ans, et nommé, dans sa treizième année, à un canonicat de la cathédrale de Metz. Cette fois, du moins, une conduite exemplaire et de brillantes dispositions semblaient justifier une faveur aussi prématurée.

Bossuet continua ses études à Paris avec le même succès qu'à Dijon. Il dépassa bientôt tous ses condisciples. Il acquit une profonde connaissance de la langue latine et de la langue grecque. Parmi les chefs-d'œuvre des littératures anciennes, il avait une prédilection singulière pour Homère et pour Virgile; il savait par cœur « l'Iliade », l'Odyssée » et « l'Énéide. » Plus tard il disait que, pendant l'éducation du dauphin, « il était si plein du divin Homère, qu'il en récitait des vers en dormant, que souvent même il s'éveillait par la forte attention qu'il apportait à les réciter, comme on s'éveille au milieu d'un songe, dont on est agréablement frappé. »

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Mais l'enthousiasme de Bossuet pour Homère et Virgile le cédait encore au ravissement qu'il éprouvait pour les livres saints. Il avait quatorze ans lorsqu'il lut la Bible pour la première fois, et il en éprouva une émotion vive, inexprimable, qui lui revenait toutes les fois qu'il en

rappelait plus tard le souvenir. La Bible devint la base de ses études, et fut toute sa vie l'objet de ses continuelles méditations. Tous les charmes de la littérature profane disparaissaient devant ces grandes images et ces divines conceptions qui transportaient son imagination. Pendant toute sa vie, il eut toujours une Bible sur sa table: « Je ne pourrais pas vivre sans cela, » disait-il.

La réputation de notre jeune écolier avait franchi les murs du collége, et s'était répandue dans Paris. On parla de lui à l'hôtel de Rambouillet, qui était alors le rendezvous de tous les beaux esprits. Le marquis de Feuquières y vantait un soir ses talents extraordinaires et sa prodigieuse facilité, et il alla jusqu'à dire que cet écolier de seize ans était capable d'improviser un sermon sur le premier sujet venu. On résolut de le mettre à l'épreuve, et on l'envoya chercher au collége. Le jeune, Bossuet étonna la brillante assemblée qui l'entourait, et surpassa l'attente générale. Il était onze heures du soir lorsqu'il prononça ce précoce sermon. Cela fit dire à Voiture, toujours amoureux d'antithèses : « Je n'ai jamais ouï prêcher ni si tôt ni si tard. »

La manière dont Bossuet soutint sa thèse de bachelier eut encore un plus grand éclat. Il obtint la permission de la dédier au prince de Condé, déjà célèbre par les victoires de Rocroi, de Fribourg, de Nordlingue, et qui était gouverneur de la Bourgogne, où il avait connu sa

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