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Et lorsque plusieurs ans plus tard, Josias, ne se contentant plus d'insérer ses productions dans un recueil, s'avisa de publier un un livre dans lequel il paraissait seul, ses nouvelles lettres furent mises au nombre des plus belles du temps'.

Il ne paraît pourtant pas s'être fait illusion sur ce qui lui manquait. Au milieu de tous ces beaux esprits qui vivaient tous dans l'adoration de l'antiquité, son ignorance des lettres anciennes le mettait dans un état d'infériorité visible. Il voulut, autant qu'il était en lui, effacer ce péché originel et combler les vides de son éducation littéraire. C'est pour cela qu'il entretenait deux hommes à gages, l'un pour lui traduire les auteurs latins, l'autre pour le mettre au fait de la science antique. Cependant, à défaut d'études classiques, il avait beaucoup de finesse naturelle et la pénétration si vive qu'il pouvait juger de tout avec originalité. Aussi Balzac aimait-il à dire « L'on ne trouve pas le fond de sa critique 3. Et si le fameux épistolier n'en faisait pas comme de Chapelain l'éloge en cent endroits divers», du moins il avait souvent ses louanges au bout de la plume et l'opposait toujours dans les disputes de goût à toute l'Université.

Le chevalier ne s'était pas montré si pressé que son frère de se faire imprimer; mais il n'était pas moins en vue, soit à la Cour, soit à la ville. Le roi Louis XIII l'admettait à ses chasses, et, ce qui posait encore plus un honnête homme, l'hôtel de Rambouillet lui ouvrait ses portes. Devant ce tribunal du bon goût et du bel esprit, il jouissait d'un crédit qu'il devait encore plus à son mérite qu'à sa parenté plus ou moins prochaine avec la maîtresse de la maison 5.

Ce qui achevait de lui donner du relief, ainsi qu'à son frère, c'était leur

jusqu'à se laisser attirer par lui à représenter la différence du naturel et de l'affectation par des images par trop réalistes. Cf. livr. XIV, 35, pag. 624: Lettre du 3 décembre 1642.

1 MM. de Gombaud, Plassac, Voiture et Costar en ont fait de celles-là (lettres de galanterie) parmi d'autres. La Bibliothèque françoise de M. C. Sorel. Paris, 1664, in-12, pag, 102. (Sorel, en nommant Gombaud, veut parler de Jean-Ogier de Gombaud.)

Balzac, Lettres. liv. XI, 31, 1er octobre 1639. Entretien XXXVII.

3 Id., Entretien XXXVII de Malherbe à M. de Plassac.

4 Il nous l'apprend lui-même. OEuvres posthumes, pag. 208.

5 Dans une lettre à Plassac, Balzac appelle une dame qu'il ne nomme pas, mais qui paraît

êre Julie d'Angennes votre divine cousine), livr. XIV, lettre 35, pag. 625.

commerce avec celui que l'on reconnaissait en France et à l'étranger pour le plus grand écrivain de notre langue, avec ce Balzac dont on parlait alors, au dire de Pélisson, non pas simplement comme du plus éloquent homme de son siècle, mais comme du seul éloquent'. »

3. MM. DE MÉRÉ ET BALZAC.

Josias et Antoine Gombaud, originaires de la Saintonge, étaient presque les voisins du célèbre épistolaire. Leur fief de Méré était aux portes d'Angoulême, non loin par conséquent du village dont Jean-Louis de Guez avait pris et immortalisé le nom ". Il est donc tout à fait probable qu'ils se mirent de bonne heure en relation avec leur illustre compatriote. Du moins il est certain qu'ils y étaient déjà lorsque Balzac allait encore à Paris 3, cherchait à se pousser dans l'Église et briguait la faveur de Richelieu. On sait que ses espérances furent trompées, et que le cardinal ministre ne se souvint plus des promesses de l'évêque de Luçon". L'ambitieux, déçu, partit un jour de la capitale en toute hâte (septembre 1631) et n'y fit plus désormais que de très rares et très courtes apparitions. Confiné, sur les bords de la Charente, dans la maison dont il portait le nom, ou dans la ville d'Angoulême, il y attendait « que sa bonne fortune vint le chercher et lui fit toutes les avances. Il attendit en vain, mais il ne fut pas oublié dans cet exil volontaire. Telle était et telle se maintint jusqu'à sa mort sa renommée d'incomparable écrivain, que chacun se faisait honneur d'occuper une place dans son souvenir et dans ses lettres. Plassac et Méré y tenaient plus que personne et lui faisaient une cour assidue. Josias venait-il de publier quelque chose, il s'empressait de lui adresser son œuvre nouvelle. Un envoi de ce genre lui valut ce compliment agréablement hyperbolique :

