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pêche d'en gagner plusieurs autres de moindre consequence, mais qui tous ensemble l'emportent sur le premier. Il demande trop, pour être refusé; mais dans le dessein de se faire un droit ou une bienseance de refuser luy-même ce qu'il sçait bien qu'il luy sera demandé et qu'il ne veut pas octroyer: aussi soigneux alors d'exagerer l'énormité de la demande, et de faire convenir, s'il se peut, des raisons qu'il a de n'y pas entendre, que d'affoiblir celles qu'on prétend avoir de ne luy pas accorder ce qu'il sollicite avec instance; également appliqué à faire sonner haut et à grossir dans l'idée des autres le peu qu'il offre, et à mépriser ouvertement le peu que l'on consent de luy donner. Il fait de fausses offres, mais extraordinaires, qui donnent de la défiance et obligent de rejetter ce que l'on accepteroit inutilement, qui luy font cependant une occasion de faire des demandes exorbitantes et mettent dans leur tort ceux qui les luy refusent. Il accorde plus qu'on ne luy demande pour avoir encore plus qu'il ne doit donner. Il se fait long-temps prier, presser, importuner sur une chose mediocre, pour éteindre les esperances et ôter la pensée d'exiger de luy rien de plus fort; ou, s'il se laisse fléchir jusques à l'abandonner, c'est toûjours avec des conditions qui luy font partager le gain et les avantages avec ceux qui reçoivent. Il prend directement ou indirectement l'interêt d'un allié, s'il y

trouve son utilité et l'avancement de ses prétentions. Il ne parle que de paix, que d'alliances, que de tranquillité publique, que d'interêt public; et en effet il ne songe qu'aux siens, c'est à dire à ceux de son maître ou de sa republique. Tantôt il réunit quelques-uns qui étoient contraires les uns aux autres, et tantôt il divise quelques autres qui étoient unis: il intimide les forts et les puissans, il encourage les foibles; il unit d'abord d'interêt plusieurs foibles contre un plus puissant, pour rendre la balance égale; il se joint ensuite aux premiers pour la faire pancher, et il leur vend cher sa protection et son alliance. Il sçait interesser ceux avec qui il traite; et par un adroit manége, par de fins et subtils détours, il leur fait sentir leurs avantages particuliers, les biens et les honneurs qu'ils peuvent esperer par une certaine facilité, qui ne choque point leur commission ny les intentions de leurs maîtres : il ne veut pas aussi être crû imprenable par cet endroit; il laisse voir en luy quelque peu de sensibilité pour sa fortune; il s'attire par là des propositions qui luy découvrent les vûës des autres les plus secrettes, leurs desseins les plus profonds et leur derniere ressource, et il en profite. Si quelquefois il est lezé dans quelques chefs qui ont enfin été reglez, il crie haut; si c'est le contraire, il crie plus haut, et jette ceux qui perdent sur la justification et la défensive. Il a son fait digeré par la cour, toutes ses

démarches sont mesurées, les moindres avances qu'il fait luy sont prescrites; et il agit neanmoins, dans les points difficiles et dans les articles contestez, comme s'il se relâchoit de luy-même sur le champ et comme par un esprit d'accommodement; il ose même promettre à l'Assemblée qu'il fera goûter la proposition, et qu'il n'en sera pas désavoüé: il fait courir un bruit faux des choses seulement dont il est chargé, muni d'ailleurs de pouvoirs particuliers, qu'il ne découvre jamais qu'à l'extremité et dans les momens où il luy seroit pernicieux de ne les pas mettre en usage. Il tend sur tout par ses intrigues au solide et à l'essentiel, toûjours prest de leur sacrifier les minuties et les points d'honneur imaginaires. Il a du flegme, il s'arme de courage et de patience, il ne se lasse point, il fatigue les autres et les pousse jusqu'au découragement: il se précautionne et s'endurcit contre les lenteurs et les remises, contre les reproches, les soupçons, les défiances, contre les difficultez et les obstacles, persuadé que le temps seul et les conjonctures amenent les choses, et conduisent les esprits au point où on les souhaite. Il va jusques à feindre un interêt secret à la rupture de la negociation, lors qu'il desire le plus ardemment qu'elle soit continuée; et si au contraire il a des ordres précis de faire les derniers effors pour la rompre, il croit devoir pour y réussir en presser la continuation et la fin.

S'il survient un grand évenement, il se roidit ou il se relâche selon qu'il luy est utile ou préjudiciable; et si par une grande prudence il sçait le prévoir, il presse et il temporise selon que l'Etat pour qui il travaille en doit craindre ou esperer, et il regle sur ses besoins ses conditions. Il prend conseil du temps, du lieu, des occasions, de sa puissance ou de sa foiblesse, du genie des nations avec qui il traite, du temperament et du caractere des personnes avec qui il negocie : toutes ses vûës, toutes ses maximes, tous les raffinemens de sa politique tendent à une seule fin, qui est de n'être point trompé et de tromper les autres.

Le caractere des François demande du serieux dans le souverain.

L'un des malheurs du prince est d'être souvent trop plain de son secret, par le peril qu'il y a à le répandre; son bonheur est de rencontrer une personne seure qui l'en décharge.

Il ne manque rien à un roy que les douceurs d'une vie privée; il ne peut être consolé d'une si grande perte que par le charme de l'amitié et par la fidelité de ses amis.

Le plaisir d'un roy qui mérite de l'être est de l'être moins quelquefois; de sortir du theatre, de quitter le bas de saye et les brodequins, et de jouer avec une personne de confiance un rôle plus familier.

Rien ne fait plus d'honneur au prince que la modestie de son favori.

Le favori n'a point de suite; il est sans engagement et sans liaisons; il peut être entouré de parens et de creatures, mais il n'y tient pas; il est détaché de tout et comme isolé.

Je ne doute point qu'un favori, s'il a quelque force et quelque élevation, ne se trouve souvent confus et déconcerté des bassesses, des petitesses, de la flatterie, des soins superflus et des attentions frivoles de ceux qui le courent, qui le suivent et qui s'attachent à luy comme ses viles creatures, et qu'il ne se dédommage dans le particulier d'une si grande servitude par le ris et la mocquerie.

¶ Hommes en place, ministres, favoris, me permettrez-vous de le dire, ne vous reposez point sur vos descendans pour le soin de vôtre memoire et pour la durée de vôtre nom : les titres passent, la faveur s'évanoüit, les dignitez se perdent, les richesses se dissipent et le mérite dégenere; vous avez des enfans, il est vray, dignes de vous, j'ajoûte même capables de soûtenir toute votre fortune, mais qui peut vous en promettre autant de vos petits fils? Ne m'en croyez pas, regardez cette unique fois de certains hommes que vous ne regardez jamais, que vous dédaignez; ils ont des ayeuls à qui, tout grands que vous étes, vous ne

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