Page images
PDF
EPUB

d'honneur avec un duc, pour cause de galanterie. La contestation fut portée devant le tribunal des maréchaux de France le duc fut envoyé, par une lettre de cachet, dans un château fort, et Beaumarchais au Fort-l'Evêque. Pour accélérer le jugement de son procès, il accepta, après sa détention, la proposition qui lui fut faite de donner quinze louis à la femme d'un conseiller au parlement pour obtenir une audience de son mari; ces quinze louis qu'il livra et qui furent sans effet, devinrent l'origine d'un autre procès, dans lequel il fit ces memoires si célèbres, et qui ont tant contribué à sa réputation. Le parlement en blå

d'après un rapport fait par des commissaires de l'acad. des sciences, il fut reconnu pour l'inventeur d'un nouvel échappement qui ajoutait au progrès de sa profession, et le plaçait déjà parmi les artistes les plus distingués de la capitale. Beaumarchais avait reçu de la nature tous les dons qui peuvent seconder les projets d'une imagination ardente et avide de gloire. Sa taille était haute, son extérieur imposant, et il joignait aux graces et à l'amabilité d'un heureux naturel, tout ce que le goût et la diversité des talens peuvent donner d'agrémens; il était passionné pour la musique, et sur-tout pour la harpe dont il avait perfectionné le mécanisme. Ses suc- mant l'auteur de ces mémoires cès, dans ce nouveau genre ne fit qu'ajouter à l'imporle firent admettre à la cour tance de cette affaire. Beauauprès de mesdames filles de marchais fut généralement reLouis XV, pour leur donner gardé comme une victime, et des leçons de harpe. Telle futil devint l'objet de la curiosité l'origine de la fortune de générale. C'est cette curiosité, Beaumarchais. Quelques cir-jointe à l'intérêt qu'inspiraient constances vinrent la déran- ses talens, qui lui procura la ger; il perdit successivement connoissance, et lui valut l'atdeux femmes qui lui avaient tachement d'une jeune femme apporté une riche dot; il per- recommandable par son esprit dit ensuite un procès; mais et sa beauté; elle cherchait cette dernière circonstance un homme célèbre, elle avait devint pour lui une source beaucoup de talent, elle goûta d'événemens qui contribuè les siens ces rapports déterrent non-seuleinent à rétablir minèrent leur union. Après ses affaires; mais encore à lui le renvoi du parlement, Beaudonner la plus grande célé-marchais fut relevé du blâme brité. Tandis qu'il suivait le procés dont nous venons de parler, il eut une affaire

:

par lequel on avait prétendu flétrir ses Mémoires. Son procès relatif à la succession dont

il avait été frustré, fut repris, il le gagna, et à cette époque cessèrent, jusqu'à la révolution, les épreuves qui semblaient n'avoir traversé sa carrière que pour donner à son nom tous les genres de célébrité. Beaumarchais employa dès-lors sa fortune et ses loisirs à des objets d'utilité publique et littéraire. Il fut employé dans quelques affaires d'état par les comtes de Maurepas et de Vergennes. L'établissement de la caisse d'escompte souffrait beaucoup de difficultés ; il y avait alors de grands préjugés contre ces sortes d'établissemens, il les combattit, et la caisse fut établie. Une compagnie avait formé le projet d'élever une pompe à feu, pour fournir de l'eau à toutes les maisons de Paris; ce projet éprouva toutes les objections qu'on oppose à tout ce qui frappe par sa nouveauté, Beaumarchais le défendit; en démontra l'utilité, et le fit réussir. Dans le même tems, le commerce de Lyon lui adressait des remercîmens pour les heureux effets qui avaient accompagné l'exécution de son plan sur les femmes pauvres. Beaumarchais avait jugé que le moyen

de

conserver la santé aux enfans qui naissaient de parens peu fortunés, était de faire un devoir aux mères de les nourrir : il avait proposé à ce sujet un plan et des secours. L'un et l'autre avaient été acceptés à

[ocr errors]

