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passibles de peines plus terribles que les modernes. De là aussi ce caractère mélancolique répandu sur l'expression de sa pensée, qui, joint aux habitudes sévères de son esprit, fait de son style un style unique et d'une beauté incomparable.

Pascal passa les quatre dernières années de sa vie dans un état de langueur et de faiblesse qui ne lui permettait pas de s'appliquer à quoi que ce fût. Il mourut à Paris chez madame Périer, sa sœur, dans les bras de son ami Domat, célèbre jurisconsulte, restaurateur de la raison. dans la jurisprudence française (1662). Il n'avait que trente-neuf ans.

Après sa mort, Nicole, le duc de Roannez, et d'autres solitaires réunirent les notes éparses qu'il avait laissées, en les collant sur des feuilles de papier et en leur donnant un certain ordre. Pour ne pas effaroucher la censure, ou spour ne pas rallumer la guerre mal éteinte, ils Y firent des changements, des suppressions, et ils publièrent cette *œuvre ainsi défigurée sous le titre de « Pensées de Pascal -sur la religion, la philosophie, la morale et les belleslettres» (1669). « Mais, en restant à l'état de fragments et d'ébauche, les « Pensées» de Pascal, a dit Vinet, ont révélé l'individualité de leur auteur, et trahi tout ce qu'il y avait de haute et abrupte poésie dans l'âme d'un écrivain qui ne croyait point à la poésie. Bien des paragraphes de Pascal sont des strophes d'un Byron chrétien ; les plus

belles pages du livre sont écrites avec une sainte passion qui pousse l'écrivain en scène, le mêle personnellement à son sujet, et imprime à la démonstration un mouvement tour à tour lyrique, dramatique, ou oratoire. Mais partout, le style de Pascal est caractérisé, entre tous les styles, par son extrême « vérité ».

Le succès des « Provinciales » avait valu aux Jansenistes la faveur de l'opinion et retardé leur chute. Le répit qu'on leur accorda ne fut pas long. Après bien des négociations inutiles pour amener une soumission volontaire, le pape Alexandre VII publia un formulaire analogue à celui du clergé de France, et il en prescrivit la signature à tous les ecclésiastiques et à toutes les communautés d'hommes et de femmes, sous les peines les plus sévères (1665). Arnauld et ses amis refusèrent de signer contre leur conscience. Ils reconnurent de nouveau que les cinq propositions étaient condamnables; mais ils persistèrent à soutenir qu'elles ne se trouvaient pas dans le livre de Jansenius. Ils furent expulsés de leur chèrevallée, et quelques-uns enfermés à la Bastille; c'est en prison que Sacy acheva la traduction de l'Ancien Testament. Les autres se cachèrent. A l'exemple de leurs di-recteurs, les religieuses refusèrent d'attester l'existencedes propositions dans un livre qu'on leur avait appris à vénérer et qu'elles ne pouvaient pas lire. Pour dompter leur résistance, on leur enleva le peu de bien-être maté-

riel que leurs institutions sévères leur avaient laissé, et on leur interdit l'usage des sacrements, qui furent refusés même aux mourantes. Elles restèrent inébranlables. << Enfin notre bon Maître a voulu que nous fussions dépouillées de tout ce qui nous restait, disait la vénérable supérieure à madame de Sévigné; pères, sœurs, disciples, enfants, tous sont partis. Béni soit le nom du Seigneur ! » Port-Royal touchait à sa perte, lorsqu'il fut secouru par un personnage presque aussi extraordinaire que l'auteur des « Provinciales » : c'était la duchesse de Longueville.

Anne de Bourbon, sœur du grand Condé et duchesse de Longueville, avait été une des héroïnes de la guerre de la Fronde. Après la paix, elle se vit abandonnée du monde, et se jeta dans les bras de la religion avec toute l'ardeur qu'elle avait jadis montrée pour la politique et pour les aventures romanesques. Elle prit M. de Sacy pour directeur, et se soumit à ses sévères conseils avec la docilité d'un enfant. Lorsque vinrent les jours de persécution, elle déploya une grande activité pour servir les solitaires de Port-Royal. Elle cacha dans son hôtel Arnauld et Nicole, et leurs singularités ajoutèrent quelquefois à sa pénitence. Ainsi le grand Arnauld poussait la bonhomie et le laisser-aller jusqu'à défaire ses jarretières le soir, au coin du feu, en présence de la princesse, « ce qui la faisait un peu souffrir », dit madame de Sévigné. Nicole était plus attentif ; il s'oublia pourtant un jour, et il posa

son chapeau, ses gants et sa canne sur le lit de Son Altesse.

Enfin, après deux ans d'efforts et de négociations, madame de Longueville réussit à triompher du pape, de Louis XIV et des Jésuites. Port-Royal obtint la permission de repeupler son monastère, de rouvrir ses écoles et de réunir ses solitaires dispersés (1668). On vit renaître les mêmes vertus, la même piété, les mêmes austérités. La duchesse de Longueville partageait son temps entre le séjour du « désert » et celui du couvent des Carmélites de Paris. Elle mourut en 1679.

Avec cette princesse disparut la seule protectrice des Jansénistes auprès de Louis XIV. La perte de Port-Royal fut de nouveau jurée. Quelques religieux furent arrêtés; d'autres, exilés en divers lieux: Nicole à Chartres, Lancelot à Quimper, Sacy au château de Pomponne, Fontaine à Melun. Le grand Arnauld quitta volontairement la France et se réfugia dans les Pays-Bas. Le Maistre, Séricourt, Pascal, Arnauld d'Andilly et bien d'autres étaient morts. Les religieuses, restées dans l'abbaye, furent enlevées et enfermées dans différentes prisons. Une bulle du pape supprima le monastère, et le roi fit démolir la maison, l'église, la ferme des Granges et les habitations voisines (1710).

Un arceau en ruines, un moulin et un vieux colombier sont tout ce qui reste aujourd'hui de ce pieux séjour.

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En 1802, John Kemble, célèbre acteur anglais, fit un voyage à Paris. Les comédiens du Théâtre-Français le fètèrent, et entre autres politesses, il lui donnèrent un grand diner. La conversation tomba naturellement sur la prééminence dramatique de la France et de l'Angleterre. On discuta longtemps sur Corneille et sur Shakspeare. Kemble soutenait habilement la cause de son compatriote et semblait devoir l'emporter, lorsqu'un comédien français lui dit : « Fort bien, monsieur, fort bien; mais Molière? Que dites-vous de celui-là? — Oh! pour Molière, répondit froidement Kemble, c'est autre chose. Molière n'est point Français. Comment! que dites-vous là? Molière est Anglais, peut-être? Non,

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Molière n'est pas non plus Anglais. C'est fort heureux;

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