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montaient aux honneurs. La reconnaissance de ces princes, sa propre réputation, peut-être même la satisfaction personnelle de Constantin, qui lui aurait quelque temps recommandé ses frères, le firent appeler dans la nouvelle capitale de l'empire. L'empereur chrétien cherchait partout pour l'éducation de ses enfants les hommes les plus recommandables par la science et par la vertu. Il avait confié Crispus, son fils aîné, qui devait être depuis la victime de ses défiances cruelles, à Lactance, le Cicéron chrétien. Pour l'éducation du second, Constantin le Jeune, il jeta les yeux sur Arborius et le fit venir à Constantinople, vers 328 (1).

Son élève avait treize ou quatorze ans. Orné du titre de consul dès sa quatrième année, il avait été entouré d'autant de flatteries que de leçons sérieuses; il n'avait que cinq ans lorsqu'un panégyriste déclarait dans un discours solennel qu'il savait déjà écrire, et qu'il avait fait des progrès prématurés dans les lettres. Il paraît qu'en effet son intelligence s'ouvrit de bonne heure à tous les nobles enseignements, comme il donna des preuves d'un courage non moins précoce dans une campagne contre les Goths, dès l'âge de seize ans.

Arborius dut activer avec amour ces prémices d'un brillant avenir; mais nous ne savons absolument rien de sa vie à Constantinople, si ce n'est qu'il y acquit de très grandes richesses, et qu'il y mourut au bout de peu d'années, vers 335. Il n'avait guère plus de trente ans (2). Cinq ans après, son élève, devenu empereur, périt misérablement dans une entreprise contre Constant. L'ambition qu'il paya si cher est la seule tache de la vie de ce jeune prince; l'histoire n'a eu que des éloges pour son intelligence, sa bonté et sa religion. Il a immortalisé le souvenir de sa foi par sa ferme attitude dans les troubles de l'arianisme et par la belle lettre qu'il écrivit en faveur de saint Athanase. persécuté par l'hérésie.

Il semble que ces sentiments de foi et de piété sont un témoignage de la religion d'Arborius, qui nous est inconnue d'ailleurs. On ne peut guère supposer que Constantin, qui confia l'aîné de ses enfants au plus célèbre défenseur du christianisme à cette époque, ait choisi un païen pour l'éducation de l'autre. D'ailleurs, comme on faisait profession de

(1) DOM RIVET, Hist. litt. de la France. CREVIER, Hist. des Emp. LEBEAU, Hist. du Bas-Emp.

(2) Ausone le déclare expressément, post terna decennia (Parent. Iv). Ce qui démontre l'erreur des Bénédictins qui placent la naissance d'Arborius en 270 et sa mort en 335.

christianisme dans la famille d'Arborius, et qu'une de ses sœurs était religieuse, Arborius ne pouvait être que chrétien.

Son corps ne resta pas à Constantinople. L'empereur, reconnaissant des soins qu'Arborius avait donnés à son fils, fit embarquer ses restes mortels, qui furent rendus à sa famille et ensevelis dans le tombeau des siens. Son père vivait encore, fier de la fortune du rhéteur, et rêvant encore pour lui un long avenir; cette mort prématurée fut pour son cœur une blessure profonde; il ne se consola qu'en reportant sur Ausone son affection et son ambition paternelles. Cependant, il approchait des quatre-vingt-dix ans, et il ne put vivre assez pour voir la réalisation de tous ses rêves d'avenir sur son petit-fils.

Nous avons tracé, d'après quelques jalons épargnés par le temps, la carrière courte, mais brillante d'Arborius; il faut compléter ce tableau par une esquisse encore plus incomplète de son talent.

Il avait ce don naturel de l'éloquence que rien ne supplée de là celle réputation immense, ses succès multipliés. Mais il avait étudié son art, et il en possédait tous les secrets; aussi son éloquence brillait-elle par les ressources merveilleuses d'une inépuisable variété. Ses discours étaient nourris d'une érudition solide, et il en faisait valoir les avantages par un débit animé, et par la sûreté de sa mémoire.

