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donnent en hiver des fruits huileux, des flambeaux odorans dans leurs branches résineuses, des matelas dans les longues mousses qui en pendent jusqu'à terre, et nous offrent des toits sous leurs hautes pyramides. Si le palmier des zones torrides a sa tête en parasol hémisphérique pour donner de l'ombre, des palmes ligneuses pour résister aux vents, une tige nue pour donner passage à l'air si nécessaire dans les pays chauds; le sapin, au contraire, a des branches qui se relèvent par leurs extrémités, et laissent tomber leurs folioles à droite et à gauche, en forme de toit, pour faire glisser la neige. Il porte les plus basses à deux fois la hauteur de l'homme, pour lui faciliter le passage dans les forêts; mais il les élève quelquefois à plus de cent pieds et les neiges forment, autour de sa circonférence, un rempart contre l'âpreté de l'atmosphère. Le sapin du nord est vert, ainsi que le palmier du midi. Si le sapin avoit une cime large et touffue comme le palmier, il seroit accablé par le poids des neiges, qui y séjourneroient; si le palmier portoit la sienne en pyramide de feuilles comme le sapin, il seroit renversé par la violence des ouragans, si terribles dans la zone torride. Cependant il y a des arbres dans cette zone, dont la forme est pyramidale, tel que le badanier; et il en est dans la zone

glaciale dont la cime est hémisphérique, comme le pin nautique; mais les étages du badanier sont évidés et assez semblables à ceux d'un roi d'échecs, et la cime du pin est à jour, et n'est formée à sa base que de branches nues, disposées en parasol. Ainsi la nature a proportionné les feuillages et le port des arbres aux contrées où ils devoient croître.

Nous avons vu que les peuples du Midi avoient trouvé les proportions et les ornemens de leur architecture dans les palmiers, ceux du Nord en pourroient trouver une plus convenable à leur climat, dans les sapins; elle ne manqueroit pas d'agrémens. Si le tronc du palmier a fourni aux premiers de hautes colonnes d'un diamètre égal, celui du sapin en donneroit aux seconds d'un diamètre qui iroit toujours en diminuant de bas en haut, et augmenteroit leur élévation par la perspective. Si les architectes grecs ont orné de palmes le chapiteau corinthien, s'ils y ont ajouté quelquefois les toiles à réseau de leurs bases et les nids qu'y forment les colombes ; les architectes du Nord pourroient couronner de même leur colonne de sapin de ses propres rameaux, les garnir de leurs mousses naturelles, et y figurer les écureuils qui les habitent, avec leurs queues relevées en forme de plumet sur leurs têtes. Si la colombe est le plus aimable des

oiseaux, l'écureuil est le plus agréable des quadrupèdes.

Le Nord auroit donc un ordre d'architecture à lui, puisque c'est le rapport de la hauteur de la colonne à sa largeur qui le constitue. C'est par cette raison que les habiles gens rejettent l'ordre composite, parce que sa colonne a les mêmes proportions que le corinthien. L'ordre septentrional, au contraire, varieroit celles de sa colonne dans chacun de ses diamètres, suivant l'angle déterminé par la nature dans la diminution du tronc des sapins: j'en ignore la valeur, qui, ce me semble, est facile à connoître, si, comme je le crois, il est invariable. J'appellerois cet ordre conique ou pyramidal, comme on pourroit appeler cylindriques les quatre ordres grecs d'après les formes de leurs colonnes; mais j'aime mieux trouver les choses que d'en chercher les noms, car la nature est très-abondante et la langue stérile.

Au lieu de disposer ces colonnes en longs péristyles, comme celles des Grecs, sans doute d'après l'ordre où sont rangées les dattes sur les grappes du palmier, je les grouperois en rotondes coniques, dans le même ordre où les semences du sapin sont rangées dans leur cône. Pour cet effet, je donnerois une élévation progressive aux colonnes du centre de la rotonde,

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qui en augmenteroit l'étendue en perspective par celles de la circonférence, qui seroient plus courtes et d'un moindre diamètre. Si le péristyle est favorable à la fraîcheur dans les pays chauds, parce qu'il offre une libre circulation, la rotonde conique ne l'est pas moins à la chaleur dans les pays froids, parce qu'elle la concentre au-dedans, et qu'elle arrête le cours du vent au-dehors. L'intérieur et l'extérieur de sa voûte figureroient les mailles et la forme ovoïde si agréable de la pomme de pin. Les neiges y trouveroient une pente facile, et ne s'y arrêteroient pas comme sur les toits plats de Pétersbourg, où l'on a adopté l'architecture méridionale, si peu convenable aux pays froids.

Les Grecs avoient entrevu les beautés qui pouvoient résulter des proportions et des productions du sapin, puisqu'ils les avoient ajoutées à la colonne imitée du palmier. Ils diminuoient le diamètre de celle-ci aux deux tiers de sa hauteur, afin d'accroître sans doute son élévation en perspective. Ils employoient fréquemment la pomme de pin pour ornement dans leur architecture, et surtout sur les tombeaux; ils donnoient même à leur rotonde la forme elliptique ou de cône, si agréable. Les Égyptiens adoptèrent la forme entière du sapin dans leurs

pyramides et leurs obélisques. Quant aux Chinois, depuis long-temps ils donnent à leurs riches pavillons des troncs de sapin pour colonnes, et à leurs toits la forme d'un de ses rameaux, relevés aux extrémités. Dans leurs jardins, ils ornent l'entrée de leurs grottes, de cet arbre majestueux, dont la verdure est éternelle; et ils le regardent comme le symbole de l'immortalité.

C'est sous les ombrages de ce bel arbre, dans son atmosphère odorante et aux doux murmures de ses rameaux, que j'ai passé, dans la solitaire Finlande, des momens paisibles, souvent regrettés. Mes yeux se promenoient avec délices sur les sommets arrondis de ces collines de granit pourpré, entourées de ceintures de mousses du plus beau vert, et émaillées de champignons de toutes les couleurs. Ces productions spontanées fournissent des mets exquis à ses habitans, dont rien n'égale l'innocence et l'hospitalité. Elles s'étendent vers le nord, bien audelà de la région des sapins. Les mousses croissent sur les rochers les plus arides, et nulle part on n'en trouve en si grande abondance et d'espèces si variées, que dans les contrées les plus septentrionales. J'entrois, jusqu'aux genoux, dans celles qui tapissent le sol des forêts de la Russic; tandis que je n'ai trouvé que des

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