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Bordeaux, il abandonna ses administrés et se réfugia à la campagne? Cela n'empêche pas l'auteur du discours placé en tête de l'édition des Essais, publiée par M. Leclerc, d'apostropher Montaigne du titre de généreux citoyen; ce sont là les inconvénients des figures de rhétorique. C'est cette apostrophe qui a égaré M. Pierre Clément. Nous ne voulons pas lui en faire un crime, le doyen de la faculté de Paris est une grande autorité; nous aurions d'ailleurs d'autant plus mauvaise grâce à insister sur ce point que son titre, un peu tiré par les cheveux, n'enlève rien à l'intérêt de cette nouvelle biographie de Montaigne.

Vœux du Jour de l'An.

A N....

Pareils aux oiseaux bleus, solitaires des grèves,
Qui vont rasant les flots sans les troubler jamais,
Je voudrais que les ans, aussi beaux que des rêves,
Passent sans agiter ta douceur et ta paix.

Je voudrais te couvrir de tendre vigilance,

Te préserver du sort, s'il était inhumain,
Comme un veilleur de nuit, quand la raffale avance,
Met à l'abri du vent sa lampe sous sa main.

Je voudrais que, par privilége,
Tout malheur te fût étranger;
Et que les jours, d'un poids léger,
Tombent sur toi, comme la neige
Tombe l'hiver sur le verger.

Voilà les vœux du poète !
Sa pauvreté le fait l'envoi
D'une élégiaque fleurette
Eclose en son âme inquiète,
Toujours inquiète de toi.

J. NOULENS.

LES HONNEURS D'ARCHAMBAUD

COMTE DE FOIX, SOUVERAIN DE BÉARN,

DOCUMENT INÉDIT DU XV SIÈCLE,

PUBLIÉ PAR V. LESPY,

professeur au lycée impérial de Pau.

Nous publions, pour les curicux des choses du passé, un manuscrit qui se trouve aux Archives des Basses-Pyrénées. Il est en langue vulgaire (1); nous avons essayé de le traduire en français. Ce document, inédit jusqu'à ce jour, est précieux: il contient le programme et la relation d'une cérémonie funèbre qui eut lieu avec la plus grande pompe, à Orthez, le mois de mai 1414, en l'honneur d'Archambaud, haut personnage, de son vivant, sachant bien gouverner ses peuples (2) de Foix et de Béarn. C'est un morceau de l'histoire du moyen-âge, très intéressant par son originalité. Difficilement on trouverait ailleurs (3) une page du même genre, qui fût plus complète et plus riche en détails. Donc « veuil-je recorder l'ordonnance de ces honneurs comme elle fut (4).

Ordenance de las honors (5) de

>>

Ordonnance des honneurs de

Moss. Archambaud, per la gracie Monsg. Archambaud, par la gràce

(1) Dialecte béarnais.

(2) Haut personatge, senhor ben regent sos pobles. (Arch. des Bass.-Pyr.; Chronique des comtes de Foix).

Gloss. Du

(3) Voir BERTRAND ELIE, Funérailles de Gaston-Phœbus; CANGE. Comment les obsèques se doivent faire; au mot hereotum; Obsèques de Duguesclin; FROISSARD, Obsèques du comte de Flandre, 11, c. 217.

(4) FROISSARD, 11, c. 216.

(5) Il ne s'agit pas ici des funérailles d'Archamband, mais d'un service funebre, célébré en son honneur, plus ou moins longtemps après qu'il cùt été enseveli. De nos jours encore, les Béarnais emploient dans le même sens le mot haunous (les honneurs).

de Diu, comte de Foix sanrer (1), qui Diu perdon.