Il avait écrit des ouvrages qui ne nous sont point parvenus et auxquels Sidoine Apollinaire pensait quand il désignait Arborius comme le type d'une exacte régularité: si le jugement de l'ingénieux évêque est fondé en raison, il indiquerait chez le rhéteur de Dax une sobriété de goût bien rare chez les écrivains de ce genre et de ce temps.

On pourrait dire qu'Arborius a laissé tout un monument à la postérité les œuvres d'Ausone son neveu. Il a façonné l'intelligence du poète bordelais, et lui a communiqué, à défaut de sa pureté de goût, l'amour des travaux de l'esprit. Ausone est vraiment son œuvre. « Remis entre tes mains dès mon premier àge, lui dit l'élève reconnaissant, je te plaisais déjà; tu disais, en m'appelant ton fils, que tu ne souhaitais rien de plus; tu répétais que je serais ta gloire et l'orgueil de mes parents; et tu dictais, en parlant ainsi, pour le livre de mes destins (1).» C'est sans doute par allusion à ces derniers mots que les Bénédictins assurent qu'Ausone a loué dans son oncle la science de l'astrologie. Ils ne prouvent pas du tout qu'Arborius ait suivi son père

(1) AUS. Parent. III.

dans ses errements. Il ne s'agit là que de ces paroles déprécatoires, de ces vœux de bon augure, omina, auxquels les anciens attachaient toujours de l'importance.

Mais il nous reste une œuvre littéraire que l'on a tout raison d'attribuer à Arborius lui-même, quoiqu'elle ait été passée sous silence par presque tous ceux qui ont parlé d'Arborius depuis Vinet et Scaliger jusqu'aux Bénédictins, depuis les Bénédictins jusqu'à la Biographie Universelle. C'est une pièce en quarante-six distiques plusieurs fois imprimée à la suite de Pétrone et dans les petits poètes latins, sous ce titre Elegia ad Nympham nimis cultam. Le nom d'élégie désigne la nature du mètre poétique: cette élégie, pour nous, est une épître à une jeune fille trop parée. Cette amplification gracieuse est assez bien développée sur un fond d'idées très simples: multitude de ses atours, leur inutilité, éloge de sa beauté, comparaison flatteuse avec les héroïnes de la fable: voilà tout. Le style, malgré quelques signes de décadence, est assez pur; la phrase est facile, le vers harmonieux, l'érudition mythologique bien digérée. Il ne faut pas omettre de dire que tout le morceau, quoique sensiblement plus long, rappelle si bien la seconde élégie de Properce qu'il ne peut en être qu'une imitation. La comparaison de ces deux pièces a été esquissée par un professeur moderne dont on me permettra de copier les termes :

<< On ne saurait, sans doute, mettre sur la même ligne la pièce de Properce et celle d'Arborius. Le poète du siècle d'Auguste se distingue par une plus grande justesse d'idées, un choix plus varié d'images, et une fleur de poésie qui n'appartient qu'aux littératures du premier ordre. Il écrit sous l'inspiration d'une raison mûre, amie du naturel e de la vérité, tandis que son imitateur, qui s'est proposé d'interdire la prétention et la recherche dans la parure, semble, en déployant tous les artifices d'un style coquet et fleuri, vouloir parer ses vers de tous les ornements qu'il retranche à la toilette de la jeune fille à laquelle il adresse ses conseils. Les compositions nobles et délicates sont toujours simples; la simplicité, qui est le cachet du talent, disparaît quand les figures du langage sont répandues avec profusion. Arborius sème, pour ainsi dire, à pleines mains ces grâces du discours qui en font l'assaisonnement et qui par cette raison ne doivent pas être prodiguées. Préoccupé du désir de plaire, il craint tellement qu'une pensée belle par elle-même ne frappe pas, qu'il la présente sous tous les jours où elle peut être vue, et qu'il la gâte en la surchargeant de

couleurs. Néanmoins, malgré ces légères taches, qui ressemblent aux aimables défauts reprochés à Sénèque (dulcibus abundat vitiis, l'élégie d'Arborius produit à la lecture un agréable effet. On se laisse séduire par ces gracieuses images, par son langage tendre et passionné ! et on lui pardonne aisément les efforts qu'il a faits pour nous plaire. S'il règne un peu d'uniformité dans ses idées et d'exagération dans ses sentiments, n'usons pas d'une sévérité excessive envers sa pièce. Celle de Properce est-elle d'ailleurs parfaite ? n'a-t-elle pas quelques longueurs, et l'étalage de l'érudition ne s'y fait-il pas trop sentir?

