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L'ÉVÊQUE

FRANÇOIS-RENAUD DE VILLENEUFVE

(Né à Aix le 2 avril 1683, mort à Montpellier le 24 janvier 1766)

Par l'Abbé Ferdinand SAUREL

(Suite et fin '.)

TROISIÈME PARTIE

VILLENEUFVE ÉVÊQUE DE MONTPELLIER (1748-1766).

I.

VILLENEUFVE PREND POSSESSION DE SON SIÈGE. LE CHAPITRE

2

CATHÉDRAL.

LES TROIS COLLÉGIALES.

Appelé le 10 avril 1748 à monter sur le siège épiscopal de Maguelone, transféré à Montpellier sous François Ier, Villeneufve devenait le onzième évêque de cette dernière ville. En acceptant ce changement de résidence au déclin de l'âge, il faisait preuve d'une grande abnégation personnelle et d'une soumission aveugle aux volontés du Chef suprême de l'Église, car il connaissait parfaitement et depuis longtemps le pays où on l'envoyait. Au lieu d'un repos gagné par vingt-quatre ans de rudes labeurs,

1 Voir tom. VIII, pag. 343.

2 La translation eut lieu sous l'administration de Guillaume Pellicier 1 (1536). Le siège épiscopal de Montpellier fut ensuite occupé par Antoine Subjet, Guittard de Ratte, Jean Garnier, Pierre de Fenoillet, François de Bosquet, Charles de Pradel, Colbert de Croissy et Berger de Charancy.

il se voyait dans l'impérieuse nécessité de se jeter dans de nouveaux travaux. Dès que sa nomination fut connue, les chanoines de la cathédrale Saint-Pierre lui adressèrent, par politesse, des lettres de vicaire général, qui lui conféraient les pouvoirs les plus étendus sur le diocèse, en attendant son intronisation. La bulle d'institution canonique fut donné par Benoit XIV le 16 des calendes d'octobre (16 septembre) de la même année. Les chanoines, sans rien savoir du jour précis fixé par l'évêque pour son entrée à Montpellier, décidèrent de le devancer et d'envoyer une députation à Nimes pour l'attendre dans cette ville. Or, le matin du jour arrêté pour cette expédition (13 novembre), ils apprirent par le secrétaire de l'évêché que le prélat était arrivé la veille, dans le plus strict incognito, à 8 heures du soir, et qu'il priait les membres du chapitre de se rendre au palais épiscopal pour conférer avec lui et procéder à la cérémonie de son installation. Puis, en leur présence, il prêta le serment que voici :

Ego Franciscus-Reginaldus de Villeneufve, Dei misericordia Monspelien sis Episcopus, juro coram summo Deo et Angelis ejus et promitto vobis charissimis fratribus Canonicis et Capitulo dictæ Cathedralis Ecclesiæ Monspeliensis me statuta Ecclesiæ observaturum, bona ejusdem Ecclesiæ conservaturum, nec aliquid quod ad dictam Ecclesiam seu ejus regimen pertineat sine consilio vestro acturum seu gesturum; turnum quem caviliam vocant et quæ a dicto capitulo in hunc usque diem acta sunt approbans. Sic Deus me adjuvet. F. R. EPISCOPUS MONSPELIENSIS 1.

Le même jour, les Consuls de Montpellier, ayant avec eux leur greffier, <«tous revêtus de leurs robes», se rendirent au palais épiscopal pour y présenter leurs devoirs à l'évêque au nom des habitants de la ville. Le Cérémonial consulaire consignant cette visite relève ce détail que, à leur sortie, les magistrats municipaux furent accompagnés par le prélat «jusqu'au perron de l'escalier...; puis il ajoute : «La Communauté ne lui a fait aucune députation pour aller à sa rencontre, ainsi qu'il avait été pratiqué à l'égard de Charancy3».

