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supérieure; son esprit n'est nullement formé ; on n'a jamais pu lui donner une idée de la religion ni lui apprendre à connaître une lettre, il n'a jamais pu faire le plus petit ouvrage; il est imbécile, colère, et le système de Descartes sur l'âme des bêtes serait plus facilement prouvé par l'existence de Bébé, que par celle d'un singe ou d'un barbet. J'avoue même que je n'ai jamais vu Bébé qu'avec répugnance et une secrète horreur qu'inspire, presque toujours, l'avilissement de notre être... »

Malgré tout, Stanislas regretta beaucoup son nain, il prenait plaisir à badiner avec lui, à le voir sauter sur la table et à folâtrer au milieu des plats pour revenir s'asseoir sur les bras de son fauteuil. Il lui fit faire de belles funérailles et ordonna qu'il fût inhumé dans l'église des Minimes à Lunéville, où on voit son mausolée avec l'épitaphe suivante :

HIC JACET

NICOLAUS FERRI, LOTHARINGUS

NATURE LUDUS,

STRUCTURE TENUITATE MIRANDUS,

AB ANTONIO NOVO DILECTUS.

IN JUVENTUTE, ÆTATE SENEX :

QUINQUE LUSTRA FUERUNT IPSI SECULUM
OBIIT NONA DIE JUNii

MDCCLXIV.

JOSEPH BORWFLASKY

Joseph Borwflasky a joui d'une célébrité qui n'a pas égalé celle de Bébé, bien qu'il en fut pourtant plus digne. Il naquit près de Chaliez, dans la Pologne Russe, au mois de novembre 1739. S'il était de quelques pouces plus haut que Nicolas Ferri, il n'en était pas moins un nain et un nain de façons beaucoup plus distinguées; c'était du reste un gentilhomme polonais; il avait des frères et des sœurs tous bien conformés, sauf l'aîné, qui, bien qu'aussi petit que lui, ne devait cependant avoir le même succès.

Le comte de Tressan1 envoya à l'Académie des sciences un mémoire où il donna des renseigne ments sur ce nain:

« M. Borwflasky, gentilhomme polonais, est arrivé à Lunéville à la suite de Mme la comtesse Humiecska, parente de Sa Majesté le roi de Pologne et grand Porte Glaive de la Couronne. Ce jeune homme peut être regardé comme l'être le plus singulier qui soit dans la nature, et Bébé, nain du roi de Pologne, n'a plus rien qui doive surprendre.

» M. Borwflasky a vingt-deux ans, sa hauteur est de vingt-huit pouces (0,775); il est parfaite1. Mémoire sur un nain envoyé à l'Académie des sciences par M. le Comte de Tressan, associé. S. I, 1760.

ment bien formé dans sa taille, la nature ne s'est point échappée et nulle partie monstrueuse ne le défigure. Sa tête est bien proportionnée, ses yeux sont beaux et pleins de feu, tous ses traits sont agréables, sa physionomie est douce, spirituelle et annonce la gaîté, la politesse, et toute la finesse de son esprit. Sa taille est droite et bien formée; ses genouils, ses jambes et ses pieds sont dans les proportions exactes d'un homme bien fait et vigoureux. Il lève avec facilité, d'une seule main, des poids qui paraissent considérables pour sa stature.

>>

Il jouit d'une bonne santé, il ne boit que de l'eau, il mange peu, il dort bien et résiste à la fatigue. Il danse avec justesse, il est adroit et léger; la nature n'a rien refusé à cette aimable créature; elle semble même avoir voulu le dédommager de son extrême petitesse par les grâces qu'elle a répandues sur sa figure et par celles qu'on découvre à tout moment dans son esprit.

>> Il joint aux manières les plus gracieuses des réparties fines et spirituelles, il parle très sensément de tout ce qu'il a vu, sa mémoire est très bonne, son jugement fort sain, son cœur est sensible et capable de reconnaissance et d'attachement, il n'a jamais montré de colère ni de méchanceté; il est d'une complaisance extrême, il

sent vivement tout le prix des politesses qu'on lui fait, surtout lorsqu'on lui parle comme à un homme de vingt-deux ans, et avec tous les égards dus à un gentilhomme. Cependant il ne montre ni impatience ni humeur à ceux qui abusent un peu de sa petite taille pour badiner ou causer avec lui comme avec un enfant... Il est très instruit dans la Religion catholique qu'il professe; il lit et écrit bien, il sçait l'arithmétique, et il a même un esprit d'arrangement qui lui fait tenir dans le meilleur ordre le compte de ce qu'il a il est d'une adresse extrême pour tous les ouvrages qu'il entreprend et il est facile de remarquer qu'il ne se compromet jamais à tenter ceux qui sont au-dessus de ses forces. En quatre mois, il a appris l'allemand assez à fond pour s'exprimer avec facilité et en termes choisis; en un mot, il n'a rien qui tienne à l'enfance et à cette espèce de faiblesse et d'imbécillité qui dans le nain du roi de Pologne, se manifeste souvent et plus encore que dans un enfant de quatre ans. »

La comtesse Humiecska, qui en était propriétaire, en était très entichée: il en valait vraiment la peine Saint-Foix' en dit beaucoup de bien: « ...on dirait que la nature, loin de le vouloir disgracier, s'est plu à perfectionner la mignature d'un homme; sa tête, son cou, ses épaules, ses 1. Poullain de Saint-Foix, Essais, T. IV.

P. MOREAU.

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bras, sa taille, ses jambes, ses pieds, en un mot toutes les parties de son corps sont exactement proportionnées: il a les yeux vifs et brillants et tous les traits de son visage sont gracieux; il parle avec retenue et répond avec beaucoup d'esprit et de politesse... >>

Vers l'âge de vingt-trois ans, il se maria et eut plusieurs enfants bien constitués, sur la provenance desquels on le plaisantait; mais il ne s'en fâchait point. L'époque de sa mort n'est pas connue. Suivant les uns, il serait mort de décrépitude à trente ans; suivant les autres, parmi lesquels se trouve Isidore-Geoffroy Saint-Hilaire, il aurait encore été vivant à son époque et sa mort ne serait arrivée qu'en 1837, ayant ainsi atteint l'âge respectable de quatre-vingt-dix-huit ans. En réalité, c'est donc un point incertain qui a cependant son importance; car il pourrait à lui seul aider à résoudre la question du rachitisme et par conséquent éclairer sur le nanisme de Borwflasky. << Pour ce qui est de ses enfants, dit le docteur Martin, leur paternité est-elle bien avérée ? Des doutes sont au moins permis, de sorte qu'il faut, pour lui aussi, réserver la question du vrai nanisme. »

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Nous en avons fini, dans ce rapide aperçu, avec

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