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Je veux vous parler du concert donné, le 22 avril dernier, par les sociétés chorales de Nérac et de Condom.

Il serait injuste d'établir une comparaison entre les deux Orphéons; leurs ressources et leurs moyens sont trop inégaux. Une société naissante, quelle que soit la bonté de ses éléments comme voix ou connaissances musicales, ne peut combattre qu'avec désavantage contre une rivale déjà expérimentée. Je crois devoir attirer et retenir l'attention de nos jeunes orphéonistes sur un point essentiel ils doivent se défier des bravos qu'on leur a prodigués et qu'on leur prodiguera pour enhardir leur début. Ils devront se souvenir qu'on encourage un accessit aussi bien qu'un premier prix, et que, pour conquérir des trophées véritables, il faut lutter longtemps avec les difficultés de leur art. J'espère. que les chanteurs nos compatriotes ne verront pas dans ces réflexions la critique d'un ennemi, mais les conseils d'un ami dont toutes les sympathies leur sont acquises, et qui est heureux d'enregistrer les qualités dont ils ont fait preuve.

Le Salut aux chanteurs de Thomas (premier morceau du concours), a été rendu par la société condomoise avec entrain; elle a enlevé les suffrages des auditeurs. Disons, en passant, que ce morceau s'appropriait singulièrement au style de nos chanteurs, qui se font surtout remarquer par leur fougue et leur énergie. Le Chœur des Buveurs, de L. de Rillé, a été également bien traduit. Ils ont été plus faibles dans la Retraite, qui exige plus de science.

Je ne vous dirai qu'un mot de la société chorale de Nérac. Sous la direction d'un maître habile et dévoué, elle a acquis beaucoup de tactique musicale. Elle chante avec ensemble et manifeste un tel sentiment des nuances qu'on pourrait lui reprocher un peu d'affectation.

Elle a bien exprimé la Tarentelle. La St-Hubert lui a surtout valu de grands éloges.

Les honneurs de cette séance artistique ont été pour un soliste, M. B..., dont le talent vocal jouit d'une juste notoriété. Il a chanté avec un timbre pur et sympathique une excellente méthode, une grande sûreté d'intonation les morceaux les plus ardus.

NÉCROLOGIE.

R.

Chaque jour le destin multiplie les pages sombres du nécrologe. Il frappe si fréquemment autour de nous que

nous osons à peine dénombrer ses victimes. Il avait exceptionnellement respecté, durant près d'un siècle, celle qu'il vient d'atteindre. Madame la comtesse douairière de Cadignan, naguère descendue dans la tombe, était plus que nonagénaire. Néanmoins, comme sa longue vic n'avait été qu'une continuité de bienfaits mystérieux, le deuil a été public. Elle personnifiait toutes les noblesses, celle du cœur, de l'intelligence et de l'origine. Son pays natal était l'Ecosse, patrie chevaleresque de l'honneur et de la fidélité. Elle avait vu le jour dans le vieux manoir des Hunter (1), dont le nom et les armes parlantes témoignent que les fondateurs de cette maison foulèrent primitivement les lichens druidiques et les bruyères giboyeuses des Higlands. Elle avait épousé le continuateur du nom historique de Dupleix, le baron Anne Guy, comte de Clarens et de Cadignan, premier fauconnier de Monsieur et colonel du régiment d'Artois, alors émigré en Angleterre. Le veuvage la surprit après une courte période conjugale.

Paris était devenu la résidence de celle que nous regrettons. Plus tard, à la sollicitation de son oncle, M. l'abbé de Cadignan, ex-grand vicaire de l'archevêque de Rheims, elle vint se fixer à Condom.

Sous la restauration, elle était admise dans l'intimité de la famille royale. La cour prisait sa grâce et son esprit. Dans son culte des belles choses, elle avait transformé son hôtel en un musée de peinture et de céramique. L'école italienne s'y trouve représentée par quelques toiles magistrales. Plus jalouse encore d'embellir la maison de Dieu que sa propre maison, elle prêta à notre petite église de St-Michel quelques tableaux pour la décoration de son sanctuaire.

