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SERMENT DE LOUIS LE GERMANIQUE

Pro Deo amur, et pro christian poblo, et nostro commun salvamento; d'ist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, « si salvarai io cist meon fradre Karle, et in adjudha, et in cadhuna « cosa, si cun om per dreit son fradre salvar dist, in o quid il mi al«tre si fazet. Et ad Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit 1. »

Après ce fameux serment, on ne trouve dans les chroniques latines du Ixe, du xe et du XIe siècle, que quelques mots épars du roman rustique ou wallon/Au Xe siècle, les Normands, conquérants de la Neustrie, en adoptèrent la langue, et ils la dotèrent d'une littérature qui devint riche en récits épiques. Le plus ancien est la « Chanson de Roland », que les soldats de Guillaume le Batard chantaient en marchant à l'ennemi le jour de la bataille de Hastings (1066). On y trouve des sentiments d'une élévation vraiment héroïque. Au XIIIe siècle, ces récits, appelés « romans » de chevalerie, du nom de la langue dans laquelle ils étaient écrits, abondent chez les Normands. Parmi ces grossiers poèmes épiques, on dis

| 1 « Pour l'amour de Dieu, et pour notre commun salut et celui du peuple chrétien, dorénavant, autant que Dieu me donnera savoir « et pouvoir, je préserverai mon frère Karl que voilà, et par aide « et par toute chose, ainsi qu'on doit, par devoir, préserver son « frère, pourvu qu'il en fasse de même pour moi; et ne prendrai jamais avec Ludher (Lother) aucun accommodement qui, par ma volonté, soit au préjudice dc mon frère Karl iei présent.▸

tingue le « Roman de Rou », chronique versifiée par Wace, de Jersey, clerc de Henri II, où sont racontées les actions de Rou ou Rollon, premier duc normand, et de ses successeurs; la « Légende du voyage de Charlemagne », ou récit des exploits du grand empereur, de ses paladins et de son neveu Roland; et le « Roman de Brut », légende fabuleuse des rois d'Angleterre, depuis Brut, fils d'Ascagne et petit-fils du pieux Enée. On y voit des fictions, des îles enchantées, des palais merveilleux, des entreprises bizarres, des aventures incroyables, l'institution de la « Table ronde », l'histoire du roi Artus ou Arthur, et celle de l'enchanteur Merlin, un des personnages les plus populaires du moyen âge. Toutes ces fictions étaient historiques pour les imaginations de cette époque, et les romans de chevalerie remplacèrent longtemps l'histoire. En effet, la chevalerie est une imitation fort expressive de la vie contemporaine; c'est la réunion des deux choses qui passionnaient le moyen âge: la religion et la guerre. Le moyen âge, avec ses mœurs rudes, ses joûtes, ses combats, son recours continuel à la force brutale, est plus fidèlement représenté dans ces romans, écrits par des hommes d'action, que dans les froides annales ou chroniques composées dans la retraite et le calme de la vie monastique.

Le règne de Philippe-Auguste (1180-1223) fut une époque fertile en écrivains de romans chevaleresques.

C'est par milliers que l'on en compte les manuscrits dans la Bibliothèque impériale, à Paris. A la même époque, vivait Geoffroi de Villehardouin, auteur de la première chronique en langue romane. Il naquit en 1160, au château de son nom, entre Arcis et Bar-sur-Aube, et vers 1190, il succéda à son père, en qualité de maréchal de Champagne. Il prit une grande part à la croisade de 1200, qui aboutit à la prise de Constantinople et à la fondation de l'empire latin, et il devint maréchal de Romanie. On croit qu'il mourut vers 1213. Son « Histoire de la conquête de Constantinople» comprend neuf ans, de 1198 à 1207, et commence la longue et riche série de nos mémoires historiques. C'est le récit de tous les événements de la croisade auxquels il avait pris part. Les prédications de Foulques de Neuilly, l'ambassade de Venise, les préparatifs, les embarras de l'expédition, les jalousies des chefs, le siége de Zara, la prise de Constantinople, le pillage de cette riche cité, l'élection de Baudoin Ier, le partage de la conquête, l'établissement de la féodalité française sur les ruines de l'empire grec, tout cela est raconté avec une naïve simplicité, avec une noble bonhomie, dans une prose informe et aujourd'hui difficile à comprendre. Sa plus belle page est peut-être celle où il peint l'impression produite sur les croisés par la première vue de Constantinople:

T. I

1.

