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DES BOUFFONS EN GENERAL

Les bouffons étaient choisis dans certains groupes d'individus et nous verrons que certaines familles avaient même le privilège de fournir des bouffons à la cour du roi de France, triste exemple, mais preuve irréfragable de la puissance de l'hérédité!

Il y avait donc des dynasties de bouffons: le bibliophile Jacob 1, citant Guillaume Bouchet dans ses Sérées nous donne ici de curieux détails: il s'agit d'un idiot que Dieu ayant créé et mis au monde avait laissé là.

« Ce serviteur estoit d'une famille et d'une race dont tous estoient honnestement fous et outre tous ceux qui noissoient en la maison où ce serviteur estoit né, encore qu'ils ne fussent de sa ligne, venoient au monde fous et l'estoient toute leur vie; tellement que les grands seigneurs se fournissoient de fous en ceste maison et par ce moyen elle estoit de grand revenu à son maistre. »

Ce fut également un honneur pour les villes

1. Dissertation sur les fous des rois de France.

d'être désignées comme devant fournir les bouffons.

Dans les archives de la ville de Troyes, en Champagne, se trouve une lettre de Charles V, où ce prince marquant au maire et aux échevins la mort de son fou, leur ordonne de lui en envoyer un autre suivant la coutume. L'usage en était déjà établi et la Champagne avait apparemment l'honneur exclusif de fournir des fous à nos rois du temps de Charles V.

Le plus souvent, le bouffon ressemblait à l'Esope de Planude. La face large, plate, la bouche grande, la peau tannée, les lèvres épaisses, pendantes, les dents noires, écartées, les yeux louches, le regard hébété avec des éclairs passagers, la tête penchée, se balançant à droite, à gauche, sur un cou volumineux, la taille ramassée, difforme, la colonne vertébrale déviée en avant, en arrière, sur les côtés, le ventre volumineux, lâche, la main épaisse et pendante sur les hanches. les jambes gauches, engorgées, et les articulations d'une grosseur énorme, la conformation du squelette vicieuse, la couleur des téguments de bistre et de safran..., etc., tel est le portrait fidèle du véritable type du bouffon de cour, le portrait que nous ont légué dans leurs chefs-d'œuvre, des graveurs, peintres et sculpteurs des siècles derniers.

Voyez entre autre, au Louvre, dans le musée

des antiquités Romaines la statuette inscrite sous le n° 275, les toiles de Paul Véronèse (les noces de Cana), de Fragornad, de Ribeira, de Torbido, de Goltzius, d'Holbein, d'A. Durer..., etc. Voyez les remarquables sculdtures des différentes églises où furent enterrés des fous. St.-Mallion. St.-Levan en Cornouaille, St.-Germain-l'Auxerrois, à Paris (estampe), St.-Maurice de Senlis... etc., etc. Consultez les nombreuses images des manuscrits, les médailles et monnaies... et il sera facile de voir que nous sommes encore au-dessous de la vérité.

Plus le fou était laid, disgracieux, contrefait, plus il avait chance d'être agréé et choyé par les maîtres du château, envié et jalousé par les les valets et les pages que d'ailleurs il ne ménageait guère, et qui souvent fournissaient matière à ses lazzis et à ses quolibets. S'il arrivait que de prime saut il ne possédait pas à fond son métier, on lui donnait un maître pour le former et lui enseigner les tours les plus propres à divertir. « Un fou de bonne maison, dit le bibliophile Jacob, était élevé avec autant de soin, de peines et de frais qu'une âne savant.. il avait un gouverneur.. il étudiait les tours, les sauts, les réparties, les chansons... » Il arrivait même que lorsqu'il avait mal répété sa leçon, il recevait les étrivières et qu'on l'envoyait faire pénitence aux cuisines en compagnie des marmitons.

Mais nous l'avons dit plus haut, quelques-uns de ces grotesques étaient des hommes. Ils avaient un cœur sous leurs habits de fou, et ce cœur pouvait tout aussi bien que celui de leurs maîtres être torturé par la souffrance et animé des plus nobles, des plus grands, des plus généreux sentiments.

Dans un travail très curieux, M. Gazeau', étudie les bouffons sous le double point de vue historique et anecdotique : « Ce n'est point seulement, dit l'auteur que nous citons, dans les maisons des barons féodaux que les bouffons étaient prisés et recherchés. Ils l'étaient surtout à la Cour des princes et nous aurons à nous occuper longuement de la catégorie des bouffons de cour, sinon la plus nombreuse, au moins, la plus connue de toutes.

Mais, et voici qui paraîtra plus singulier, il y avait aussi des bouffons dans les couvents, et certains prêtres ne dédaignaient point de chercher dans leur entretien quelque distraction aux sévérités de la discipline ecclésiastique. Le fait résulte des documents réunis au XVIII° siècle par le jurisconsulte allemand Heinecke, plus connu sous le nom d'Heineccius (1681-1741), et le bénédictin dom Marttène, Heinecke cite une ordonnance de 789 défendant aux gens d'Église d'avoir des farceurs aussi bien que des chiens de chasse, des fau· Les Bouffons, Hachette, 1882.

1. A. Gazeau.

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cons et des éperviers: « Défense aux évêques, aux abbés, aux abbesses d'avoir des couples de chiens, des faucons. des éperviers, des farceurs. » Dom Martène mentionne l'interdiction faite aux ecclésiastiques de remplir eux-mêmes, ce qui est plus remarquable encore, les rôles de farceurs et de bouffons.

ATTRIBUTS ET COSTUMES

Le bouffon avait comme attribut distinctif une marotte. C'était une sorte de sceptre surmonté d'une tête coiffée d'un capuchon bigarré de diverses couleurs et garni de grelots. En outre, le maître fol portait une sorte de bonnet pointu garni de longues oreilles terminées par des grelots, et il semble même que ce soit ce capuchon qui ait caractérisé la condition de fou; car dans une curieuse gravure tirée d'un ouvrage allemand publiée en 1512, le Schelmenzunft (la corporation des fous) on voit un personnage décoré de ce capuchon dont les pointes sont rabattues à gauche et à droite et portant dans une sorte de serviette attachée à son cou, de petits bouffons qui n'ont que la tête et le buste, et qu'il sème autour de lui dans la campagne. Ces germes de

1. Ces détails sont empruntés en partie au livre de M. Gazeau.

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