Lyon, et le succès de ses procédés y avait rendu son nom aussi célèbre que précieux. Après la mort de Voltaire, il résolut d'élever à ce grand homine un monument typographique digne de sa gloire. Il acheta la totalité de ses manuscrits, et après s'être procuré les caractères de Baskerville qui étaient les plus beaux qui fussent alors en Europe, il loua pour 18 ans le fort de Kehl, sur le Rhin, où il exécuta une des plus grandes entreprises typographiques qui aient honore la nation française. Le plus beaur papier se fabriquait en Hollande, il envoya étudier les procédés de cette fabrication; il fit reconstruire dans les Vosges d'anciennes papeteries qui rivalisèrent bientôt avec les manufactures les plus célèbres de la Hollande: il rassembla les meilleurs ouvriers de la France, et n'épargna rien pour l'exécution de son projet. C'était une entreprise de plusieurs millions. Les Etats-Unis d'Amérique avaient secoué le joug de L'Angleterre, et appellaient à leur secours tous les amis de la liberté, Beaumarchais fut un de ceux qui formèrent en leur faveur les spéculations les plus avantageuses au commerce de France. Il rassembla des fonds considérables, construisit des vaisseaux, et fit passer aux américains des armes, des vivres et des hommes.

Le succès couronnait toutes ses entreprises; sa fortune devint prodigieuse. L'envie qui en murmurait, fut désarmée par l'emploi qu'il en fit; Beaumarchais l'employ a à l'embellissement de la capitale, il fit bâtir, dans un quartier de Paris, sans décoration, une maison d'une architecture qui n'avait point de modèle, si ce n'est en Italie; les fonds qu'il y employa furent considérables, et servirent à alimenter pour long-tems la classe industrieuse du peuple. Il se proposait de faire construire un pont sur la Seine, en face du boulevard qui touchait sa maison, et déjà il avait accepté le devis de cette grande entreprise, lorsque la révolution vint s'opposer à ses projets. Ses richesses et ses liaisons lui firent éprouver le contre-coup des scenes qui en ont été la suite. En 1792, dans le mois d'août, sur un faux avis qu'il y avait des armes chez lui dans des souterreins, sa maison fut investie par une foule immense et soumise à une recherche dont le moindre effet fut le bouleversement de tous ses meubles. Quant à lui, il n'évita la fureur de la multitude, qu'en se dérobant par une porte secrette de son jardin, aux perquisitions des agens de la police, et en se réfugiant dans la maison d'un de ses amis qui était absent; mais les dangers semblaient s'être attaches à ses

pas pour le tourmenter. Par l'effet d'un de ces évènemens bisarres que la révolution n'a que trop multipliés dans son cours; precisément dans la même nuit où il s'était retiré dans la maison de son ami, la police ordonna qu'on y ferait une visite, Beaumarchais imaginant qu'il en était l'objet, se crut fort heureux de pouvoir se cacher dans une armoire où il resta, debout, et livré aux plus terribles inquiétudes pendant près de six heures. quelques jours après, le danger devint plus sérieux; il fut arrété et conduit dans les prisons de l'Abbaye; on touchait aux scènes sanglantes des premiers jours de septembre, heureusement pour lui, la scélératesse de ses dénonciateurs fut reconnue, et le 29 août, sur les cinq heures du soir il fut retiré de ces prisons qui devaient être le tombeau de tant devictimes.Ce qui sepassa deux jours après, jetta l'effroi dans l'ame de Beaumarchais; il quitta Paris, où il ne reparut que quelque tems après. Ĉeux qui tenaient alors les rênes du gouvernement, le chargèrent d'une commission en Angleterre; il passa dans cette isle, et ne rentra en France qu'au moment où il crut pouvoir y reparaître sans courir les risques d'y perdre sa liberté ou sa vie. Ces évènemens sinistres avaient renversé la fortune de Beaumarchais; mais il avait conservé son sang-froid et son

courage,

Courage, il travaillait à réunir les débris de son ancienne opulence, lorsque dans la nuit du 29 au 30 floréal an VII, (19 mai 1799) il fut enlevé par la mort la plus subite. Etonné de ce qu'il ne se levait pas, son domestique s'approcha de son lit, et le trouva dans l'attitude où il s'était couché, et dans laquelle il s'endormait ordinairement. On crut qu'il sommeillait, on voulut l'éveiller, mais il n'existait plus: il avoit été frappé d'un coup de sang; on trouva sur son corps des traces de cet accident. Ainsi mourut Beaumarchais, après une vie presque toujours agitée et singulièrement mêlée de succès et de revers. Il avait un sang-froid qui le mit presque toujours au-dessus de ces vicissitudes. L'envie lui prêta beaucoup de défauts et de travers; mais personne ne lui a jamais contesté un cœur bienfaisant: il était bon père, bon époux et ami fidèle. Son existence n'a pas été seulement utile à sa famille, à quelques amis et aux gens de lettres; elle l'a été encore sous beaucoup de rapports à son pays. L'extrême diversité de ses talens et de ses entreprises rendra long-tems son nom célèbre.Sion touche une montre, on peut se rappeler qu'il en a perfectionné le travail; si c'est une harpe, qu'il l'a rendue harmonieuse; si on va au théâtre, on y voit, nonseulement des pièces qu'il a