1 Histoire de l'Académie Française. Paris, 1650, tom. II, pag. 76.

2 Bouex, commune de laquelle dépend Méré, est ainsi que Balzac du canton d'Angoulême. 3 Balzac connaissait déjà Méré quand Ménage vint à Paris. Voir plus bas. Entretien VIII. Deux histoires en une, à M. Conrart.

4 Balzac ;

5 Lettres de Balzac, du 6 et du 10 septembre 1631, liv. VII, 2; VI, 40.

6 Lettre à M. de Plassac-Méré, 1er octobre 1639, XIV, 34, pag. 623.

7 Voir à ce sujet une curieuse lettre à Boisrobert, 7 avril 1641, X, 10.

VIII.

3

« Où prenez-vous tout ce que vous écrivez, vous, Monsieur, qui faites peu de voyage au païs latin et qui allez rarement en Grèce ? Sans doute vous prenez toutes ces richesses dans l'idée universelle des choses. Votre âme est naturellement instruite et disciplinée, et vous vous estes fait savant de la mesme façon que les premiers inventeurs des arts et des connoissances1».

Les deux frères partageaient leur temps entre Paris et la province. Comme dans leurs terres de Saintonge et de Poitou ils n'étaient pas loin de Balzac ou d'Angoulême, ils ne manquaient pas, chaque fois qu'ils y revenaient, d'aller rendre visite à leur illustre voisin. Ils l'amusaient alors par les agréments de leur esprit et flattaient sa vanité en parlant toujours de lui sur le ton de l'admiration.

Balzac n'était pas insensible à toutes ces caresses, et montrait pour les deux frères une affection réelle, quoique l'expression en soit toujours, suivant son habitude, étrangement emphatique. C'est lui qui inspira à Ménage le désir d'entrer en relation avec le chevalier. « Toutes vos belles qualités, écrivait plus tard le docte Angevin à Méré, « me furent un jour représentées par notre cher ami M. de Balzac avec toute la pompe de son éloquence, et comme j'étois un jeune homme avide de connoissances illustres, elles excitèrent en moi un extrême désir de vous connoître 2». Dans une lettre à Chapelain, son correspondant le plus habituel et le plus intime, l'ermite de la Charente nous renseigne encore mieux sur ses rapports avec Josias et Antoine. Je souhaiterois, écrivait-il à la date du 20 octobre 1641,

qu'il vous plust faire entendre par quelque sarbatane à MM. de Méré que je les honore et les estime extrêmement. Ce sont personnes qui m'ont tesmoigné hautement leur amitié et de qui j'ai reçu mille bons offices ».

Chapelain n'avait pas de commerce avec les deux frères; il choisit pré

1 Lettre du 1er octobre 1639. Ed. de 1665, tom. I, pag. 623, livre XIV, lettre 34.

↑ Observat. sur la langue franç., épitre dédicatoire.

3 Lettres familieres de Monsieur de Balzac à Monsieur Chapelain. Paris, Aug. Courbé, 1646, in-8, livre VI, pag. 702. M. Tamizey, qui cite cette lettre (Lettres de Jean Chapelain, tom. I, pag. 755, note), n'en donne pas la date, et, probablement avec raison; cette date doit être antérieure au mois d'octobre 1641, puisque Chapelain y fait allusion le 23 novembre 1640.

cisément comme sarbatane pour envoyer le compliment de Balzac, Ménage, cet équivoque ami de MM. de Méré, qui ne se gênait pas, nous l'avons vu, pour colporter des médisances sur l'origine de leur fortune.

