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et M. de Chatillon s'y trouvèrent également pour représenter les deux cultes, et les délégués de chacune des religions s'y rendirent avec des saufs-conduits qui les mettaient à l'abri de tout ce dont ils auraient pu avoir à souffrir de ceux de la religion contraire. Le but de la réunion était de chasser ces Lairous des forteresses et places dont ils s'étaient emparés. On y réussit en effet; mais si un certain nombre rentrèrent dans leurs maisons, les autres restèrent enrégimentés et se retirèrent dans le Larzac, en Rouergue, les uns à la Bastide de Fons, les autres à Maslac, à la Pesade, Canals et autres lieux. Il paraît que les habitants de Millau avaient été faussement accusés d'être d'intelligence avec ces brigands et de les favoriser. Afin de montrer la fausseté de ce reproche et mettre fin à un mal dont tant de personnes avaient à soufirir, ils envoyèrent des émissaires au sénéchal du Rouergue, ainsi qu'aux villes de Villefranche et de Rodez, pour faire ressortir la gravité du mal dont il s'agissait et en demander la répression; et sur leur demande, le sénéchal M. de Caylus convoqua les États de tout le pays à Villefranche pour le 20 janvier 1582. « Vous vous i trouverés, disait la lettre de convocation, avec la Haute-Marche. De faict, estant veneu le délégué, incontinant le dict Millau manda (convoqua) ungs Estats particuliers des esglises du dict pais de la Haute-Marche, lesquels se tinrent les 10, 11 et 12 du dict mois dont fust arresté que chascun se trouveroit aux dict Estats de Villefranche portans chascun la délégation per monstrer chascun ses doléances tant que sera besoinc. »

Les États de Rouergue se réunirent en effet à Villefranche le jour porté par la convocation, c'est-à-dire le 20 janvier 1582, et siégèrent jusqu'au 26 du même mois. Voici quelles furent les mesures adoptées afin de ramener le repos public: Pour remédier aux troubles dont ceux de Maslac se rendent coupables envers le pauvre peuple, les troupes, alors occupées au siège de Varin qui allait finir, s'achemineront vers cette localité aux frais communs de tout le pays, mais la ville de Millau fournira les munitions de guerre, et M. de Broquiès, avec les consuls de Millau et d'autres seigneurs, se transporteront jusqu'à Maslac « per le sommer s'ils veulent rendre le dict fort de Maslac ». Néanmoins on voudrait éviter les frais et dommages que l'arrivée de tant de troupes occasionnerait dans ce pays, et ils attendent l'effet de cette sommation en ajoutant: « Nous avertirés

des choses qui (se) passeront et si ne se veulent rendre, mandés-nous; car incontinent nous viendrons toutes compaignies et marcherons avec le canon ». Le Manuscrit nous abandonne ici, et nous sommes dans l'impossibilité de dire comment se termina cette affaire.

Une nouvelle assemblée des États protestants, que nous croyons avoir été la dernière, fut tenue à Millau le 8 août 1586. M. de Chatillon y fut nommé gouverneur de la ville, et on lui adjoignit un conseil de cinq membres ainsi composé : le seigneur de Sermelets et Honoré de Moncalm, seigneur de Saint-Véran, Devaux, ministre de la parole de Dieu, et Jean de Rochefort et Guillaume Gecest, docteurs et avocats.

Cette assemblée ne peut pas être mentionnée par notre Manuscrit, qui s'arrête quatre ans plus tôt, mais M. de Gaujal en a lu le procès-verbal aux archives de Millau (manuscrits de Colbert) et nous en parle avec étendue dans ses Annales du Rouergue, pag. 457. Ces détails, précieux pour le fait lui-même, ont une autre importance et nous consolent de l'inutilité de nos recherches à Rodez dans le but de découvrir les procès-verbaux des États du Rouergue. Si ces procès-verbaux existaient, il est probable que M. Henri Affre les mentionnerait dans ses précieux catalogues et qu'ils n'auraient pas échappé aux recherches infatigables de M. de Gaujal. S'il les avait trouvés, il ferait certainement pour eux ce qu'il fait pour celui qu'il a découvert à Millau. Il en parlerait et s'en serait servi dans la rédaction de ses Annales. S'ils existent réellement, ce dont personne ne peut affirmer le contraire, il faut du moins convenir qu'ils sont bien cachés.

Avant de nous séparer de notre précieux Manuscrit, nous tenons à indiquer les services qu'il nous a rendus dans l'étude de la question à laquelle nous venons de nous livrer. Grâce à lui, nous avons pu dissiper des confusions et réparer des omissions au sujet des assemblées qui précédèrent et qui préparèrent la grande réunion de Millau. Pour ce qui est de celle-ci, dont on ne connaissait que le personnel et le règlement, nous avons pu répandre un peu plus de lumière sur le compte que les députés des Églises rendirent de leur mission à la Cour, faire connaître le fait, complètement ignoré, de la nomination d'un chef colonel de toutes les Églises de France et la part que

les émigrés protestants prenaient à tout ce qui se passait dans la mèrepatrie. Enfin nous avons dit comment le règlement de Millau fonctionna pendant neuf ans dans une petite province, celle du Rouergue, et donner ainsi une idée de ce qui dut se passer dans les autres.