To:ne I

[ocr errors]

faites, et qui contrastent entre elles par leur gravité et leur gaieté, mais encore un personnage nouveau qu'il a a créé un caractère dont aucun ouvrage ne lui avait offert le modèle; au barreau, il a donné de grands exemples d'éloquence et de courage; il a construit des vaisseaux et des édifices dignes de la nation. à laquelle il appartenait. Si l'on passe enfin chez les peuples commerçans des deux mondes, on trouve partout des traces de ses vastes conceptions, et des vestiges des services qu'il a rendus au commerce, Voici la liste de ses ouvrages : Quatre mémoires contre Goesman, couseiller de grand chambre Mme. Goesman et le sieur Bertrand, accusés, etc. imprimés à Paris, in-4°. en 1773 et 1774. Mémoires contre Falcos-Lablache, imprimés à Aix, en 1775-78, in-4°. Mémoires en réponse à celui signé Guillaume Kornman, imprimés à Paris, en 1787 in-4°. Mémoires de Beaumarchais à Lecointre de Versailles, son dénonciateur, ou mes six époques, imprimés à Paris en 1793. · Il a donné au théâtre Français: Les deux Amis, ou le Négociant de Lyon, drame en 5 actes, en prose, représenté le 13 janv. 1770, imprimé à Paris, meme année, in-8°.-Eugénie, draine en 5 actes, en prose, imprimé en 1767, in-8°, Le Bar

24

[ocr errors]
[ocr errors]

bier de Séville, comédie en 4 actes, représ. le 23 février 1775, in-8°. — La Folle journée ou le mariage de Figaro, com. en 5 actes, représentée le 27 avril 1784, imprimée à Paris en 1785, in-8°. A l'Opera: Tarare, en 5 actes, avec un prologue, représenté le 8 juin 1787, in-4°.- Au Au théâtre du Marais : La Mère coupable, drame en 5 actes, en prose, représenté en juin 1792, et à celui du théâtre Faydeau, avec des changemens le 16 floréal an V, (5 mai 1797) in-8°.

[ocr errors]

Après avoir tracé le tableau de la vie de Beaumarchais, il nous reste à rappeler les jugemens, qui ont été portés sur ses ouvrages: c'est ainsi que nous completterons cet article aussi curieux qu'intéressant. Si nous consultons Voltaire sur les mémoires de Beaumarchais il en parle avec enthousiasme. Rien de plus original ni de mieux écrit, (dit l'abbé Sabathier, qu'on n'accusera pas de prodiguer les éloges) que les mémoires de Beaumarchais contre Goesman. La raison s'y trouve assaisonnée du sel de la meilleure plaisanterie, le quatrième sur-tout annonce un écrivain qui connait les sources de la persuasion et qui sait profiter de la dextérité de son esprit, pour tourner contre eux-mêmes les armes de ses adversaires. N'eût-il fait que ce mémoire, Beau

marchais mériterait de figurer dans le petit nombre des gens de lettres qui, au mérite d'écrire avec autant de clarté que de correction, réunissent le talent de nourrir la curiosité du lecteur, par un style aussi varié que piquant. Quant à ses pièces de théâtre, si Beaumarchais a eu des succès prodigieux, il a éprouvé des critiques amères. Voici ce que Patissot écrivait, lorsque Beaumarchais n'avait encore donné qu'Eugénie et les Deux Amis.

« On n'a encore, disait-il, que deux drames de cet auteur; ils sont écrits en prose guindée, et partagés en 5 actes. M. de Beaumarchais persuadé que la perfection est l'ouvrage du tems, et qu'à bien des égards, notre art dramatique est encore dans l'enfance, paraît s'occuper uniquement de ses progrès, et des moyens de plaire, que Molière a eu, selon lui, le malheur de négliger.

» Il a surpassé M. Diderot, par l'attention scrupuleuse, avec laquelle il décrit le lieu de la scène, et jusqu'à l'ameublement dont il convient de le décorer. Il a la bonté de noter, avec le même soin, les différentes inflexions de voix, les gestes, les positions réciproques et les habillemens de ses personnages...

» Pour sacrifier davantage au naturel, M. de Beaumarchais a imaginé d'introduire, dans la comédie des Deux

« PreviousContinue »