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renflement, formé d'une courbe, lui donne meilleure grâce. Quoique les naturalistes disent que le palmier, à l'exception de toutes les autres espèces d'arbres, a son tronc partout d'un diamètre égal, j'ai cru observer sur des cocotiers que leur tronc étoit renflé dans la colonne, aux deux tiers de sa hauteur. Cette courbe sert à sa solidité, car elle se trouve en arc-boutant avec celle du vent, de quelque côté qu'il souffle.

On ne doutera pas de ces prévoyances de la nature pour raffermir les palmiers contre la violence des ouragans, par celles qu'elle prend dans les mêmes climats pour garantir les autres végétaux de leurs ravages. J'ai vu, à l'Ile de France, un arbre sur des rochers, où ses racines avoient bien de la peine à pénétrer, dont le tronc avoit tout autour de longues côtes faites comme de larges planches, qui lui servoient d'étais et d'appuis; elles avoient, au niveau de la terre, plus de sept pieds de largeur, et elles s'élevoient le long de sa tige à plus de quinze pieds de hauteur.Elles laissoient entre elles, autour de l'arbre, plusieurs intervalles, dont on auroit pu faire autant de petites cabanes. Il sortoit de plus des extrémités de ses branches des cordes végétales qui descendoient jusqu'à terre, y prenoient racine, et devenoient des troncs qui non-seulement supportoient les branches qui les avoient produites, mais

s'élevoient encore au-dessus. Le P. Dutertre en décrit un semblable qu'il a vu à la Guadeloupe, dont les planches, ou arcs-boutans, s'éloignoient du pied de l'arbre de trente à quarante pieds; et son supérieur, dit-il, en vouloit faire un couvent vivant, qui auroit eu ses cellules, sa chapelle et son réfectoire; mais il y avoit trop d'humidité entre ses racines. Il appelle cet arbre figuier admirable. En effet, les extrémités des branches de celui que je vis à l'Ile de France étoient chargées de figues qui pendoient jusqu'à terre; mais ces fruits n'avoient pas de saveur.

La nature n'est pas encore satisfaite de ces précautions individuelles qui mettent les végétaux de ces climats en état de résister aux ouragans qui les agitent; elle garnit les lisières de leurs forêts de fortes lianes. Ce sont des plantes grimpantes, dont quelques-unes sont grosses comme la jambe, et dont l'écorce est élastique et forte comme du cuir de sorte qu'une de leurs lanières est plus difficile à rompre qu'une corde de chanvre de la même grosseur. Ces lianes s'élèvent du pied des arbres jusqu'à leurs cimes, d'où elles redescendent, s'entrelassant dans les arbres voisins, et les liant les uns aux autres comme des cordages, les rendent inébranlables à toutes les secousses de Tatmosphère. C'est dans ces forêts torridiennes

que des ouragans nécessaires, au défaut des hivers, détruisent en un jour des légions d'insectes qui y multiplient toute l'année. En secouant leurs vieux troncs caverneux ils submergent au loin les vaisseaux sur les mers et renversent sur la terre la plupart des monumens des hommes; mais leur voix mugissante annonce encore, au sein de la destruction, une Providence conservatrice de ses propres ouvrages: les tours s'écroulent, les arbres restent.

Si la nature a pourvu à la sûreté des forêts, elle n'a pas oublié celle des prairies. Les herbes ont, comme les arbres, leurs harmonies aériennes. Les graminées, les plus communes de toutes, ont des feuilles souples et menues qui ne donnent point de prise aux vents. Les humbles tiges qui portent leurs épis sont élastiques, cylindriques, et fortifiées de noeuds d'espace en espace. Elles s'appuient les unes contre les autres sans se briser, et lorsque les tempêtes les agitent, elles s'abaissent en se relèvent par de mutuels supports, et imitant par leurs ondulations les flots de la mer. Celles qui, suivant l'expression juste de La Fontaine, naissent sur les humides bords des royaumes du vent, ont des feuilles couchées à la surface des eaux, comme les nymphæa, ou qui se dressent en lames souples, comme les roseaux. Cependant, malgré les

sages précautions de la nature, le chêne estquelquefois renversé par les tempêtes, tandis que le roseau leur échappe par sa foiblesse : image fidèle des conditions de la vie, et dont le bon La Fontaine a fait un apologue admirable.

Les harmonies aériennes de l'accroissement et de la conservation des plantes sont sans doute dignes d'admiration, mais celles de leur dépérissement ne le sont pas moins. Il est remarquable que les tiges sèches des herbes qui meurent tous les ans, et que les feuilles des arbres qui jonchent la terre à la fin de l'automne, résistent, malgré leur extrême fragilité, aux vents, aux pluies et aux neiges, qui font souvent tant de ravages sur les habitations de l'homme; mais elles se détruisent toutes au printemps. Les gousses des haricots et des pois ; les grappes du sumach, du sorbier, du troëne; les baies et beaucoup d'autres semences, restent suspendues. tout l'hiver à leurs tiges, pour servir de nourriture aux oiseaux. Elles ne s'entr'ouvent et ne tombent que dans la saison où elles doivent se reproduire. Les pailles des graminées, et les troncs des chênes morts de vieillesse, se décomposent alors en autant de temps qu'ils ont végété les premières, en une demi-année; les

autres pendant des siècles. L'arbre desséché reste long-temps debout; mais la nature, qui voile partout la mort sur le théâtre de la vie, couvre encore ses branches arides des guirlandes parfumées du chèvrefeuille ou du lierre toujours vert. Si l'arbre est renversé par les tempêtes, des agarics et des mousses de toutes couleurs dévorent et décorent à la fois son vaste squelette. Quelle est donc l'intelligence qui a proportionné dans chaque espèce de végétal la force de ses fibres vivantes aux injures de l'atmosphère, et la durée de ses fibres mortes à celle de son renouvellement ? C'est sans doute celle

qui a voulu, d'un côté, que la terre ne s'encombrât pas par les dépouilles permanentes des végétaux, et qui, d'un autre côté, a voulu qu'elles durassent assez pour offrir des litières, des abris et des nourritures aux animaux pendant l'hiver. C'est enfin le Dieu qui a mis en harmonie les différens âges de la vie humaine et l'ignorance des enfans avec l'expérience des vieillards.

Qui pourroit décrire les mouvemens que l'air communique aux végétaux? Combien de fois, loin des villes, dans le fond d'un vallon solitaire couronné d'une forêt, assis sur le bord d'une prairie agitée des vents, je me suis plu à voir les mélilots dorés, les trèfles empourprés

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