Page images
PDF
EPUB

<<< merveilles de la nature » est-elle peu chargée. On n'a pour s'en convaincre qu'à se reporter à l'ouvrage que nous avons eu déjà l'occasion de citer à plusieurs reprises, au livre de M. Garnier : On y trouvera réuni les noms de tous les géants et géantes qui ont eu leur heure de célébrité.

Après les généralités que nous avons données, nous n'insisterons pas sur ces êtres que leur taille, même indépendamment de toute autre cause, rendait peu aptes à remplir les fonctions de bouffons. Nous avons dû cependant les signaler à côté des nains, car malgré une apparente contradiction ils appartiennent comme eux à la classe des rachitiques, dont ils présentent tous les caractères physiques et parfois moraux.

P. MOREAU.

11

BOUFFONS.

A côté des géants et des nains on voyait les bouffons, hauts et puissants seigneurs dans le domaine de la folie, qui plus d'une fois surent amener les grands à composer avec eux.

Ainsi que nous l'avons fait pour les nains, nous passerons rapidement en revue ceux qui ont laissé un nom dans l'histoire ou dont les poëtes et les écrivains se sont emparés pour en faire les héros de leurs romans.

Pour montrer quelles étaient dans leur ensemble, la nature, les facultés intellectuelles, morales et affectives des « fous en titre d'office », et étayer par leur histoire l'opinion que nous avons formulée dans les premières pages de ce travail, à savoir que fous et bouffons n'étaient que des pauvres imbéciles, de malheureux rachitiques, quelques exemples nous suffiront amplement pour atteindre ce but, car tous ces êtres, à peu d'exception près se ressemblent en tout et pour tout. C'est donc volontairement que nous commet

trons des omissions et comme nous l'avons dit, nous engagerons les lecteurs curieux de renseignements plus complets à se reporter aux ouvrages si curieusement anecdotiques que nous avons signalés précédemment.

Antiquité

L'usage d'avoir des « fous, » c'est-à-dire des êtres d'aspect étrange, chargés d'égayer et de faire rire, a toujours existé, de mémoire d'homme, car on trouve la trace même chez les habitants des cieux !

<< Pourquoi, dit Erasme' Bacchus a-t-il toujours été cet éphèbe à la longue chevelure! parce que toujours fou, toujours ivre, toujours au milieu des banquets, des danses, des chansons et des fêtes, il n'a jamais eu commerce avec Pallas. Il serait si fâché de passer pour sage, qu'il ne veut être honoré que par des jeux et des réjouissances: Il ne s'offense même pas du surnom de bouffon qui lui donne un proverbe grec, qui le dit, plus fou qu'une tête barbouillée de lie... Et plus loin: « Débarrassés de cet importun (Momus) les immortels menèrent joyeuse vie et se laissèrent aller à la pente, comme dit Homère, sans crainte des. censeurs.... Que d'espièglerie dans les vols et les 1. Evasme, Eloge de la folie.

tours de Mercure ! N'est-ce pas grâce à Vulcain, à son allure baroque, à ses balourdises et à ses quiproquos, que les dieux ébranlent par leurs rires la salle de leurs festins? Silène, ce vieil amoureux, ne danse-t-il pas la cordax et Polyphème ne se trémousse t-il pas lourdement, tandis que les nymphes effleurent à peine la terre de leurs pieds? Les satyres aux pieds de chèvre figurent les impudiques Atellanes; Pan, avec ses chansons bien bêtes, fait rire tout le monde, car on préfère Pan aux muses, surtout quand le nectar échauffe les cerveaux divins ! »

Mais comme le dit Homère, laissons les plaines éthérées et revenons sur la terre:

Les plus anciennes traditions de l'Inde, ce berceau de l'humanité et des religions auquel il faut toujours se reporter pour connaître l'origine des choses de ce monde, fait mention de l'existence des bouffons à la cour des princes indiens. L'Épopée «< Ramayana, » œuvre du poète Valmiky, ou plutôt de plusieurs poëtes de la même école, où sont racontées les aventures de Rama et de son épouse Sita, parle dans plusieurs passages de gens chargés d'égayer, de bouffons. De l'Asie, cette coutume passa chez les Perses et en Égypte où même ils ont été divinisés 1.

1. De nos jours encore, chez les peuples d'Orient, la folie est généralement regardée comme un mal sacré, morbus sacer.

Au musée Egyptien du Louvre, on peut voir le portrait du dieu Bes ou Bas: originaire de la Chaldée; il a été importé de la Phénicie. Sur les tombeaux, où il figure, il est gros, à jambes courtes, à nez épaté: c'est une véritable caricature ayant bien l'expression grotesque que les artistes ont coutume de donner aux bouffons.

De l'Orient, l'usage passa en Grèce et de là à Rome. C'est aux heures des repas que ces bouffons apparaissaient, pour égayer les convives. Il n'y avait pas de banquet complet sans quelques conteurs de facéties burlesques. « Après les danseurs, nous dit M. Gazeau, les faiseurs de tours, les singes savants, les joueuses de cerceau, les cubistetères qui marchaient la tête en bas, les pieds en l'air, venaient les bouffons, yɛλwτоTоtot, hommes qui font rire dans la société.

Cette coutume persista à travers les âges, ainsi que nous l'apprend Erasme «... «J'affirme, dit-il, qu'un festin sera franchement insipide, s'il lui manque l'assaisonnement de la folie. Je n'en veux Elle est envoyée aux humains par la divinité, ou par quelque bon ou mauvais génie. Tant qu'un aliéné est inoffensif, les musulmans le vénèrent et le chérissent comme un favori d'Allah s'il est furieux, c'est un mauvais génie qui l'agite et le possède: ils le respectent encore, mais ils songent à se mettre à l'abri de ses fureurs. Les idiots, les imbéciles ont la plus large part dans leur vénération et leurs hommages res pectueux dont l'intensité est, comme on le voit, en raison directe de la dégradation qui pèse sur l'intelligence d'un individu.

« PreviousContinue »