Page images
PDF
EPUB

ne lui laissait pas les moyens de les prévenir. Heureusement que les nombreuses pétitions pour la déchéance du roi avaient forcé d'examiner cette question, et qu'il s'était formé une opinion assez générale; et cette opinion était : 1° que nous pourrions prononcer la déchéance du roi, parce que, s'il était réellement tombé dans les cas d'abdication légale établis par la constitution, ce n'était point par des actes assez motivés pour dispenser d'une instruction el d'un jugement; 2° que nous ne pourrions toucher au pouvoir royal sans recourir au peuple, parce qu'autrement nous nous emparions d'un pouvoir qu'il ne nous avait pas donné; 3° que, dans ce recours au peuple, nous n'avions droit de le soumettre à aucune forme, que nous devions simplement l'inviter à préférer celle d'une convention, et à lui en présenter l'organisation; 4° que si l'impossibilité de laisser au roi, sans danger pour la nation, l'exercice de son pouvoir, était une fois prouvée, nous pourrions le suspendre provisoirement. Le moment de crise est arrivé, et alors nous n'avons eu qu'à rédiger cette opinion. La Convention nationale était nécessaire. Quant au roi, nous n'avions que trois partis à prendre la déchéance; on la demandait d'une manière assez menaçante, mais nous ne pouvions la prononcer sans montrer de la faiblesse, sans contredire les autres résolutions; 2° la suspension; elle est prévue par la constitution; alors nous avions l'avantage de pouvoir marcher suivant une loi établie ; 3o un moyen terme entre l'état précédent et la suspension. Il n'était plus temps. Ce moyen eût perpé

tué les troubles, n'eût remédié à rien, et il pouvait tout perdre.

La Convention nationale nous sauvera-t-elle ? Je l'espère; mais il n'y avait que ce moyen de nous sauver. Il n'y a eu en Angleterre, comme dans notre constitution, aucun moyen de se tirer d'affaire, si le roi et la chambre des communes s'obstinaient à marcher en sens contraire. Mais, depuis 1688 jusqu'en 1712, le ministère ayant soigneusement évité que ce vice ne fût aperçu, et la constitution anglaise ayant pu prendre pendant ce temps une marche régulière, ce défaut, destructeur de la nôtre, a été insensible en Angleterre. Louis XVI n'était pas un Guillaume, voilà la cause de tout ce qui s'est passé.

Agréez, je vous supplie, Monsieur, les assurances de mon dévouement. Signé, CONDORCET (1).

(1) L'original de cette lettre appartient à la bibliothèque de la ville de Besançon.

AUX AUTEURS DU JOURNAL DE PARIS (1).

Messieurs,

Je ne saurais comment concilier le séduisant éloge qu'on trouve des habitants du Valais, dans votre journal du 23 et 28 mai, avec ce qu'on en lit dans les Recherches philosophiques de M. de Paw, Londres, 1771, vol. II, page 13, si je n'étais en état de vous donner l'explication de cette contradiction singulière. Voici les propres termes de M. de Paw; je ne copierai pas tout l'article, on peut le lire dans l'ouvrage même :

<< On ne saurait mieux comparer les blafards, dit « M. de Paw, quant à leurs facultés, à leur dégéné<< ration et à leur état, qu'aux crétins qu'on voit en <«< assez grand nombre dans le Valais, et principale«ment à Sion, capitale de ce pays. Ils sont sourds, « idiots et presque insensibles aux coups, et portent << des goîtres prodigieux qui leur descendent jusqu'à << la ceinture; ils ne sont ni furieux ni malfaisants, quoique absolument ineptes et incapables de pen« ser. Ils n'ont qu'une sorte d'attrait assez violent « pour les besoins physiques, et s'abandonnent aux

[ocr errors]

(1) Cette lettre n'est point de Condorcet, mais elle est nécessaire pour l'intelligence de la réponse que fit Condorcet à la dernière partie de cet écrit. L'anecdote sur M. de Paw et les crétins du Valais a paru mériter aussi d'être conservée.

[ocr errors]

plaisirs des sens de toute espèce, sans y soupçon<<ner aucun crime, aucune indécence. Les habitants « du Valais regardent ces crétins comme les anges «tutélaires des familles, comme des saints, et ceux qui ont le malheur de n'en avoir pas dans leur pa« renté se croient sérieusement brouillés avec le ciel. « On ne les contrarie jamais...... Il y en a des deux <<< sexes, et on les honore également, soit qu'ils soient « hommes ou femmes. Le respect qu'on porte à ces « personnes atteintes du crétinage est fondé sur leur << innocence ou leur faiblesse ; ils ne sauraient pécher, parce qu'ils ne distinguent pas le vice de la << vertu, etc., etc.

« La plupart de ces détails, dit M. de Paw dans « une note, sont tirés d'un mémoire de M. le marquis de M***, lu à la Société royale de Lyon. »

Voici le fait. Il y a environ 25 à 28 ans que feu M. le marquis de M***, mestre de camp de cavalerie, jeune encore, plein d'esprit et de vivacité, fit un voyage en Suisse pour son amusement; il y porta la gaieté naturelle et tout le pétillant d'un vin de Champagne mousseux. Ce qui a fait dire au Nestor du Parnasse :

Ce vin de nos Français est l'image brillante.

Cette humeur contraste si fort avec les mœurs tranquilles et le ton réfléchi qui règne en Suisse, qu'elle y fut prise pour de l'étourderie; moins tolérants et pleins de franchise, les habitants de Sion entre autres témoignèrent au marquis de M*** qu'ils étaient choqués de ses plaisanteries, du ton qu'il

« PreviousContinue »