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algues pourprées furent suspendues en guirlandes aux flancs de ses rochers; et des fucus, semblables à de longs câbles, s'élevèrent du fond de ses abîmes, et se jouèrent dans les flots azurés. Des cèdres et des sapins entourèrent de leur sombre verdure la région des neiges, et agitèrent leurs cimes autour des glaciers qui couronnent les poles du monde. Chaque végétal eut sa température, depuis la mousse, qui, ne vivant que des reflets de l'astre du jour, tapisse les granits du nord, et offre, au sein de la zone glaciale, une chaude litière au renne qui voiture et nourrit le Lapon, jusqu'au palmier, qui, bravant les ardeurs de la zone torride, donne de l'ombre et des fruits rafraîchissans à l'Arabe et à son chameau: chaque site eut son végétal, chaque animal son aliment, et chaque homme son empire.

Heureux qui a vu, dans une île inhabitée et parée encore de ses grâces virginales, quelquesuns des genres innombrables des plantes que la nature y a déposés, suivant ses plans primitifs ! Jamais la main d'une bergère n'assortit avec autant de goût pour son amant les fleurs de sa tête et de son sein, que la nature n'en a mis à grouper les diverses espèces de végétaux, depuis ses sables marins jusqu'aux sommets de ses montagnes, pour les besoins et les plaisirs

des animaux et des hommes qui devoient y aborder.

Quel seroit notre ravissement si nous pouvions voir la sphère entière des végétaux qui entourent le globe, avec toutes les harmonies qui circonscrivent chacun de ses climats, et rayonnent sous tous ses méridiens! Mais si nous ne pouvons voyager sur la terre, la terre voyage pour nous. Après nous avoir mis sous le ciel de la zone glaciale, elle nous transporte peu à peu sous celui de la torride, et nous offre tour à tour les végétaux de ses hivers et de ses étés. Déjà, dans sa course annuelle, elle tourne vers le soleil son pole boréal, appesanti par une coupole de glaces de quatre à cinq mille lieues de tour; et par une nuit et un hiver de six mois, perd sous l'équateur l'équilibre de ses deux hémisphères; elle en éloigne ensuite le pole opposé, allégé de ses congélations par un jour et un été d'une durée presque égale. Notre hémisphère s'échauffe dans toute sa circonférence. Déjà la zone immense de neige qui couvroit l'Europe, la Sibérie, les vastes plaines de la Tartarie, les monts escarpés du Kamtchatka, et les sombres forêts de l'Amérique septentrionale, s'écoule au sein de l'Océan ; le Groënland, le Spitzberg, la Nouvelle-Zemble, voient l'astre de la lumière tourner sans cesse

autour de leur horizon. Des torrens larges et profonds comme des mers se dégorgent des détroits de Baffin, de Davis, de Hudson, de Hischinbrock, de Waigats, et de celui du Nord, qui sépare l'Asie de l'Europe; ils entraînent en mugissant, vers l'équateur, des îles flottantes de glaces élevées comme des montagnes et nombreuses comme des archipels. Souvent elles s'échouent à douze cents pieds de profondeur. Cependant, soit qu'elles voguent avec les courans, soit qu'elles restent immobiles, elles se fondent et renouvellent les mers. De bruyantes cataractes se précipitent de leurs sommets, et des brumes ténébreuses s'élèvent de leurs flancs; les vents étendent dans l'atmosphère leurs vapeurs à demi glacées, et les attiédissent aux rayons du soleil; ils les voiturent dans le sein des continens, et les roulent comme des voiles autour des pics des montagnes qui les attirent. Les unes remplissent les sources des fleuves; d'autres, suspendues au-dessus des vastes campagnes, se saturent des feux de l'astre du jour, et étincellent d'éclairs; le tonnerre se fait entendre, et réjouit le laboureur. Des pluies fines et tièdes pénètrent le sein des guérets; le blé forme son épi; il reçoit du ciel, dans ses feuilles étagées, de longs filets d'eau que, l'hiver, il ne pompoit de la terre que

par ses racines. Les feuilles naissantes, plissées avec un art céleste, rompent leurs étuis résineux, écailleux, laineux, qui les préservoient du choc des vents et de la morsure des gelées. Le gemma empourpré de la vigne, et le bourgeon cotonneux du pommier, se gonflent et se crèvent. Les rameaux des arbres, d'un beau rouge, sont parsemés de gouttes de verdure, et de boutons de fleurs blanches et cramoisies. La végétation, au berceau, entr'ouvre les bourrelets de son enfance, et montre partout son visage riant. Des bouffées de parfums s'élèvent du sein des prairies et des forêts avec les concerts des oiseaux. La vie végétale est descendue des cieux.

O toi, qui d'un sourire fis naître le printemps, douce Aphrodite, belle Vénus, sois-moi fayorable! Tu sors du sein des flots, entourée de Zéphirs et d'Amours; fille du Soleil et de la Mer, brillante Aurore de l'année, viens me ranimer avec toute la nature! Les poëtes et les peintres te représentent, sur notre horizon, devançant le char de ton père, attelé de chevaux fougueux conduits par les Heures; mais, lorsque tu te montres à l'équateur, sur l'horizon de notre pole, tu es la mère de toutes les aurores qui doivent y apparoître. Elles sortent de dessous ton manteau de pourpre, couvertes de perles

orientales, et vêtues de robes de mille couleurs; les jours et les nuits les dispersent sur tous les sites du globe, au sommet des rochers, sur la surface des lacs, parmi les roseaux des fleuves, dans les clairières des forêts. Pour toi, suivie des Saisons, tú couvres d'un seul jet les flancs cristallisés du pole et ses vastes campagnes de neige, de ton voile de safran et de vermillon. Mère du printemps, couronne de tes roses naissantes ma tête, couverte de soixante-trois hivers; console-moi des ressouvenirs du passé, du malaise du présent, et des inquiétudes de l'avenir; ramène ma vieillesse à ces momens heureux de mon adolescence, lorsque, levé à tes premières clartés pour étudier de tristes leçons, l'âme flétrie par des maîtres imbécilles et cruels, à la vue de tes rayons je sentois encore que j'avois un cœur. Apparois-moi comme tu apparus à la création, lorsque notre globe terrestre, à ton premier aspect, tourna sur ses poles et se couvrit de verdure; montre-toi à moi comme tu t'y montreras lorsque, dégagée du poids de mon argile, mon âme, s'élevant de la terre vers le soleil, abordera aux rivages d'un orient éternel!

Viens me guider dans ces vallées de ténèbres et sur ces champs de boue que toi seule vivifies. Je désire rappeler à des hommes ingrats la route,

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