1 Reg. des Délib. du Chap., 13 novembre 1748.

2 Arch. municip. de Montpellier. Cérémonial consulaire annuel, n° 7, de 1737 à 1749.

Le 22 novembre, Villeneufve désigna les prêtres qui devaient l'aider dans l'administration de son diocèse'. Ce premier acte d'autorité déplut singulièrement aux jansénistes, qui s'en plaignirent et le blâmèrent dans les Nouvelles ecclésiastiques: ils avaient raison; car, comment ce choix aurait-il pu leur être agréable? C'était la confirmation de l'ancien état de choses; tous les nouveaux titulaires étaient en place sous le précédent évêque, à l'exception d'un seul (l'abbé de La Prunarède), et encore celuici allait-il être nommé lorsqu'une mort subite vint frapper Charancy2.

A l'époque dont nous parlons, le diocèse de Montpellier n'était considérable ni sous le rapport de son étendue, ni sous le rapport de sa population. Resserré par la Méditerranée et par les diocèses de Nimes, d'Alais, de Lodève, de Béziers et d'Agde, il ne comptait que 64,491 habitants, dont 56,250 catholiques et 8,241 protestants. Ses 98 communes étaient divisées en 108 paroisses et groupées en 9 archiprêtrés. Cette organisation fonctionnait depuis longtemps à l'arrivée de Villeneufve, bien que l'auteur de La France pontificale 3 en attribue l'initiave à ce prélat. Le clergé séculier se composait d'environ 255 membres.

Les chanoines de la cathédrale Saint-Pierre étaient au nombre de 24, dont 4 dignités et 4 personnats. L'évêque possédait un de ces 24 canoni

1 Premier grand-vicaire, official du diocèse et vice-chancelier de l'Université de Montpellier, l'abbé François Lenoir, docteur en théologie, abbé de Saint-Sauveur de Lodève, chanoine théologal et grand-archidiacre; ancien bénéficier de l'église métropolitaine de Narbonne et chanoine de Béziers. Devenu chanoine de la cathédrale Saint-Pierre, puis archidiacre, il fut nommé vicaire général capitulaire à la mort de Colbert, et vicaire général et official par Charancy. — Deuxième grand-vicaire, l'abbé Jean-Gabriel de Benoist de La Prunarède, né à Lodève le 21 mars 1717, docteur en théologie, bénéficier majeur de l'église de Lodève, chanoine de celle de Saint-Sernin, abbé commendataire de Saint-Guilhem-du-Désert, chanoinesacristain du chapitre cathédral de Montpellier. — Troisième grand-vicaire, l'abbé FrançoisGabriel de Pomiers de Saint-Bonnet, du diocèse de Vaison, docteur en Sorbonne, abbé de Saint-Polycarpe (au diocèse de Narbonne), curé de la paroisse Notre-Dame des Tables. Promoteur, l'abbé Pierre Panisse, du diocèse de Lodève, chanoine et prieur du chapitre collégial Saint-Anne. — Vice-gérent, l'abbé Gabriel-Ignace Granet, de Valréas (ancien diocèse de Vaison), licencié es-droit, curé de la paroisse Sainte-Anne.

1 Arch. de la famille de La Prunarède, Journal et Livre de Comptes tenus par JeanGabriel de Benoist de la Prunarède.

3 Fisquet; La France pontificale, tom. II, pag. 616.

ciats, uni à sa dignité épiscopale et auquel était attaché le revenu de deux prébendes. On a vu que Villeneufve, dans son serment d'installation, s'était soumis à faire sa semaine, tout comme les autres du chapitre. La cheville, comme on l'appelait, était plutôt un privilège qu'une servitude, puisque son possesseur avait le droit de nommer aux bénéfices dont la collation appartenait au chapitre. A chaque tour, l'évêque avait trois semaines, le prévôt deux et les autres chanoines une seulement. L'évêque, à part sa prééminence hiérarchique, et bien que recevant double prébende et opinant le premier dans les assemblées capitulaires, n'était qu'une sorte de Primus inter pares, subissant dans les délibérations la loi de la majorité, avec le seul avantage de pouvoir faire tomber la balance quand les voix étaient également partagées. En fait de police du chœur, il n'avait d'autre droit que son vote personnel'.