M. Cabaret-Dupaty, non content de cette appréciation assez juste, quoiqu'elle n'aille pas au fond et qu'elle s'étale un peu trop en dissertation de collége, a fait ressortir dans un commentaire les beautés de détail de l'élégie d'Arborius: décidément, il l'admire un peu trop. Il aime la poésie du dix-huitième siècle et se laisse charmer par les fleurs de M. de Boisjolin. Cette grâce molle et blafarde, cette fluidité sentimentale, à la Dorat ou à la Delille, sont précisément le vice originel de la poésie du rhéteur. C'est un poète de décadence, non-seulement par l'abus de l'amplification et des broderies, mais par la qualité même de la trame. Properce ne peut être jugé par sa seconde élégie : il n'y a pas mis de passion, mais il est ferme et animé, malgré l'abus trop réel de l'érudition mythologique. « Arborius est moins savant, mais plus passionné, dit M. Cabaret; il parle au cœur. » Hélas, non! il ne parle qu'à l'esprit et à l'imagination. J'accorde, d'ailleurs, qu'il ne parle pas mal; mais c'est un très agréable versificateur de boudoir, ce n'est pas l'interprète d'un sentiment profond.

Il y a deux traductions françaises de la pièce d'Arborius; la première, de M. Héguin de Guerle, a paru avec les poésies attribuées à Pétrone à la suite du Satyricon de la collection Panckoucke; la seconde, de M. Cabaret-Dupaty, dans les Poeta minores de la même collection. Le style un peu doucereux de M. de Guerle rend à merveille l'élégance facile du texte, mais il ne le serre pas toujours d'aussi près que son rival. Celui-ci, avec les mêmes grâces un peu fanées, ne soutient pas si bien le ton, et ne file pas si proprement la phrase. Telles sont du moins les impressions que j'ai reçues d'une lecture rapide plutôt que d'un examen sérieux.

LEONCE COUTURE.

(La suite prochainement.)

PHILOLOGIE COMPARÉE. (1)

II.

Les voyelles o, u, étaient dans l'antiquité de très proches parentes; l'origine de cette parenté se perd dans la nuit des temps, nox.

Dans la langue d'Homère, on écrivait: Oduseus, Ikos, okokuta, mopgrupa, et dans celle de Virgile, Ulysses, Ilus, ululo, purpura.

En latin, ces deux voyelles permutaient on le voit dans volgus et vulgus (le vulgaire), dans voltis et vullis (vous voulez); volgus et vultis se trouvent même dans des écrits du siècle d'Auguste.

Un même radical latin, selon ses divers emplois, ou dans des mots d'espèce différente, prend l'une ou l'autre de ces deux voyelles: --- Colo (je cultive), cultus (cultivé), decus, decoris (honneur), ebur, eboris (ivoire), homo (homme), humanus (humain), populus (peuple), publicus, (public), volo (je veux), vult (il veut), etc.

Ce fait nous donne la raison de la présence de l'o au lieu de l'u, et de celle de l'u au lieu de l'o, dans un grand nombre de mots appartenant aux langues dérivées du latin.

Nous avons, dans nos idiomes méridionaux, nore, noro (bru), de nurus,—novio, nobio, nobia, nobi (celle qui se marie), de nupta, participe de nubere. On sait que, le jour de leurs noces, les femmes romaines s'enveloppaient de la tête aux pieds dans un grand voile; de là nubere (voiler), pour signifier se marier, en parlant de la femme. Novio est provençal, nobio, gascon, et nobi, béarnais. Nobi se dit aujourd'hui aussi bien de celui qui prend femme que de celle qui se marie: lou nobi, la nobi; c'est qu'en latin, pa

(1) Voir, plus haut, page 442.

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