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DES SCIENCES ET LETTRES DE MONTPELLIER.

MÉMOIRES DE LA SECTION DES LETTRES.

ANTOINE GOMBAUD

CHEVALIER DE MÉRÉ

SA FAMILLE, SON FRÈRE ET SES AMIS ILLUSTRES

Par M. REVILLOUT:

Connaissez-vous le chevalier de Méré? demandait, le 1er janvier 1848, Sainte-Beuve à son public. Et pour faire connaître cet oublié, il composait un de ses plus charmants portraits. Depuis cette Notice, déjà vieille de trente-six ans, l'écrivain qu'elle a mis en pleine lumière n'est plus rentré dans l'obscurité. De nouvelles études l'ont même grandi, et son nom vient d'être, dans une publication récente, accolé presque sur un pied d'égalité avec celui de Pascal 1. Cette gloire posthume aurait peut-être étonné ses contemporains, Mme de Sévigné surtout, elle qui n'en parle qu'une seule fois, mais pour lancer contre lui cette dédaigneuse saillie : « Corbinelli abandonne le chevalier de Méré et son chien de style, et la ridicule critique qu'il fait en collet monté, d'un esprit libre, badin et charmant comme Voiture tant pis pour ceux qui ne l'entendent pas 2. »

C'est en effet en attaquant Voiture que le chevalier, célèbre seulement

1 V. dans le Correspondant trois articles de M. Nourrisson: Pascal et le chevalier de Méré. A Mme de Grignan, 22 novembre 1679.

VIII.

1

jusqu'alors par ses succès d'homme à la mode, commença à se faire un nom comme auteur. Plein de lui-même, et contemplant du haut de sa raison tout le reste du monde avec pitié, il se considérait comme l'honnête homme excellence par on sait le sens de ce mot au xvII° siècle et se proposait pour l'arbitre souverain du goût et de la justesse en toutes choses. Malgré ses grands airs et ses prétentions au naturel, ce collet monté ne me semble qu'un continuateur du bel esprit dont il s'est fait le juge sévère'. Comme lui, il donne un tour ingénieux à ce qu'il écrit; il aime la bagatelle, il se complaît dans la finesse du trait, et mérite souvent le reproche qu'adressait à Voiture et à ses imitateurs un moraliste étranger et puritain: «Il semble qu'en lui l'écrivain ait englouti l'homme. »

Sainte-Beuve était sans doute du même avis, puisqu'il a surtout apprécié l'auteur; mais les écrits donnent envie de mieux connaître l'homme, de le replacer dans son milieu, parmi ses amis et dans sa famille, et de reconstituer sa biographie, s'il est possible. L'entreprise, on ne saurait se le dissimuler, est assez difficile. Ce personnage vaniteux qui parle si souvent, ou, pour mieux dire, qui ne parle que de lui-même, semble avoir pris à tâche de dérober aux regards tous les faits précis qui pourraient éclairer sa vie. Pour mieux dépister la curiosité, non seulement il supprime toute date et laisse en blanc presque tous les noms de ses correspondants, mais il mêle à dessein des lettres de toutes les époques; de sorte qu'il est impossible de discerner celles qui se rapportent à ses dernières années de celles qu'il écrivait lors de ses débuts dans le monde. S'il n'a pas voulu que la postérité pût le connaître, il a parfaitement, on doit l'avouer, réussi dans son dessein. Il a si bien fait que, quinze ans seulement après sa mort, l'abbé Nadal, éditeur de ses œuvres posthumes, semble avoir ignoré son

1 Je le soupçonne fort d'avoir été de ceux qui sont frivoles dans le sérieux et pédants dans le frivole. Sainte-Beuve; Le chevalier de Méré, ou de l'honnête homme au xvп° siècle. Portraits littéraires, édit. Garnier frères. 1878, tom. III, pag. 85.

2 Muralt; Lettres sur les Anglois et les François, 1725, in-8, pag. 373. Louis Béat de Muralt était un gentilhomme suisse et piétiste qui visita la France sur la fin du règne de Louis XIV.

