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goût très-agréable de safran. L'espèce commune, appelée figue banane, est onctueuse, sucrée, farinense, et offre une saveur mélangée de celles de la poire de bon chrétien et de la pomme de reinette. Elle est de la consistance du beurre frais en hiver, de sorte qu'il n'est pas besoin de dents pour y mordre, et qu'elle convient également aux enfans du premier âge et aux vieillards édentés. Elle ne porte point de semences apparentes ni de placenta : comme si la nature avoit voulu en ôter tout ce qui pouvoit apporter le plus léger obstacle à l'aliment de l'homme. C'est de toutes les fructifications la seule que je connoisse qui jouisse de cette prérogative. Elle en a encore quelquesunes non moins rares, c'est que quoiqu'elle ne soit revêtue que d'une peau, elle n'est jamais attaquée avant sa maturité parfaite par les insectes et par les oiseaux, et qu'en cueillant son régime un peu auparavant, il mûrit parfaitement dans la maison et se conserve un mois dans toute sa bonté.

Les espèces de bananes sont très-variées en saveurs. Elles sont d'autant meilleures qu'elles croissent plus près de l'équateur, sous l'influence directe du soleil. Il y en a de déli ́cieuses aux Moluques, dont les unes sont aromatisées d'ambre et de cannelle, d'autres de

fleur d'orange. On trouve des bananiers dans toute la zone torride, en Afrique, en Asie et dans les deux Amériques, dans les îles de leurs mers, et jusque dans les plus reculées de la mer du sud. Le rima, qui porte le fruit à pain dans l'île de Taïti, ne lui est pas comparable, quoique quelques philosophes modernes nous présentent cet arbre comme nouvellement découvert, et comme le don le plus précieux que la nature ait fait aux hommes. Il y a longtemps qu'il croît aux Moluques, et que d'anciens voyageurs en ont parlé. D'ailleurs, ses usages relativement à l'homme sont bien plus circonscrits. Il ne lui fournit ni logement, ni vêtemens, ni meubles. Il lui faut d'abord six óu sept ans pour produire ses fruits, qu'il ne donne ensuite que huit mois chaque année. Et s'il a présenté le premier modèle du pain dans sa pâte, qui, cuite au four, se change en mie et en croûte, le bananier donne la sienne tout assaisonnée de beurre, de sucre et d'aromates. Le rima porte des petits pains, et le bananier de la pâtisserie.

C'est donc avec raison que le voyageur Dampierre, qui a fait le tour du monde avec tant d'intelligence, appelle le bananier le roi des végétaux, à l'exclusion du cocotier, que les marins honorent de ce titre, parce qu'ils ne

jugent que de ce qui est à leur portée. Il observe qu'une infinité de familles entre les deux tropiques ne vivent que de bananes. Cet utile et agréable végétal a tant de rapports avec les premiers besoins de l'homme dans l'état d'innocence et d'inexpérience, que j'ai déjà fait remarquer qu'on l'appelle aux Indes le figuier d'Adam. Les Portugais superstitieux qui y abordèrent les premiers, crurent apercevoir, en coupant son fruit transversalement, le signe de la rédemption dans une croix que je n'y ai jamais vue. A la vérité, cette plante présente, dans ses feuilles larges et longues, les ceintures du premier homme, et figure assez bien, dans son régime hérissé de fruits, et terminé par un gros cône violet qui renferme les corolles de ses fleurs, le corps et la tête du serpent qui le tenta. Les brames, au moyen de ses fruits salubres et de son délicieux ombrage, vivent au-delà d'un siècle. Elle croît non-seulement dans toute la zone torride, mais plus de six degrés au-dehors. Les Arabes lui donnent le nom de musa, que nos naturalistes ont adopté; et comme ces peuples ont répandu en Europe les premiers élémens des sciences et des arts après les Romains, je suis tenté de croire que la déclinaison du nom de musa, qui commence le rudiment très-rude de nos enfans, a dû signifier, non une muse dont ils ne

peuvent avoir d'idée, mais le bananier, dont les fruits leur seroient si agréables. Pour moi, en le considérant pour la première fois avec toutes ses convenances, je me dis: Voilà le vrai végétal de l'homme.

La nature ne s'est pas bornée à enrichir une seule plante de tout ce qui pouvoit convenir à nos besoins dans la zone torride. En réunissant dans un seul fruit le beurre, le sucre, le vin, la farine, elle a voulu nous engager à en faire nous-mêmes les combinaisons, en mettant ces substances séparées et pures dans des végétaux d'un autre genre. Elle a créé pour cet effet le palmier, avec ses espèces si diverses en productions. Le bananier, que je regarde comme du genre des glaïeuls, ne réussit bien qu'au fond des vallées, sur le bord des ruisseaux, à l'abri des grands vents, qui déchirent en lanières transversales ses tendres feuilles. Le palmier, au contraire, avec ses feuilles lignées, croît dans les lieux les plus exposés aux tempêtes, depuis le sommet des montagnes jusque sur le bord des mers. Le bananier n'a que des variétés qui, par la ressemblance de leurs fruits, ne conviennent qu'aux besoins d'une seule famille. Le palmier a des espèces qui, par la diversité de leurs productions, peuvent satisfaire à tous ceux d'une tribu.

Il est vrai qu'en considérant le bananier comme une espèce de glaïeul, on peut y joindre, dans le même climat, les balisiers, qui portent différentes sortes de grains, et dont les feuilles larges, tournées en cornets, sont engagées les unes dans les autres; mais ils ne se développent point en parasol, et ils ne présentent point à l'homme des rapports immédiats avec ses besoins.

Ou

Tous les végétaux que je viens de nommer, sans en excepter les palmiers, malgré la magnificence de leur port, paroissent du genre des graminées, parce que leur semence, première pousse, n'a qu'un cotylédon, que leurs feuilles sont renfermées les unes dans les autres, et n'éprouvent, en croissant, qu'un simple développement d'où il résulte que sa tige, à sa naissance, a le même diamètre à sa base que lorsqu'elle a atteint toute sa hauteur. D'ailleurs elle est sans écorce, et ne contient point de véritable bois. Les troncs des palmiers ne sont que des paquets de fibres sans cercles concentriques, et dont le centre est plus tendre que la circonférence. C'est tout le contraire dans les arbres proprement dits. Leurs troncs augmentent de diamètre chaque année, et leurs accroissemens y sont marqués intérieurement par des cercles; ils sont revêtus

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