(1) Hunter, en anglais, veut dire chasseur.

Madame la comtesse douairière de Cadignan était, depuis quelques années, atteinte de cécité, mais la lumière intérieure rayonnait toujours dans sa causerie. Quand elle laissait tomber son obole dans la main des malheureux, elle paraissait heureuse de son infirmité. Jusqu'à sa dernière heure elle a conservé la plénitude de ses facultés. Desséchée par la vieillesse, la noble moribonde a exhalé son souffle dans l'infini. Le front placide, elle s'est endormie dans l'immense nuit, espérant, sans doute, que ses yeux vides et clos depuis longtemps se rouvriraient à la clarté céleste. J. N.

DÉFAILLANCE DE L'ART EN PROVINCE (4).

Au point où nous en sommes, doutera-t-on encore que le sentiment de l'art se soit profondément altéré dans la masse de la nation? Qu'on parcoure nos provinces, qu'on prenne la peine d'en examiner les ouvrages modernes, et d'en observer les ouvriers. Partout l'éternel et morne placage de Vignole, avec sa symétrie tyrannique, ses fausses portes, ses fausses fenêtres, ses balustrades ventrues, ses cheminées honteuses de se montrer, son ornementation bavarde, inconsistante et vaine, sa construction menteuse; nul rapport entre la destination et le style, entre les matériaux et l'appareil: la convenance sacrifiée à l'effet, sans la consolation de l'avoir atteint; des plafonds en plâtre blanc, de froides vitres incolores, de sèches menuiseries, une serrurerie plate et dissimulée, des meubles pour la confection desquels il a fallu mettre le bois à la torture, des étoffes visant au trompe-l'œil; en un mot tous les artifices et toutes les aberrations du faux goût.

L'unité de vues avait créé entre les divers arts du moyen-âge une discipline sévère et une étroite solidarité; on a cru depuis que leur indépendance réciproque serait un progrès; et, chose inouïe jusque-là, la sculpture et la peinture apprirent à se passer de l'architecture; grâce à une esthétique de nouvelle invention, la statue et le tableau ne sont plus considérés comme une écriture figurée et vivante, inséparable du monument dont elle a pour fonction essentielle de développer la pensée; on a cessé de sentir que le monument est leur cadre nécessaire et rationnel, et que, s'il exige de leur part une subordination qui n'est point de la servitude, il leur fournit d'amples compensations dans la puissance et dans la majesté qu'il leur communique. Aujourd'hui que

(1) L ́Architecture française considérée en province.

les ouvrages de peinture et de sculpture sont devenus des objets mobiliers, sans rapport et sans communauté d'idée ou même de convenance avec les édifices qu'ils sont chargés de décorer, on peut en former des magasins ou des musées, mais on n'en fera pas sortir des monuments.

Mais c'est surtout dans nos cathédrales telles que nous les ont laissées les deux derniers siècles que la défaillance du sentiment se montre le mieux à nu; il ne s'agit ici ni de leurs mutilations, ni de leurs déprédations, ni de leurs dégradations; elles ont été dépouillées de leurs vitraux, de leurs statues, de leurs peintures, de leurs émaux, de leur ameublement, de leurs joyaux de tout genre, soit ces méfaits sont accomplis, et si nous en portons la peine, ce n'est pas nous du moins qui en portons la responsabilité. Mais que dire de leur arrangement actuel; de ces autels à l'italienne outrageusement plaqués contre les vénérables colonnes; de ces grilles Pompadour brutalement entaillées dans l'épaisseur des murs; de tout ce mobilier de salle à manger ou de théâtre, peint en faux bois, en faux bronze et en faux marbre, où la nullité de l'idée le dispute à l'impertinence de la forme, qui masque les bases magistrales des piliers, les arcatures, les piscines, et tous ces charmants accidents d'une architecture souverainement souple et indépendante; que dire enfin de ces châssis de tableaux sur toile, niaisement accrochés aux colonnes, tantôt obstruant les arcades, tantôt aveuglant les verrières, avec leurs peintures mondaines, leurs anges-cupidons, leurs Hercules, leurs Jupiters, leurs Vénus, déguisés en saints et en saintes, et posant à l'envi pour faire valoir des nus bien caressés? Sans invoquer le sentiment chrétien, qui devrait au moins être respecté dans ces monuments dont la foi de nos aïeux a cimenté les pierres, comment comprendre que le simple bon goût et le simple bon sens aient été aussi effrontément foulés aux pieds? Et pourtant, toutes ces choses subsistent, elles s'étalent tous les jours à nos regards, au sein de nos cités, au soleil du XIXe siècle, et nos regards les supportent; ce qui ne nous empêche pas d'être le peuple le plus délicat et le plus élégant du monde.

