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Je ne l'ai jamais ouï conter plus plaisamment, plus rapidement et plus agréablement.

L'organisation d'un sot n'est pas celle de l'homme de génie: mais que la maladie varie cette organisation, pourquoi le pâtre grossier ne pourrait-il pas acquérir la sagacité, la force, l'éloquence de Démosthène, comme Démosthène peut passer à la plus complète imbécillité ?

SIMULATEURS

Nous avons vu dans le chapitre précédent que tous les fous ne furent pas des imbéciles et qu'il y eut des cas où ils pouvaient être considérés comme des êtres normaux... dans leur genre. En d'autres termes, ces êtres atteints de rachitisme, de crétinisme physique, de névropathies diverses avec les caractères propres à ces sortes de maladie, tout en présentant un esprit naturellement enclin à la méchanceté, à la raillerie, simplement comme le dit si bien Victor Hugo << parce que tous les hommes ne portent pas comme eux une bosse sur le dos, >> jouissaient cependant d'une dose d'intelligence suffisante pour leur permettre de vivre dans la société.

Il nous faut subir jusqu'au bout les conséquences de cette hypothèse, et c'est à ce titre qu'il nous est donné de signaler parmi eux l'existence de Simulateurs, qui surent mettre à profit leur position à la cour pour faire une grande fortune.

P. MOREAU.

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Poussés par l'envie, par le désir de parvenir, plusieurs surent jouer un rôle souvent difficile et tourner à leur profit la crainte qu'ils inspiraient aux courtisans, ou se faire payer cher les moments de gaieté qu'ils savaient procurer à leurs

maîtres.

Il n'y a là rien qui doive étonner. La simulation ne fait-elle pas en quelque sorte partie intégrante de la nature humaine? Ne sait-on pas que dans les affections nerveuses, chez les névropathes pour tout dire, le besoin de « jouer la comédie » est un des caractères pathognomoniques de la maladie ?

Qui ne connaît leur tendance remarquable à inventer des histoires romanesques et extravagantes, combinées avec un art parfait ? Ne se font-ils pas remarquer par leur habileté à semer çà et là des calomnies, jetant la discorde et la haine dans les familles, dénonçant les uns, quelquefois eux-mêmes, un besoin invétéré et incessant de mentir sans intérêt, sans objet, uniquement pour mentir, et cela non seulement en paroles, mais encore en actions, par une sorte de mise en scène où l'imagination joue le principal rôle, enfante des péripéties les plus inconcevables et se porte parfois aux extrémités les plus funestes ?

En veut-on des exemples?

On a vu dans un couvent de Gascogne, dit Tardieu 1 une jeune fille se dire victime de tortures et de violences inouïes, et son père abusé porter devant la justice une dénonciation dont il se repentit si violemment plus tard qu'il mit fin à ses jours. Triste effet de la folie hystérique méconnue !

Une jeune fille hystérique adonnée jusque-là à des pratiques exagérées de dévotion, et se livrant sur elle-même à des mortifications ascétiques, à des flagellations violentes, saisit un jour ses ciseaux et se fait sur tout le corps plus de six cents incisions. Puis elle soutient que ces blessures sont l'œuvre d'un individu qui a voulu la violer. Mise en présence d'un médecin expérimenté et de grand sens, et pressée par lui, elle ne tarde pas à lui confesser qu'elle s'est volontairement fait de légères blessures partout où ses ciseaux ont pu atteindre, et cette comédie avait précédé de peu une attaque d'hystérie très caractérisée 2.

Un autre mensonge du même genre, mais dont les conséquences ont été plus graves, a fait

1. Tardieu. Études médico-légales sur la folie, 2e édition, Paris 1880, p. 174, libr. J.-B. Baillière.

2. Toulmouche: Consultations médico-légales sur deux cas assez rares d'aberration mentale. (Ann. d'hygiène publ, et de méd. leg.) tre série. t. I, 1853.

elle

retenir en prison pendant plus d'une année deux pauvres garçons que cette fille avait accusés non seulement de lui avoir fait violence, mais encore de lui avoir introduit dans le corps, et à plusieurs reprises des cailloux, des morceaux de bois et de fer, que l'on en retirait en effet, non sans lui causer de vives douleurs. A la suite de cette opération, elle tomba dans des attaques convulsives dont elle ne sortit que paralysée en apparence complètement. On l'avait fait entrer à l'hôpital afin de pouvoir mieux l'observer. Mais là encore elle réussit à tromper la surveillance dont elle était l'objet. Outre la paralysie, simulait une constipation absolue, une suppression complète de toute évacuation; elle avait simplement introduit dans sa paillasse les matières qu'elle rendait en cachette; on les y retrouva plus tard aplaties et desséchées. Elle mit ainsi en défaut la loyauté d'un médecin honorable et instruit qui, convaincu de sa sincérité crut pouvoir attester les violences dont elle se disait victime. C'est à un confrère mieux inspiré, le D' Merland', qu'après beaucoup d'efforts et après avoir comparu en justice, les deux jeunes gens accusés durent de voir leur innocence reconnue et d'échapper à cette manœuvre épouvantable 1. Merland. Singulière affaire de simulation, (Ann. d'hyg. et de méd. lég., 20 série. 1964.

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