« Et lors virent tout a plain Constantinople. Cil des nés et des galics et des vissiers pristrent port, et aanererent lor vaissials. Or « poez savoir que mult esgarderent Constantinople cil qui onques «mais ne l'avoient veuë, que il ne pooient mie cuidier que si riche «vile peust estre en tot le monde. Cùm il virent ces halz murs et ces riches tours dont ere close tot entor à la reonde, et ces riches palais, et ces haltes yglises dont il i avoit tant que nuls nel poist «< croire, se il ne le veist à l'oil et le lonc et le lé de la ville que de «totes les autres ere soveraine. Et sachiez que il ni ot si hardi, cui «<le cuer ne fremist; et ce ne fu mie merveille, que onques si « grant affaires ne fut empris de tant de gent, puis que li monz fu estorez 1.»

A la fin du XIIe siècle, la langue d'oyl avait une véritable prépondérance dans le nord de la France, ainsi qu'en Angleterre, à Naples et en Sicile, où elle avait été portée par les Normands français, conquérants de ces contrées. Au commencement du siècle suivant, elle pé

1a Et alors ils virent « tout à plain » Constantinople. Ceux des « nefs, des galères et des vaisseaux «prirent port », et jetèrent l'an«< cre. Vous pouvez vous imaginer qu'ils regardèrent beaucoup

Constantinople ceux qui jamais encore ne l'avaient vue, et ils ne « pouvaient pas penser que si riche ville il pût y avoir dans tout le « monde, quand ils virent ces hauts murs et ces riches tours dont elle était close « tout à la ronde », et ces riches palais et ces hautes églises, dont il y avait tant, que nul ne l'eût pu croire s'il ne l'eût « vu de ses yeux, et le long et le large de la ville qui de toutes les autres était souveraine. Et sachez qu'il n'y eut homme si hardi à qui le cœur ne frémit; et ce ne fut pas merveille, car jamais si "grande affaire ne fut entreprise par tant de gens, depuis que le monde fut créé.»

nétra au sud de la Loire, à la suite d'une invasion du Midi par les hommes du Nord, et détròna la langue d'oc, en même temps que les petites souverainetés méridionales étaient détruites et réunies à la monarchie française.

La langue d'oc ou roman provençal, qui régnait alors dans les provinces du sud, dans la Catalogne et dans l'Italie septentrionale, était fertile en poètes appelés « troubadours », c'est-à-dire trouveurs. Leurs œuvres étaient des chants malins et passionnés, où ils exprimaient, comme la presse le fait de nos jours, la pensée populaire ils attaquaient surtout les abus, et n'épargnaient dans leurs «< sirventes », ni les papes, ni les rois, ni les nobles, ni les clercs. Ils faisaient aussi, comme les poètes du Nord, de longs récits d'aventures, des romans de chevalerie, en prose rimée, et ils excellaient surtout dans l'expression des sentiments tendres et délicats. Mais, dans les sujets graves, ils manquent de génie et d'inspiration réelle. La poésie provençale n'était qu'un jeu d'esprit, qui ne prenait rien au sérieux, qui ne pouvait laisser aucun monument durable. La croisade des Albigeois vint lui porter un coup mortel.

La secte des « Albigeois » ou « Vaudois », assez semblable au protestantisme réduit à ses formes les plus austères, s'était répandue dans toutes les provinces méri-dionales, et menaçait de devenir un foyer d'opposition

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