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Si le peuple a un sentiment exagéré de sa liberté et de son pouvoir; s'il confond l'obéissance aux lois et la servitude, une république bien ordonnée et la tyrannie des chefs; s'il veut tout faire par lui-même, pour tout livrer aux intrigants qui le séduisent, Philodème ose lui dire qu'il n'y a de liberté qu'où les lois sont respectées; où le peuple sait obéir aux chefs qu'il s'est donnés; où les citoyens ne fout que ce qu'ils savent faire, ne jugent que ce dont ils peuvent juger.

Cherche-t-on à agiter le peuple par de vaines terreurs, à semer des inquiétudes, des soupçons, pour exciter ses ressentiments, pour travailler ses passions? Philodème cherche à dissiper ces craintes chimériques, ces absurdes soupçons; tranquille, il annonce qu'il plaint ceux qu'on trompe, autant qu'il méprise les instigateurs. Est-il lui-même l'objet de la calomnie? Il n'oppose que sa vie entière et de nouveaux services; il n'a pas besoin d'effort pour pardonner aux esprits crédules, et tâche d'oublier jusqu'à l'existence de ses persécuteurs.

Démagoras cherche avec soin quelle est l'opinion la plus agréable à la multitude, et il l'exagère; quelles passions agitent le peuple, et il les flatte. Il applaudit aux injustices commises par le peuple; il excuse ses violences, il caresse tous ses défauts. Quelques brigands ont-ils commis des désordres? Le bon peuple! s'écrie-t-il, je l'en aime davantage. La volonté du peuple est sa loi il faut donc approuver

:

tout ce que veut le peuple, non dans les assemblées régulières, mais lorsqu'il délibérera en tumulte dans les rues, sous les portiques. C'est là surtout que Démagoras aime à le consulter. Jamais il ne trouve qu'il se soit assez réservé de pouvoir; il lui proposera peut-être demain de faire des plans de campagne, et de diriger lui-même du fond de la place publique ses armées et ses flottes. Le peuple n'a-t-il aucune fantaisie? Démagoras tient à ses ordres des orateurs subalternes, prêts à lui en donner de nouvelles. La seule vue de son cortége fait frémir les bons citoyens; on y voit jusqu'à ceux qui ont accusé et déshonoré son père. Si l'aréopage en poursuit quelques-uns, il dénonce l'aréopage au peuple comme l'ennemi de la liberté.

Un citoyen s'est-il rendu recommandable par ses vertus, ou célèbre par ses talents? A-t-il combattu avec gloire pour la liberté ? Démagoras se déclare son ennemi, par amour pour l'égalité.

Il a toujours le mot de liberté à la bouche; mais, lorsqu'il a été question de ne plus enlever par la violence les habitants de la Thrace pour les condamner aux mines, Démagoras, qui a des mines, a fait défendre ce brigandage par Démophage. Démophage, le plus éloquent de ses orateurs, a fait entendre au peuple qu'Athènes serait perdue, si Démagoras avait quelques talents de moins. Démagoras parle sans cesse d'égalité; mais Démagoras, quand le roi de Macédoine était le maître, avait accumulé dans sa famille toutes les grâces dont son peu de splendeur le rendait susceptible; mais Démagoras fait venir de

loin un prince nourri dans la corruption, pour en faire le protecteur du peuple. Démagoras sera peutêtre encore quelques années le favori du peuple, mais il en deviendra le tyran.

DE LA

SÉANCE DU 19 JUIN 1790.

(19 juin 1792.)

PROPOSITION DE CONDORCET.

(Condorcet monte à la tribune.)

« MESSIEURS,

« C'est aujourd'hui l'anniversaire de ce jour mémorable où l'Assemblée constituante, en détruisant les hochets de la noblesse, dont elle avait anéanti déjà les prérogatives, a mis la dernière main à l'édifice de l'égalité politique. Attentifs à imiter un si bel exemple, vous l'avez poursuivi jusque dans les dépôts qui servent de refuge à son incorrigible vanité c'est aujourd'hui que, dans la capitale, la raison brûle, au pied de la statue de Louis XIV, ces immenses volumes, qui attestaient la vanité de cette caste. D'autres vestiges subsistent encore dans les bibliothèques publiques, dans les chambres des comptes, dans les archives des chapitres à épreuves où l'on exigeait des preuves, et dans les maisons des généalogistes; il faut envelopper ces dépôts dans une destruction commune; vous ne ferez point garder, aux dépens de la nation, ce ridicule espoir qui semble menacer l'égalité. Il s'agit de combattre la plus ridicule, mais la plus incurable de toutes les

passions. En ce moment même, elle médite encore le projet de deux chambres, ou d'une distinction de grands propriétaires, si favorable à ces hommes, qui ne cachent plus combien l'égalité pèse à leur nullité personnelle. Je vous proposerai donc le décret suivant:

« L'Assemblée nationale, considérant qu'il existe dans plusieurs dépôts publics, comme la bibliothèque nationale, dans les greffes des chambres des comptes, dans les archives des chapitres à preuves, etc., des titres généalogiques qu'il serait dispendieux à conserver, et qu'il est utile d'anéantir, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

« ART. 1er. Tous les titres généalogiques qui se trouveront dans un dépôt public, quel qu'il soit, seront brûlés.

« ART. 2. Les directoires de chaque département seront chargés de l'exécution du présent décret, et chargeront des commissaires de séparer ces papiers inutiles, des titres de propriété qui pourraient être confondus avec eux dans quelqu'un de ces dépôts. » (Adopté dans la même séance, et sans discussion.)

Ce décret a été sanctionné le 24 juin par Louis XVI. Coll, off. du Louvre, no 1799, tom. IX, p. 408, sous le titre de Loi additionnelle à la loi concernant le brûlement des titres de noblesse existant dans les dépôts publics; - Procès-verbal manuscrit, p. 522; Moniteur du 20 juin, p. 702 de la réimpression in-8°, p. 715 de l'original in-fo.

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