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ce serment qui était aussi imprudent que barbare. Une loi qui ordonnerait de détruire une ville, parce que ses habitants en ont détruit une autre, peut être très-injuste; mais elle ne serait pas plus contraire aux vues du législateur que la loi qui décerne la peine de mort contre les assassins, dans la vue d'empêcher les meurtres.

Il existe près de nous tant de lois importantes, qui contrarient les vues pour lesquelles le législateur les a établies, qu'il est bien étrange que l'auteur de l'Esprit des lois ait été choisir ces deux exemples.

Cette observation se présente souvent, et l'on peut en donner la raison. (Voyez chap. 16.)

Chapitre VI. Que les lois qui paraissent les mêmes, n'ont pas toujours le même effet.

La loi de César était injuste et absurde. Quelle était donc la tyrannie de cet homme si clément, s'il s'était arrogé le droit de fouiller les maisons des citoyens, d'enlever leur argent, etc., et, s'il n'employait pas ces moyens, à quoi servait sa loi? D'ailleurs elle devait augmenter la masse des dettes; et elle n'aurait pu être utile aux débiteurs qu'en diminuant l'intérêt de l'argent. Or la liberté du commerce est le seul moyen de produire cet effet. Toute autre loi n'est propre qu'à faire hausser l'intérêt audessus du taux naturel.

La loi de César n'était vraisemblablement qu'un brigandage, et celle de Law était de plus une extravagance. (Voir Dion Cassius, liv. 41.)

Chapitre VII. Continuation du même sujet. composer les lois.

Nécessité de bien

L'ostracisme était une injustice. On n'est point criminel pour avoir du crédit, des richesses ou de grands talents. C'était de plus un moyen de priver la république de ses meilleurs citoyens, qui n'y rentraient ensuite qu'à la faveur d'une guerre étrangère ou d'une sédition.

Et comment la nécessité de bien composer les lois, et, ce qui en devrait être la suite, les principes d'après lesquels on doit les composer, sont-ils établis par l'exemple de deux mauvaises lois, établies dans deux villes grecques?

Il s'agit de donner aux hommes les lois les plus conformes à la justice, à la nature et à la raison; il s'agit de composer ces lois de manière qu'elles puissent être bien exécutées et qu'on n'en abuse point; et l'auteur de l'Esprit des lois fait l'éloge d'une loi absurde des Athéniens! Jamais d'analyses, jamais de discussions, jamais aucun principe précis; toujours un ou deux exemples, qui, le plus souvent, ne prouvent qu'une chose, c'est qu'il n'y a rien de si commun que les mauvaises lois.

Chapitre VIII. Que les lois qui paraissent les mêmes n'ont pas toujours eu le même motif.

La liberté de faire des substitutions dérive, dans les lois romaines comme dans les nôtres, du principe que le droit de propriété s'étend jusqu'à la dis

position des biens après la mort. Ce principe est assez généralement établi, parce que, presque partout, ce sont les possesseurs actuels qui, dans l'origine, ont fait les lois. Si les Romains voulaient perpétuer certains sacrifices, comme nous voulons perpétuer certains titres, il est vraisemblable que la vanité en était également le motif. C'était toujours un représentant qu'on se choisissait dans l'avenir.

Chapitre IX. Que les lois grecques et romaines ont puni l'homicide de soi-même, sans avoir le même motif.

Dans quel pays de la Grèce punissait-on le suicide, et quelle était la peine établie?

Montesquieu n'en dit rien : aussi trouve-t-on que Platon ne parle dans ce dialogue d'aucune loi établie, mais de celle qu'il faudrait établir. Il veut, par exemple, qu'un esclave qui tuerait un homme libre en se défendant soit puni de mort, etc. Quant aux suicides, Platon conseille à leurs parents de les enterrer sans cérémonie, sans inscription, et de consulter dévotement les prêtres sur la forme des sacrifices expia

toires.

Enfin ce mot, sera puni, n'est pas dans Platon ; et voilà comment Montesquieu cite Platon, et comment il prouve qu'en Grèce on punissait le suicide.

A Rome, si l'on se donnait la mort avant d'être condamné, on évitait la confiscation des biens, la privation de la sépulture, etc. Les empereurs déclarè rent donc que les accusés qui se tueraient pour prévenir la condamnation seraient traités comme

LIVRE DE L'ESPRIT DES LOIS. 369 s'ils avaient été condamnés. Les lois qui prononçaient la confiscation après la condamnation étaient injustes; celles qui privent les condamnés de la sépulture peuvent être barbares; mais il ne s'agit pas dans tout cela de peine contre le suicide.

On fait grâce en Angleterre de certaines peines à ceux qui savent lire. Supposons qu'on eût fait une loi pour priver de cette grâce ceux qui apprennent à lire pendant le procès, dira-t-on qu'on a établi des peines en Angleterre contre ceux qui apprennent à

lire?

Chapitre X. Que les lois qui paraissent contraires, dérivent quelquefois du même esprit.

Pour que l'exemple répondît au titre, il faudrait que la loi française eût pour motif le principe de respecter l'asile d'un citoyen.

Et pour que le titre répoudît à l'exemple, il faudrait dire qu'on étend plus ou moins, dans différents pays, les conséquences d'un même principe.

Mais alors le titre n'eût pas eu l'air profond.

Montesquieu aurait pu observer que du même principe, du respect pour la vie des hommes, on peut déduire ou des lois douces, ou des lois sévères jusqu'à l'atrocité; et il aurait fallu en conclure que tout autre principe que celui de la justice peut conduire à de fausses conséquences.

Chapitre XI. De quelle manière deux lois diverses peuvent être comparées.

Pour que le principe établi dans ce chapitre fût

vrai, il faudrait qu'un système de lois, où il en entrerait d'injustes, pût être bon. Autrement, il est beaucoup plus simple de juger séparément chaque loi, de voir si elle ne choque pas la justice, le droit naturel. Si elle y est contraire, alors il faut la rejeter, et, dans le cas où elle aurait une utilité locale, la remplacer par une autre loi qui aurait les mêmes effets sans blesser la justice.

Dans l'exemple cité, il fallait : 1° distinguer le faux témoignage, regardé en lui-même comme un crime, et le faux témoignage considéré seulement comme un attentat contre la vie, l'honneur d'un citoyen, et prouver que c'est sous ce point de vue seul qu'il est un délit. 2o Il fallait montrer que la loi de France, non-seulement n'est pas nécessaire, mais qu'elle est mauvaise non en ce qu'elle punit de mort, dans une affaire capitale, celui qui a causé par un faux témoignage la mort d'un innocent, mais parce qu'elle autorise à poursuivre comme faux témoin celui qui, après la confrontation, se rétracterait, ou dont le faux témoignage serait découvert ; qu'elle n'est par conséquent qu'un obstacle de plus opposé à la justification d'un innocent accusé. 3o De ce qu'il est difficile, en Angleterre, de faire périr un innocent par un faux témoignage, il ne s'ensuit pas que l'on ne doive point regarder ce crime, lorsqu'il est commis, comme un crime capital.

Ainsi, non-seulement le principe exposé dans ce chapitre est très-incertain, mais le fait employé comme exemple ne s'y applique point.

Qu'on nous permette seulement d'être un peu

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