Une autre connaissance commune au grand écrivain et aux deux gentilshommes du Poitou était un certain M. de La Thibaudière, originaire de l'Angoumois. Josias et Antoine le rencontraient à Paris chez la marquise de Rambouillet et le retrouvaient en province dans la maison de Balzac. Ce La Thibaudière avait des prétentions au bel esprit, et, quoique à peu près inconnu aujourd'hui, est curieux à connaître, ne fût-ce que pour avoir une juste idée des sentiments intéressés qui groupaient tant de personnes autour de « l'unique éloquent ». Son illustre ami l'appelle familièrement le Gros, trouve son amitié babillarde et ambitieuse, et dit brutalement en parlant de lui: « Il se verra dans mon latin et dans mon discours, et, s'il ne m'aime que pour être imprimé, voilà, à mon avis, de quoi satisfaire sa vanité et par conséquent de quoi redoubler son affection1».

Se voir imprimé : n'était-ce pas le désir uniforme de tous ceux qui faisaient les empressés autour de Balzac, de MM. de Méré comme de Chapelain, le plus assidu et le plus complaisant de tous? Entre ces courtisans de l'homme qui, disait-on, faisait des lettres pour l'éternité, il y avait bien des jalousies; quand le glorieux ami daignait écrire à l'un d'entre eux une de ces épitres qui semblaient des brevets d'immortalité, l'heureux privilégié faisait grand éclat de sa bonne fortune; mais si la louange ne répondait pas à ses espérances, il était honteux et confus et se faisait forcer la main pour laisser voir la pièce, incomplète à son gré 2. La correspondance de Chapelain avec Balzac est précieuse à cet égard; elle nous montre au vif toutes ces petites misères dont on avait soin du reste d'amuser la solitude du grand homme. Celui-ci se plaisait certainement à ces rivalités et, dans ses lettres ainsi que dans ses conversations, prenait un malin plaisir à opposer ses courtisans l'un à l'autre.

MM. de Méré n'étaient pas plus que les autres à l'abri de ce jeu égoïste.

Lettre XXVII du livre XXII, citée par M. Tamizey, Lettres de J. Chapelain, I, 725, note 2. 2 Voir un exemple d'un semblable désappointement dans les Lettres de J. Chapelain, 4 novembre 1640, tom. I, pag. 715.

Un jour, Plassac avait, dans un entretien, loué Montaigne aux dépens de Cicéron; La Thibaudière, qui était en tiers dans sa conversation, lui dit avec vivacité' : « Vous avez beau estimer votre Montaigne plus que notre Cicéron, je ne saurais m'imaginer qu'un homme qui a su gouverner toute la terre ne valût pour le moins autant qu'un homme qui ne sut pas gouverner Bordeaux ». Balzac rappelait plus tard cette saillie, avec une secrète satisfaction, à Gandillaud, président d'Angoulême et neveu de La Thibaudière.

Les choses ne se passaient pas toujours aussi agréablement pour son repos. Ces amis de sa gloire, encore plus que de sa personne, étaient naturellement jaloux les uns des autres et compromettaient souvent son nom dans leurs rivalités. Il eut particulièrement à souffrir de leurs querelles, à l'occasion de MM. de Méré et de Chapelain. Ce dernier, qui semble n'avoir connu les deux frères que par son intermédiaire et seulement en 1640, ne paraît pas avoir eu pour eux une sympathie bien vive. Les médisances de Ménage sur l'origine suspecte de leur fortune en étaient peut-être la cause; mais il se mêlait aussi dans cette défiance envers les favoris de son glorieux correspondant un peu d'égoïsme et de jalousie. Il avait appris avec peine de M. de La Thibaudière, qui l'avait dit en présence de Plassac, que Balzac se proposait de dédier au chevalier de Méré son Barbon, et qu'en tête du livre il lui donnait le titre d'honnête homme. Ces sentiments intéressés percent dans les lignes suivantes: « Le mesme M. Mesnage est la sarbatane par laquelle j'ai fait tenir vos beaux vers au chevalier. A la première vue, je saurai comment il aura receu cette grâce, et selon cela je verrai s'il mérite le titre d'honnête homme que vous lui donnez à la tête de votre Barbon 2. » La défiance persiste après même que Balzac a fait l'apologie de Plassac contre les accusations de Ménage, et Chapelain le montre bien quand il écrit à son ami: « Je veux croire qu'il est digne du titre que vous lui avez donné dans votre dédicace3». - Revint-il à la charge sur ce sujet? On ne le sait. Malheureusement ses lettres

• Entretiens pag. 406.

2 Lettres de Chapelain, 23 novembre 1640, pag. 725.

3 Ibid., 15 décembre 1640, pag. 735.

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