3 C'est la remarque faite déjà par M. Sauzé: « Il semble qu'il ait voulu cacher sa vie et rendre ses lettres muettes en leur ôtant presque tous les noms des lieux ou d'individus et n'y mettant jamais de dates. Le nom du chevalier de Méré, le lieu et la date de sa mort, pag. 7.

nom patronymique'. Aussi lorsque, en 1738, le libraire de Paris, Gabriel Martin, eut à rédiger le catalogue de la riche bibliothèque formée par le comte de Hoym, ambassadeur du roi de Pologne à la Cour de France, il fut fort embarrassé pour savoir quel était ce chevalier de Méré dont les œuvres figuraient dans la collection. A tout hasard, il le nomma: « Brossin, Georges, chevalier, marquis de Méré». La confusion était, il faut en convenir, facile à commettre. Méré, l'écrivain, le maître du goût et des belles manières, n'avait jamais joué de rôle public; il était mort, à la fin de 1684, pauvre et oublié, dans un village, au fond d'une province, il y avait plus d'un demi-siècle; l'autre Méré, beaucoup plus jeune, puisqu'il était né en 1630, était mort aussi plus récemment. C'était un personnage en vue. Son nom était tout au long dans les États de France, parmi les chevaliers de Saint-Michel . Il avait, sous le nom de chevalier de Méré, figuré dans la Gazette, à cause de sa brillante conduite au combat de Gigeri (1664). Comment ne pas s'y méprendre !

L'erreur de Gabriel Martin fut acceptée quatre ans plus tard, non sans quelque hésitation pourtant, par l'avocat Michault, dans les Éloges de quelques écrivains françois, publiés en 1742 par Philippe-Louis Joly, chanoine de la Chapelle aux Riches de Dijon. Elle passa de là, et cette fois sans aucune réserve, dans le supplément au Dictionnaire de Moréri (1749). Et depuis, comme le dit un savant de nos jours, « tous les écrivains qui se sont occupés du chevalier de Méré l'ont appelé Georges de Brossin. Jamais moutons de Panurge n'ont mieux sauté ».

Cette confusion n'a pas été la seule mésaventure arrivée à la mémoire de Méré. Non seulement on a pris et l'on prend même encore pour lui un gen

1 Il ne l'indique pas du moins et se contente de parler de son père sans désigner celui-ci par son nom ou son prénom.

2 « Chevaliers de l'ordre de Saint-Michel M. George Brossin, marquis de Méré, maistre de camp de cavalerie, cy-devant capitaine au régiment des gardes du roi.» États de France, 1686, tom. II.

3 Dijon, Marteret. Ce livre est dédié au président Bonhier, qui a écrit de sa main, dans l'exemplaire appartenant à la Bibliothèque de l'École de Médecine de Montpellier, Ff, 1009. le nom de l'auteur principal, l'abbé Joly.

M. Maltouche: Revue de l'Aunis, de la Saintonge et du Poitou, 25 juillet 1868, pag. 399. Maltouche est le pseudonyme de M. Théophile de Brémond d'Ars.

5 Comme le fait M. Nourrisson dans son intéressant travail: Pascal et le chevalier de Mérė.

tilhomme tourangeau qui portait le même titre seigneurial, mais on a grand'peine à le distinguer dans sa jeunesse de son propre frère, bel esprit comme lui. Heureusement, grâce aux recherches récentes de ses compatriotes de l'Ouest, il est maintenant possible de sortir de ce pêlemêle et de se retrouver à peu près au milieu de toutes ces confusions'

:

1 L'abbé Nadal, dans son édition des OEuvres posthumes de M. le chevalier de Méré; Paris Jean et Michel Guignard, 1700, in-8, publia le premier, sur la vie du chevalier, des détails qu'il devait sans doute à la belle-sœur de celui-ci, la marquise de Sepvret. Dans cette biographie fort incomplète et même erronée sur plusieurs points importants, il ne donne pas le nom patronymique de Méré. La confusion de l'auteur des lettres avec Georges Brossin, une fois faite, a été reproduite dans les Éloges de quelques auteurs françois, 1742, puis dans le Nouveau supplément de Moreri, 1749; elle est répétée par Dreux du Radier, Feller, Briquet, la Biographie Michaud, Montmerqué (édition des Historiettes de Tallemant des Réaux, 1840, pag. 227, note 2), et beaucoup d'autres. Cependant M. Laisné avait déjà signalé l'erreur: « Les dictionnaires historiques et les biographies, avait-il dit dès 1836, ont tous confondu Georges de Brossin, chevalier de Méré, avec le chevalier de Méré, de la maison de Gombauld de Plassac, en Saintonge et Poitou, homme de cour et bel esprit du règne de Louis XIV. La conformité du nom seigneurial et celle des alliances ont sans doute beaucoup contribué à cette erreur. Cependant, parmi les nombreux écrits du chevalier de Méré, il en existe un le Discours sur l'Esprit, imprimé à Lyon en 1690, qui eût dû éclairer les biographes sur sa famille, car dans les initiales de ses noms on ne trouve point celle de Brossin. Cet opuscule est publié par M. A. G. C. S. D. M., c'est-à-dire par messire A. Gombauld, chev. seigneur de Méré (terre située en Poitou, à une demi-lieue de Niort, et différente de Méré-le-Gaultier). Ce gentilhomme, qui avait porté le nom de Plassac dans sa jeunesse, appartenait à une famille protestante. Madame de Gombauld, sa mère, fille de Paul Maillé de la Tour Landry, comte de Châteauroux, était proche parente de Claire Clémence de Maillé-Brézé, épouse du grand Condé.» (Archives générales de la noblesse de France, tom. V, 1836, art. Brossin de Méré.) Cette importante remarque du savant généalogiste passa inaperçue. A l'exception de M. Paulin Paris, qui en profita dans son édition de Tallemant (Paris, Techener, 1856, tom. IV, pag. 115), tous ceux qui se sont occupés depuis du chevalier de Méré: Bouillet, Hoefer, Dezobry, Collet, SainteBeuve, M. Havet, continuèrent à l'identifier avec Georges de Brossin. Mais en 1867, M le marquis de Rochåve, en publiant une lettre inédite de Méré, flaira du louche dans la question et appela l'attention de la critique sur la parenté du chevalier (Revue de l'Aunis, de la Saintonge et du Poitou. La Rochelle et Niort, 25 décembre 1867, pag. 346); M. Beauchet-Filleau, dans la même Revue (25 mars 1868) chercha la solution du problème et passa à côté, faute d'avoir osé renoncer à l'erreur commune. Plus hardi et plus heureux, M. Maltouche, en se servant des indications de Laisné, parvint à trouver la place de l'écrivain parmi les Gombaud de Saintonge (même Revue, 25 juillet 1868). M. le docteur C. Sauzé (même Revue, décembre 1868) compléta la démonstration et reproduisit l'acte de décès du chevalier. Puis, l'année suivante, M. le comte Anatole de Brémont d'Ars, aujourd'hui président de la Société archéologique de

21. FAMILLE DU CHEVALIER DE MÉRÉ.SON FRÈRE JOSIAS DE BLASSAC.

Antoine Gombaud, chevalier, puis seigneur de Méré, descendait d'une famille noble, originaire de Saintonge, où elle possédait les seigneuries des deux Briaignes, de Javersac et de Champfleury'. Son père se nommait Benoit et appartenait à une branche cadette de cette maison fils de Jean Gombaud et de Claude de Livenne, il est en 1604 qualifié de chevalier, gentilhomme de la chambre du roi, seigneur de Meray (Méré), de Montbreulle, de Lesguille, de Lescaille et de Boissay (Beaussais). Ailleurs on l'appelle simplement seigneur de Beaussay et de Mairé. L'abbé Nadal en fait de plus un chevalier des ordres du roi et dit qu'il avait appartenu aux princes de Condé. « Que veulent dire ces derniers mots? on ne le voit pas clairement. Mais ceci est hors de doute dans les guerres de religion, Benoit fut du parti de la Ligue. On le trouve en 1588 au nombre des gentilshommes qui se mirent à la tête d'une entreprise formée contre le duc d'Épernon à Angoulême. Il épousa Françoise-Élisabeth de La Tour de Landry, qui possédait une seigneurie dans le Poitou, et il mourut le 29 mars 1620, époque où sa veuve renonce à la communauté ayant existé entre elle et son feu mari. Il laissa de son mariage trois fils et quatre filles Charles, Josias, Antoine, Françoise, Jeanne, Catherine et Charlotte. Antoine, le troisième des enfants mâles issus du mariage de Benoit Gombaud et de Françoise de la Tour Landry, fut notre chevalier.

Nantes, eut l'heureuse pensée de réunir en brochure ces différents articles sous le titre de : Le chevalier de Méré, son nom patronymique, sa famille, etc. Niort, L. Clouzot, 1869, in-8. Voir, en outre, deux notes fort érudites de M. Philippe Tamizey de la Roque : 1o dans les Mélanges historiques, choix de documents, tome I, Paris, impr. nat, 1873; Lettres de Balzac, pag. 627;2o dans les Lettres de Jean Chapelain, tom. I, pag. 715, note 2.

1 Voir le mémoire, cité plus haut, de M. Maltouche, pag. 400 et suiv.

2 Bulletin de la Soc. des Arch. historiques de la Saintonge et de l'Aunis, tom. II, pag. 131.

3 M. Maltouche, pag. 407.

▲ Acte du 29 mars 1620, cité par M. Beauchet-Filleau, pag. 162.

5 Marvand; Études sur l'Angoumois, pag. 304.

• Acte du 29 mars 1620, cité par M. Beauchet-Filleau dans le Recueil de M. de Brémond pag. 10.

d'Ars: Le chevalier de Méré,

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