Mais le profit le plus net qu'il est résulté pour nous de l'étude de ce document, c'est que nous sommes parvenu à nous rendre compte de la nature et du fonctionnement des assemblées protestantes de cette époque, qui étaient bien des réunions d'États. Il est probable que les choses continuèrent ainsi jusqu'à l'Édit de Nantes. Depuis lors les assemblées politiques protestantes revêtirent un caractère différent.

Il est certain que la ville de Millau, dont nous avons beaucoup parlé, conserva longtemps sa haute importance. Ce fut en effet d'une assemblée tenue dans cette ville, le 26 octobre 1620, que partit le cri d'alarme lorsqu'on apprit que Louis XIII voulait traiter toutes les Églises de France comme il avait traité les Églises du Béarn. (Benoit; Histoire de l'Édit de Nantes, tom II, pag. 309.)

ESQUISSE

D'UNE

THÉORIE DES PRINCIPES RATIONNELS

Par M. F. CELLARIER.

CHAPITRE PREMIER.

IDÉE GÉNÉRALE ET BUT DE CE TRAVAIL.

Quand nous parcourons, sous la conduite d'un guide, une région montagneuse et accidentée, l'agrément des sites et la variété des aspects nous séduisent et nous font souvent perdre de vue le but de notre course; nous aimons même à l'oublier, pour ne plus nous occuper que de la beauté des horizons qui s'offrent à nos regards; si bien que les charmes de l'imprévu et les agréables surprises qu'il nous ménage deviennent l'objet même que nous poursuivons. C'est ainsi que l'inventeur d'une aimable fiction nous entraîne à sa suite, à travers les gracieux méandres de son imagination capricieuse, sans que nous songions à exiger qu'il nous déclare nettement où il veut nous conduire ni par quels chemins il prétend nous faire passer. Ce sont là les privilèges de l'imagination armée de ses irrésistibles enchantements. Mais l'austère raison est plus exigeante; et lorsqu'on s'avise d'enrôler les esprits sous sa bannière pour les mener à la conquête de la vérité, on est obligé de leur faire savoir d'où l'on part, où l'on veut aller, et quelle route l'on va suivre. C'est ce que nous ne devons pas perdre de vue, au début d'un travail dont cette raison même est l'unique objet.

Comme l'a dit un grand maître dans l'art de la composition, « tout sujet est un, et, quelque vaste qu'il soit, il peut être renfermé dans un seul discours». Ainsi, le sujet le plus étendu dans ses développements peut toujours être embrassé d'un coup d'œil par l'esprit qui l'a conçu; l'auteur peut donc en tracer d'avance une rapide esquisse, un plan général réduit à ses lignes principales; puis dire à ses lecteurs, en le leur présentant : Voici le point de départ, voilà le point d'arrivée, et c'est l'espace compris entre ces deux limites extrêmes que je vous invite à parcourir avec moi. Voulez-vous m'accompagner dans ma traversée? Bien entendu qu'il leur promettra d'apporter le plus grand zèle et l'attention la plus soutenue dans la conduite du navire, afin d'échapper à un naufrage que nul n'a plus d'intérêt à éviter que lui-même.

Dans un précédent travail (Essai de classification des idées rationnelles), nous avons distribué les idées qui nous viennent de la raison en trois groupes distincts: celles qui représentent la réalité absolue, ou l'être; celles qui représentent les attributs de cet être ; et enfin celles qui ne représentent que des rapports. Mais, quelles que soient ces idées, nous les faisons toutes dériver de l'idée de l'ètre, qui est pour nous l'idée première et fondamentale. De plus, nous ne la considérons pas comme une simple idée, comme une pure notion logique de l'entendement; nous soutenons qu'elle est en même temps une affirmation qui nous donne la réalité de son objet, qu'elle est la source de tous les principes de raison, et qu'elle nous offre ainsi un fondement solide sur lequel nous pouvons élever tout l'édifice de la connaissance. Jetant ensuite un coup d'œil en passant sur ces vérités rationnelles, nous nous plaignons qu'on ne les ait point encore suffisamment étudiées; qu'on n'ait point essayé de les coordonner, de les subordonner; qu'on ne se soit pas rendu compte de leur enchaînement, pour tâcher de les ramener. à un principe unique, dont elles découleraient toutes; et qu'on les ait pas ainsi mises désormais à l'abri de toutes les atteintes du scepticisme. Ce que nous avons reproché aux philosophes de n'avoir point fait, est précisement ce que nous nous proposons d'exécuter aujourd'hui.

On le voit, ce n'est pas une tâche peu rude que nous nous sommes

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