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L'unique soin des enfans est de trouver l'endroit foible de leurs maîtres, comme de tous ceux à qui ils sont soûmis: dés qu'ils ont pû les entamer, ils gagnent le dessus et prennent sur eux un ascendant qu'ils ne perdent plus. Ce qui nous fait décheoir une premiere fois de cette superiorité à leur égard est toûjours ce qui nous empêche de la recouvrer.

La paresse, l'indolence et l'oisiveté, vices si naturels aux enfans, disparoissent dans leurs jeux, où ils sont vifs, appliquez, exacts, amoureux des regles et de la symmetrie, où ils ne se pardonnent nulle faute les uns aux autres, et recommencent eux-mêmes plusieurs fois une seule chose qu'ils ont manquée : présages certains qu'ils pourront un jour negliger leurs devoirs, mais qu'ils n'oublieront rien pour leurs plaisirs.

Aux enfans tout paroît grand, les cours, les jardins, les édifices, les meubles, les hommes, les animaux ; aux hommes, les choses du monde paroissent ainsi, et j'ose dire par la même raison, parce qu'ils sont petits.

Les enfans commencent entre eux par l'état populaire, chacun y est le maître, et, ce qui est bien naturel, ils ne s'en accommodent pas long-temps, et passent au monarchique : quelqu'un se distingue, ou par une plus grande vivacité, ou par une meilleure disposition du corps, ou par une connoissance plus exacte des jeux differens et des petites loix qui les composent;

les autres lui déferent, et il se forme alors un gouvernement absolu qui ne roule que sur le plaisir.

Qui doute que les enfans ne conçoivent, qu'ils ne jugent, qu'ils ne raisonnent consequemment. Si c'est seulement sur de petites choses, c'est qu'ils sont enfans et sans une longue experience; et si c'est en mauvais termes, c'est moins leur faute que celle de leurs parens ou de leurs maîtres.

C'est perdre toute confiance dans l'esprit des enfans et leur devenir inutile que de les punir des fautes qu'ils n'ont point faites, ou même severement de celles qui sont legeres; ils sçavent précisement et mieux que personne ce qu'ils méritent, et ils ne méritent gueres que ce qu'ils craignent; ils connoissent si c'est à tort ou avec raison qu'on les châtie, et ne se gâtent pas moins par des peines mal ordonnées que par l'impunité.

On ne vit point assez pour profiter de ses fautes; on en commet pendant tout le cours de sa vie, et tout faire à force de faillir, c'est de mourir

ce que corrigé.

l'on peut

Il n'y a rien qui rafraîchisse le sang comme d'avoir sçû éviter de faire une sottise.

Le recit de ses fautes est penible; on veut les couvrir et en charger quelque autre : c'est ce qui donne le pas au directeur sur le confesseur.

Les fautes des sots sont quelquefois si lourdes et si difficiles à prévoir, qu'elles mettent les sages en défaut, et ne sont utiles qu'à ceux qui les font.

L'esprit de parti abaisse les plus grands hommes jusques aux petitesses du peuple.

Nous faisons par vanité ou par bienseance les mêmes choses et avec les mêmes dehors que nous les ferions par inclination ou par devoir. Tel vient de mourir à Paris de la fiévre qu'il a gagnée à veiller sa femme qu'il n'aimoit point.

Les hommes dans le cœur veulent être estimez, et ils cachent avec soin l'envie qu'ils ont d'être estimez, parce que les hommes veulent passer pour vertueux, et que vouloir tirer de la vertu tout autre avantage que la même vertu, je veux dire l'estime et les loüanges, ce ne seroit plus être vertueux, mais aimer l'estime et les loüanges, ou être vain: les hommes sont très-vains, et ils ne haïssent rien tant que de passer pour tels.

Un homme vain trouve son compte à dire du bien ou du mal de soy; un homme modeste ne parle point

de soy.

On ne voit point mieux le ridicule de la vanité, et combien elle est un vice honteux, qu'en ce qu'elle n'ose se montrer et qu'elle se cache souvent sous les apparences de son contraire.

La fausse modestie est le dernier raffinement de la

vanité; elle fait que l'homme vain ne paroît point tel, et se fait valoir au contraire par la vertu opposée au vice qui fait son caractere: c'est un mensonge. La fausse gloire est l'écueil de la vanité; elle nous conduit à vouloir être estimez par des choses qui à la verité se trouvent en nous, mais qui sont frivoles et indignes qu'on les releve : c'est une erreur.

Les hommes parlent de maniere, sur ce qui les regarde, qu'ils n'avoüent d'eux-mêmes que de petits défauts, et encore ceux qui supposent en leurs personnes de beaux talens ou de grandes qualitez. Ainsi l'on se plaint de son peu de memoire, content d'ailleurs de son grand sens et de son bon jugement; l'on reçoit le reproche de la distraction et de la réverie, comme s'il nous accordoit le bel esprit : l'on dit de soy qu'on est mal adroit et qu'on ne peut rien faire de ses mains, fort consolé de la perte de ces petits talens par ceux de l'esprit, ou par les dons de l'ame que tout le monde nous connoît; l'on fait l'aveu de sa paresse en des termes qui signifient toûjours son désinteressement, et que l'on est guéri de l'ambition : l'on ne rougit point de sa malpropreté qui n'est qu'une negligence pour les petites choses et qui semble supposer qu'on n'a d'application que pour les solides et essentielles. Un homme de guerre aime à dire que c'étoit par trop d'empressement ou par curiosité qu'il se trouva un cer

tain jour à la tranchée ou en quelque autre poste trèsperilleux, sans être de garde ny commandé, et il ajoûte qu'il en fut repris de son general. De même une bonne tête ou un ferme genie qui se trouve né avec cette prudence que les autres hommes cherchent vainement à acquerir, qui a fortifié la trempe de son esprit par une grande experience; que le nombre, le poids, la diversité, la difficulté et l'importance des affaires occupent seulement et n'accablent point; qui, par l'étenduë de ses vûës et de sa penetration, se rend maître de tous les évenemens; qui, bien loin de consulter toutes les reflexions qui sont écrites sur le gouvernement et la politique, est peut-être de ces ames sublimes nées pour regir les autres, et sur qui ces premieres regles ont été faites; qui est détourné par les grandes choses qu'il fait, des belles ou des agreables qu'il pourroit lire, et qui au contraire ne perd rien à retracer et à feüilleter, pour ainsi dire, sa vie et ses actions: un homme ainsi fait peut dire aisément et sans se commettre qu'il ne connoît aucun livre et qu'il ne lit jamais.

On veut quelquefois cacher ses foibles ou en diminuer l'opinion par l'aveu libre que l'on en fait. Tel dit: je suis ignorant, qui ne sçait rien; un homme dit : je suis vieux, il passe soixante ans; un autre encore : je ne suis pas riche, et il est pauvre.

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