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BOUFFONS DES COURS ÉTRANGÈRES

Avec la Révolution de 1789, disparaît en France la charge de fou en titre d'office mais avant de quitter cette rapide revue historique et anecdotique, il nous faut rappeler qu'à l'étranger les souverains et les grands seigneurs ont eu, eux aussi, des individus chargés spécialement de leur amusement et que de nos jours encore on trouve quelques pays où les fous font partie de la maison royale ou féodale.

Les documents précis sur leur caractère, leur nature, leur manière d'être, leur habitus nous font absolument défaut, ou pour être plus franc, nous sont inconnus, et ce n'est que par analogie que nous pouvons formuler une opinion à leur égard. Or, en colligeant tous les renseignements que l'on trouve çà et là dans les différents ouvrages modernes et dans les vieux manuscrits, nous croyons pouvoir affirmer autant que possible que ces individus ne différaient en rien de ceux dont nous avons tracé le portrait.

ANGLETERRE

Comme en France, les fous de cour en Angle

terre avaient le droit de dire beaucoup de sottises sans offenser. Shakspeare, cet immortel génie, mit dans plusieurs de ses drames, des bouffons en scène tel est entre autres, Trinculo, un des personnages de « la Tempête », Lancelot Jobbo, du marchand de Venise, Pierre de Touche, de <«< comme il vous plaira, » et le bouffon du «< roi Lear». etc, etc.

Celui-ci n'est pas à proprement parler un bouffon : c'est un conseiller fidèle presqu'un ami qui fait entendre au roi son maître des vérités... vraies, si on peut s'exprimer de la sorte, lorsqu'il lui dit par exemple <«< insensé qui se fie à la douceur d'un loup apprivoisé, à la santé d'un cheval, à l'amitié d'un jeune homme, ou aux serments d'une cour

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tisane! » ou bien essayant de le distraire en lui débitant cette prédiction grotesque 2:

Quand le brasseur

Et le prédicateur,

L'un pour sermon, l'autre pour bière,

Ne donneront que de l'eau claire;

Sur les modes du jour lorsque nos grands seigneurs

En remontreront aux tailleurs ;

Qu'on ne brulera plus que les trompeurs de filles,

Ces fléaux de familles ;

Quand tout plaideur aura raison;

Que nul fils de bonne maison

Ne fuira le regard d'un créancier avide,

1. Acte III, sc. VI.

2. Acte III, sc. II.

Et que nul chevalier n'aura la bourse vide;

Quand personne ne médira,

Qu'on n'aura plus à craindre une langue traiteresse ;
Quand nul filou ne se faufilera

Dans une foule au plus fort de la presse;
Quant l'usurier, étalant son trésor,

En plein champ comptera son or;
Quand on verra certaines demoiselles ;

Se cotiser pour bâtir des chapelles,
Lors règnera dans Albion
La plus grande confusion

Dont jamais on ait eu mémoire ;
Or vous saurez qu'en ce temps là,
Sur ma parole on peut m'en croire,
Et d'ailleurs qui vivra verra,

Sur ses pieds chacun marchera!

Il est évident qu'en introduisant des fous dans ses pièces, Shakspeare, n'a fait que se conformer aux mœurs de son temps:

Comme en France, les fous avaient un emploi à la cour. Mais la plaisanterie qu'ils employaient souvent à tort et à travers, sans discernement (Peut-on vraiment exiger du discernement de la part d'un fou!) tournait quelques fois très mal pour leur auteur :

Le fou du roi Henri III disait un jour à son maître « Vous ressemblez au Christ. - Comment cela, dit Henri, tout joyeux d'une telle ressemblance ? C'est, dit le fou, que le Christ avait en mourant tout autant d'esprit qu'en naissant, et vous, Monseigneur, vous avez aujourd'hui tout

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l'esprit que vous aviez en naissant. » Le roi en courroux voulait le faire pendre, mais les valets se contentèrent de lui administrer une bonne

correction.

WILL SUMMERS

Le plus connu fut un nommé Will Summers, fou de Henri VIII. Ce n'était pas un bouffon ordinaire, et d'après des documents authentiques, Gazeau a pu dire avec raison : « Summers était un homme de cœur et de jugement. Jamais il n'usa de son influence dans son intérêt personnel. Il gardait ses sarcasmes pour les courtisans corrompus, orgueilleux ou cupides. Ce qui honore surtout sa mémoire, c'est l'infatigable persévérance avec laquelle il ne cessa de demander à Henri VIII la grâce de son ancien maître, Richard Farmor'; il parvint à l'obtenir, mais seulement à la fin de la vie du monarque ».

Deux documents nous ont transmis ses traits: le premier est un portrait de Holbein, qui nous le montre petit, tête grosse, membres longs, le tout dissimulé par de larges vêtements flottants, ayant un cor à la main et les lettres H. R. (Henricus rex), brodées sur sa poitrine, puis, une miniature

1. Richard Farmor, ayant en dépit des décrets, secouru quelques écclésiastiques proscrits, avait été mis en accusation, dépouillé de ses biens et jeté en prison.

d'un psautier écrit par John Mallar, secrétaire et chapelain du roi '.

ALLEMAGNE

Un des plus anciens monarques qui a notre connaissance ait eu un fou, est Christiern, roi de Danemark, ce fou est connu par le dévouement qu'il témoigna à son maître pendant sa captivité et prouva qu'il était loin d'être un sot.

Déposé en 1523, Christiern reprit les armes, échoua dans son entreprise et en 1532 fait prisonnier par Frédéric Ier, il fut conduit au château de Sonderborg, dans l'île d'Aden.

Le lieu où il était détenu était un cachot n'ayant qu'une petite fenêtre qui donnait passage à quelques faibles rayons de lumière et par laquelle on lui faisait passer ses aliments. Dès qu'il fut entré dans cette triste demeure avec son fou favori, seul compagnon de son malheur, la porte fut murée. Après avoir longtemps réfléchi aux moyens de faire connaître son affreuse position à sa fille, l'électrice Palatine, et à l'empereur Charles-Quint son beau-frère, il persuada à son fou de feindre une maladie et de solliciter un changement d'air

1. Salle de réunion de la Société des antiquaires à Londres et British Museum.

P. MOREAU.

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