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ces femmes le traitaient comme un enfant. C'est que, s'il avait les défauts de l'enfance, la légèreté, l'imprévoyance, l'inconstance et la faiblesse de caractère, il en avait aussi les bonnes qualités, la sensibilité, le naturel, l'enjouement et la naïveté.

La première bienfaitrice de La Fontaine fut la belle et spirituelle duchesse de Bouillon, la plus jeune des nièces de Mazarin. C'est pour lui plaire et pour amuser son imagination libre et badine, qu'il composa, dit-on, ses <«<Contes » les plus jolis et malheureusement les plus licencieux (1664). C'est à elle aussi qu'il s'adressa pour ob tenir la remise d'une amende que lui avaient fait infliger les prétentions de sa famille à la noblesse. A cette époque, les nobles étaient exemptés du paiement de la taille; et il arrivait souvent que des roturiers, pour jouir de ces priviléges, prenaient le titre d'écuyer. Les parents de La Fontaine y prétendaient; mais il ne put prouver ce droit, et il fut condamné à une amende de deux mille livres. L'intervention de son aimable protectrice le fit dispenser de la payer.

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Vers la même époque, la duchesse douairière d'Orléans, reuye du frère de Louis XIII, le nomma son gentilhomme servant, et l'admit dans sa familiarité au Luxembourg (1666-1672). A la mort de cette princesse, qu'il appelle « la maîtresse de ses loisirs », notre poète, qui avait mangé tout le fonds avec le revenu », se trouva dans

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une position pénible. Abandonné dans ses mœurs, perdu de fortune, il se vit sans asile et sans ressources. Ce fut . encore une femme qui vint à son secours.

Parmi ce grand nombre de femmes qui brillaient alors par leur esprit et leur beauté, il en est peu d'aussi remarquables que madame de La Sablière. Elle avait épousé un riche financier, et sa maison était le rendez-vous des femmes les plus aimables et des hommes les plus émiments dans les lettres et dans les sciences. Elle-même n'était étrangère à aucune des connaissances cultivées de son temps. Elle lisait les auteurs latins dans leur langue, et savait par cœur les plus beaux vers d'Horace et de Virgile. Elle était versée dans les mathématiques, dans l'histoire naturelle et dans les divers systèmes de philosophie. Le voyageur Bernier, son ami et son hôte, avait composé pour elle un excellent abrégé des ouvrages de Gassendi, le restaurateur de la philosophie d'Epicure et le précurseur de Locke. Tant de savoir ne nuisait en rien aux aimables qualités de madame de La Sablière, et son salon étaille séjour des grâces et des plaisirs.

Cette femme charmante recueillit La Fontaine chez elle, et le garda tant qu'elle vécut. Pendant vingt ans, elle pourvut à ses besoins, et lui épargna tous les soucis de la vie matérielle. Elle le considérait comme une partie inséparable de sa maison. « J'ai renvoyé tout mon monde, disait-elle un jour; je n'ai gardé que mon chien, mon

chat et La Fontaine. «< Elle lui faisait des réprimandes sur ses distractions, qui auraient quelquefois pu paraître impolies, si l'on avait moins connu sa bonhomie et sa simplicité. Un riche financier l'avait un jour invité à diner, dans l'espérance qu'il amuserait ses convives. La Fontaine mangea, et garda le silence. Comme le dîner se prolongeait, il s'ennuya et il se leva de table, sous prétexte d'aller à l'Académie. On lui fit observer qu'il n'était pas encore temps. « Eh bien! dit-il avec sa naïveté ordinaire, je prendrai le plus long chemin. » Et il sortit. Madame de La Sablière, que ces traits d'absence d'esprit faisaient souffrir, lui disait à ce sujet : « En vérité, mon cher La Fontaine, vous seriez bien bête, si vous n'aviez pas tant d'esprit.

La conduite de madame de la Sablière n'avait pas toujours été exempte de faiblesses. Mais lorsqu'elle eut été trahie dans ses affections les plus chères, elle dit un éternel adieu à ce monde où elle avait brillé avec tant d'éclat, et elle en devint par son repentir et par sa piété l'admiration et le modèle. Elle consacra les dernières années de sa vie à pleurer ses fautes, à visiter les pauvres et à soigner les malades dans l'hôpital des Incurables. Cette conversion éclatante, jointe à de pienses exhortations, produisit sur La Fontaine une impression profonde. Mais son caractère faible et irrésolu reprit bientôt le dessus; il oublia les sages conseils de son amie,

et continua de se laisser aller à des plaisirs sans choix et sans délicatesse.

Cependant notre poète sentait vivement le prix des bontés et de l'amitié de madame de La Sablière, et, dans sa reconnaissance, il a associé sa bienfaitrice à son immortalité. Ainsi, dans la fable intitulée : « le Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat », il dit qu'il lui élève en ses vers un temple où elle est divinisée sous le nom d'Iris.

Au fond du temple eût été son image,
Avec ses traits, son souris, ses appas,
Son art de plaire et de n'y penser pas...
J'eusse en ses yeux fait briller de son âme
Tous les trésors, quoique imparfaitement.
Car ce cœur vif et tendre infiniment
(Pour ses amis, et non point autrement);
Car cet esprit qui, né du firmament,
A beauté d'homme avec grâce de femme,
Ne se peut pas, comme on veut, exprimer.

O vous, Iris, qui savez tout charmer,

Qui savez plaire en un degré suprême,
Vous que l'on aime à l'égal de soi-même...

La Fontaine ne laissa échapper aucune occasion de célébrer son amie, et de la louer même à ses dépens. Madame de La Sablière lui ayant dit qu'il devait un hommage public au président de Harlay, qui s'était chargé de son fils, il dédia un de ses ouvrages à cet ami généreux. Mais, au risque de faire un compliment maladroit,

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il avoue naïvement que l'idée de dédicace appartient à madame de La Sablière :

Iris m'en a l'ordre prescrit,

Cette Iris, Harlay, c'est la dame

A qui j'ai deux temples bâtis,

L'un dans mon cœur, l'autre en mon livre.

Vous pourrez, en passant, louer, m'a-t-elle dit,

La finesse de son esprit

Et la sagesse de son âme;

Mais en passant, je vous le dis.

On aime à lire les preuves des égards délicats qu'il avait pour sa protectrice. Ainsi, en envoyant une pièce de vers à Racine, un de ses amis les plus chers et les plus dévoués, il lui écrit: « Ne montrez ces vers à personne, car madame de La Sablière ne les a pas encore

Vus. »

Le jour de sa réception à l'Académie française, La Fontaine fut heureux de profiter de cette occasion solennelle de louer sa généreuse amie, et de l'associer en quelque sorte aux honneurs publics qui lui étaient décernés. Il prononça un admirable discours, où il fit en beaux vers une confession ingénue de ses défauts comme homme et comme écrivain, et il y mêla l'éloge de sa bienfaitrice.

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