Les relations de Villeneufve avec son chapitre cathédral furent toujours respectueuses de part et d'autre, nous dirons même affectueuses, sans avoir jamais été troublées par la plus légère mésintelligence. L'évêque, doué d'une très grande force de volonté et d'une énergie à toute épreuve en face des difficultés, savait réfléchir et consulter avant de rien. entreprendre, ce qui faisait dire au correspondant des Nouvelles ecclésiastiques: « Ce vieux prélat est apparemment en brassière 2 ». Les chanoines, flattés de cette déférence, conçurent pour sa personne de l'estime. et de la sympathie, et acceptèrent spontanément son influence dans toutes leurs délibérations capitulaires.

Sous son administration, le chapitre fit divers règlements ayant pour objet la décence et la dignité de l'office, règlements pour lesquels, d'après le droit-canon, il avait besoin de l'approbation épiscopale. Lorsqu'il les dressait, il savait qu'il pouvait compter sur l'appui du prélat, et son approbation ne lui manqua jamais 3.

Germain; Gariel.

2 Nouvelles ecclésiastiques du 11 juin 1760, pag. 112.

3 Voir les Délibérations du Chapitre et en particulier celles du 1er septembre 1749 et du 19 novembre 1751. Dans la première on lit: Conformément aux anciennes Délibérations et

à l'usage, les Dignités, Personnats et Chanoines seront tenus de faire la garde dans la nef de l'Église tous les dimanches et fêtes de l'année pendant vêpres, chacun à leur tour ».

A sa réception, chaque chanoine faisait une offrande pécuniaire ayant pour but de pourvoir l'église cathédrale de livres et d'ornements. La somme à verser variait suivant que le récipiendaire était Évêque, Dignité, Personnat ou simple Chanoine. Aucun d'eux ne devait percevoir les fruits de son bénéfice qu'il n'eût payé sa quote part; jusqu'alors les fruits tournaient au profit de l'église; mais l'évêque, vu l'importance de la somme, avait un an et un jour pour se libérer1. Or, Villeneufve était en retard, et on l'avait patiemment attendu, comme on avait fait du reste pour son prédécesseur, qui mourut sans s'être entièrement déchargé. Enfin, le 6 mars 1752, devant les membres du chapitre capitulairement assemblés, il dit qu'il était en état de payer la somme de 6,000 livres et qu'il conviendrait de l'employer avec celle de 4,900 livres dues par la succession de son prédécesseur, pour son reste le droit de chapelle, à l'achat de trois ornements en velours rouge, violet et gris, galonnés d'or. Cette proposition fut acceptée sans discussion 2.

Tout comme les autres corps au XVIIIe siècle, le chapitre cathédral était fort jaloux de ses droits3; aussi doit-on considérer comme une grande marque de déférence pour l'évêque l'autorisation donnée à son aumônier d'entrer au chœur et d'y prendre place avec l'aumusse'. On fut moins coulant envers le prévôt, qui était cependant la première dignité. Celui-ci voulait être respecté et honoré dans sa stalle. Or, il arrivait souvent que, l'office une fois commencé, les chanoines, ses voisins, pour entrer ou sortir, passaient et repassaient par le chemin qui leur était le plus commode, c'est-à-dire entre le siège et le prie-dieu du prévôt, au risque de

1 Délib. du 20 février 1752.

2 D'Aigrefeuille; Hist. de Montpellier, IIe partie, pag. 164.

3 On en jugera par le fait suivant, consigné dans le registre des Délibérations du Chapitre : « M. le Prevot a dit que les Etats ayant fait inviter le Chapitre a assister au service pour S. A. S. Monseigneur le Prince de Dombes, il s'étoit aperçû que M. de Lafages sindic général de la province n'avoit pas fait cette invitation en robbe: qu'il se croyoit obligé d'en faire part au Chapitre, attendu que l'usage étoit de faire cette invitation en robbe. - Sur quoi le Chapitre a déliberé et prié M. le Prevot de faire leurs représentations a Monseigneur l'Archevêque de Narbonne pour le prier de faire observer a l'avenir l'ancien usage. » (Reg. des Délib. du Chap, 24 février 1756 )

4 Reg. des Délib. du Chap. cath., 28 janvier 1754.

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