PIERRE BÉNARD.

MISCELLANÉES.

A propos de la rectification des titres nobiliaires, un journal propose de donner un nom caractéristique à l'ancienne bourgeoisie qui compte des hommes bien nés et de haute fortune, ce qui équivaudrait aux désignations de squire en Angleterre, et de hidalgo en Espagne. La dénomination de messire serait adoptée comme la plus convenable.

Ligier, qui est souvent descendu à Auch et à Fleurance, pour m'exprimer à la manière d'un critique de circonstance, a fait dans la dernière quinzaine plusieurs ascensions sur les théâtres d'Agen et de Nérac. L'apparition du grand tragédien sur cette dernière scène nous a fait ressouvenir du triolet de Banville, sur l'acteur Néraut. Sans avoir l'in

tention et sans commettre l'injustice de l'appliquer au ménechme moderne de Louis XI, nous reproduisons ici le fragment des odes funambulesques :

Le grand mérite de Néraut
Lui vaut un renom légitime.
La critique fait sonner haut
Le grand mérite de Néraut.
A Nérac, Néraut, en héraut,
Obtiendrait un succès d'estime.
Le grand mérite de Néraut
Lui vaut un renom légitime.

La petite ville de St-Esprit vient, par un rescrit du Souverain Pontife, d'être détachée du diocèse d'Aire, et rattachée à celui de Bayonne.

On nous a communiqué quelques-uns des travaux qui seront publiés dans les premières livraisons de la REVUE PROTESTANTE. Nous donnons cette nomenclature comme une primeur bibliographique. Les intentions polémiques de ce recueil sont visibles dans les titres que voici :

4. Du concours ouvert par l'Institut de France, au commencement du siècle, sur l'influence de Luther, et du prix adjugé au champion le plus avancé de la réforme;

2o Examen ultérieur de l'ouvrage couronné, suivi de quelques recherches sur la personne et les autres productions de l'auteur;

3o De la Bible de Mosheim; sa comparaison avec d'autres traductions très estimées;

4o Exercice philologique et cabalistique sur le nom d'Ignace Loyola. -Ignace, ignatius de ignis, signifiant feu, boute feu, incendiaire;

5 Traduction successive de plusieurs lettres choisies dans le recueil fameux Epistolæ obscurorum virorum;

6o Recherches d'un bouquineur sur ce recueil, sur les éditions diverses et sur l'auteur ou les auteurs à qui elles sont attribuées;

70 Grand nombre d'hommes illustres en France adhérents secrets de

la réforme;

8o Des prônes anti-patriotiques de quelques prêtres gascons dans les campagnes, à propos de la question du pouvoir temporel de la papauté; 90 Le Bulletin catholique du Gers.

40o Les archives et les archivistes du sud-ouest;

14° M. Veuillot et ses amis de province;

12o Pierre Bayle: un des grands noms de la science et des lettres en Aquitaine, en France, en Europe;

130 Examen des miracles de Lourdes arrivés en 1859. — Ils n'ont pas été confrontés avec la science comme le fut en 1856 le miracle de la vierge de Taggia, évêché de Vintimille, en Piémont;

140 Est-il constant qu'un historien du Concile de Trente ait rapporté ce fait singulier qu'à l'ouverture de cette grave assemblée il y eût un bal où les pères du concile dansèrent avec autant de grâce que de dignité.

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