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corinthien. Quant à ce nombre de quatre, auquel ils fixent leurs ordres, ils disent que la colonne paroît trop grosse au-dessous de sept modules, et trop menue au-dessus de dix; mais ils n'en donnent pas la raison. Pour moi, je sens bien comme eux par rapport aux colonnes isolées; mais comme je suis persuadé que la raison de nos sentimens est toujours dans la nature, je crois avoir indiqué celle des différentes proportions de la hauteur de la colonne à sa largeur dans les quatre ordres, en les rapportant à celle de la hauteur de l'homme à la largeur de sa tête, dans les quatre périodes de son accroissement.

Au reste, nous les trouverons bien marquées dans les développemens même du dattier. En le supposant planté de semence dans le terrain et le climat qui lui sont les plus favorables, il n'a guère moins de deux pieds de diamètre à sa naissance au sortir de la terre. Il est d'abord près de sept ans à se former dans le sein de sa mère, et à acquérir deux à trois pieds de hauteur. Son tronc alors paroît à peine, et ne porte guère qu'une grosse touffe; mais il croît ensuite avec plus de rapidité. A huit ans, il sort, pour ainsi dire, de l'enfance: il peut avoir six pieds de haut, ou la hauteur d'un homme. II

prend successivement huit pieds à onze ans, dix pieds à dix ans, douze pieds à onze ans, quatorze pieds à douze, seize pieds à treize, dixhuit pieds à quatorze, époque à laquelle il laisse paroître ses premiers régimes, et où une jeune fille commence à être nubile; vingt pieds à quinze ans, âge où il porte des fruits fécondés par le dattier mâle, et où une jeune fille a acquis ses plus belles proportions, et est propre au mariage. Homère a bien senti ces convenances virginales et conjugales, lorsqu'il fait dire par Ulysse à la princesse Nausicaa qu'il aperçoit au bord de la mer: « L'enchantement que j'éprouve à votre aspect n'est comparable qu'à celui que je ressentis en voyant à Délos ce jeune et magnifique palmier qui s'étoit élevé tout à coup auprès de l'autel d'Apollon. »

C'est à l'âge où le palmier se trouve dans la fleur de sa jeunesse, qu'il offre le plus beau modèle de la colonne. Alors ses belles palmes toujours vertes prennent chaque jour de l'accroissement, et, s'élevant vers les cieux malgré les tempêtes, elles deviennent les symboles de la gloire et de l'immortalité. C'est à cette élévation que les tourterelles, rassurées, viennent déposer leurs nids dans ses draperies, et que les architectes corinthiens

fixèrent les hauteurs des colonnes dont ils décorèrent les temples des dieux et de la déesse des amours.

Des Italiens, en voyant une vigne chargée. de pampres et de raisins former d'agréables spirales autour du tronc nu du palmier, crurent imiter ses grâces en tordant la colonne ellemême; mais ils ne produisirent qu'un monstre sur le premier des autels de Rome : on corrompit la nature en s'écartant de ses lois.

Le dattier continue d'élevér sa tige, dans sa simplicité majestueuse, jusqu'au-delà de quarante pieds de hauteur. Cette proportion svelte présente dans ses accouplemens de nouvelles beautés à l'architecture gothique. Perrault en avoit entrevu les effets lorsqu'en accouplant deux à deux les colonnes du péristyle du Louvre, il leur donna un demi-module de plus. Il sentit que chaque couple ne faisant, pour ainsi dire, qu'un seul corps, il falloit ajouter à sa hauteur une partie de ce qu'il acquéroit en largeur.

Quant à l'ordre le plus agréable dans lequel on doit grouper les colonnes, il est le même que celui dans lequel les dattiers croissent naturellement. En effet, les palmiers ont beaucoup d'agrément lorsqu'ils forment une longue

perspective sur les bords d'un ruisseau sinueux comme leurs régimes, rangés deux à deux, l'un rentrant, l'autre saillant : il semble alors qu'on en voie une forêt. C'est le même point de vue que présente une double colonnade circulaire, ou un péristyle dans sa longueur. Cette série d'accouplemens fraternels est un des grands charmes de celui du Louvre. Il a encore quelques rapports qui ajoutent à sa beauté : nous en parlerons aux harmonies fraternelles et conjugales.

Si le dattier donne à l'homme en société des fruits sucrés, onctueux et farineux, réunis à toutes les commodités et à la magnificence de l'ameublement et du logement, les autres espèces de palmiers les lui présentent en détail. Dans toutes les parties de la zone torride, le cocotier, qui croît sur tous les rivages de cette zone, renferme du lait et de l'huile dans ses gros cocos; et le palmiste, habitant des montagnes, un chou excellent dans son sommet. Le latanier lui présente des éventails sur ses rochers marins. Il a cela de particulier en Afrique, dont le dattier paroît originaire, qu'il donne aux noirs du vin, du vinaigre et du sucre dans sa sève. Dans les îles de l'Asie, le sagou contient dans son tronc épais une

farine abondante, et l'arec un aromate dans ses noix. En Amérique, le palmier marécageux de l'Orénoque, pendant les débordemens périodiques de ce grand fleuve, offre à ses habitans des fruits succulens, et des asiles dans son feuillage. Tous ensemble fournissent à des tribus entières des subsistances, des vêtemens, des toits, des meubles, des outils de toutes les sortes, des tablettes pour écrire, des câbles, des voiles, des mâts, des bateaux pour voguer d'île en île. Il y a plus de soixante-dix espèces connues de palmiers, mais un grand nombre ne le sont pas. Quoique toutes ensemble elles ne forment, par des caractères qui leur sont communs, qu'un genre primitif qui appartient à la zone torride, elles diffèrent tellement par leurs fleurs et leurs fruits, qu'on peut les regarder comme des genres secondaires, harmoniés d'une part avec les différens besoins de l'homme en société dans les divers sites torridiens, et de l'autre répartis, par leurs variétés, aux diverses tribus d'animaux qui y sont répandus. En effet,

il

y á des palmiers que j'appellerai solaires, parce qu'ils croissent sous l'influence la plus active du soleil, au sein des sables brûlans de l'Afrique, tels que les dattiers. Il y a des palmiers de montagnes, et en quelque sorte aériens par la longueur de leurs flèches, qui s'élèvent

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