Prumerament, lo dissapte davant lo jorn de las honors deudiit Moss., Madone (2) no deu exir de la crampe; ans deu estar, en son estat, en la crampe, et ab son manteg, aixi cum lo jorn qui Moss. fo sepelit; et ab las fenestres barrades, et pauque lutz entre; lo vespre, que y sien metudes mes torches negres, qui eston en lors candelers et loenh de luy (3), affin que las gens qui la vendran far reverencie et lor degut, veyen que ere fe sa honor; et sas dones et damiseles, que eran apres luy, deven estar totes negres; et l'endemaa (5) anar en aquere maneyre aus Frays, et estar lo jorn de las honors en aquere maneyre; et l'endemaa, Moss. lo deu ostar lo manteg; et tornar a l'estament qui de present es.

de Dieu, ci-devant comte de Foix, que Dieu pardonne.

Premièrement, le samedi avant le jour des honneurs dudit Monsg., Madame ne doit pas sortir de sa chambre; elle y restera en l'état où il convient qu'elle soit en pareille circonstance, couverte de son manteau, comme le jour que Monsg. fut enseveli; les fenêtres seront fermées de façon qu'il ne pénètre dans la chambre qu'une faible lumière; le soir, on y allumera trois torches noires, qui seront dans leurs chandeliers, loin de Madame, afin que les personnes qui lui viendront faire révérence et leurs devoirs, voient qu'elle fait son honneur (4). Ses dames et demoiselles, qui se tiendront auprès d'elle, doivent être tout en noir. Le lendemain, ces dames (6) iront aux Frères (7) dans ce costume, et le jour des honneurs, elles seront vêtues de même; le lendemain, Monsg. (8) òtera le manteau à Madame, qui se remettra comme elle est maintenant.

(1) Sanrer est une contraction de sa en arrer, m. à m: arrière en ça.-Pay sanrer signifie grand-père.

(2) Madame la comtesse de Foix, Isabelle, veuve d'Archambaud.

(3) Luy (elle), qui n'existe plus en béarnais, était des deux genres, comme aujourd'hui en français le pronom lui, complément.

(4) Fait son honneur, traduction littérale de fe sa honor: elle accomplit son devoir.

(5) L'endemaa (l'endemain, le-jour-en demain); c'est ainsi que l'on écrivait en français <-L'endemain, Saül partit l'ost en treis (Rois). » — « A l'endemain manda son grant conseil (Villehardouin). » - « La bonté divine me deffendit encores l'endemain d'aultres pires embusches (Montaigne). »

Nous disons maintenant le lendemain, ce qui équivaut à le le-jour-en demain. M. Génin n'avait peut-être pas tort de trouver absurde ce redoublement de l'article.

(6) Mme la comtesse et les dames à son service.

(7) On verra plus loin qu'il s'agit du couvent des Frères Prêcheurs. (8) Jean de Grailly, fils aîné, et successeur d'Archambaud.

Item, que la noeyt davant deu jorn de las honors, a hore de vespres, los senys de Sent P. d'Ortes toquin un toc ben lonc, et apres que fassen orde a Sent P. et au Castet, entro a mieye noeyt; et apres comensin une hore davant jorn et fasen orde tot temps, entro las honors sien acabades, et Madone et Moss. sien de retorn defentz lo Castet d'Orthes; et asso fasen los qui an acostumat de toquar los senys.

Item, sie mandat a las glisies pres d'Ortes que semblantment fassen las ordes la vespre davant las honors.

Item, que a la hore de vespres, quant los senys auran toquat, faran las ordes los Frays et Confrays, totz, et caperaas qui sien de la confrayrie de Moss. Sent P. marti, diguen au cor deus Frays Predicadors lo obsequi solempniaumentz per la anime de Moss., qui Diu perdon, complidementz; et adasso veder et far ayen carc lo rector d'Orthes et menister de la Trinitat.

Item, que l'endematii, au sorelh exit, sien avisatz los avesques, abatz, religios el caperaas, que sien aus Frays Predicadors, et aqui diguen lo obsequi complidementz et honorable, a la honor et profieyt de la anime de Moss, qui Diu pardon, et que sie diit antz que Moss. ni Madone partien deu

Item, que la nuit avant le jour des honneurs, à l'heure de vêpres, les cloches de Saint-Pierre d'Orthez sonnent bien lentement; qu'elles sonnent ensuite à toute volée à Saint-Pierre et au Château, jusqu'à minuit; elles recommenceront une heure avant jour pour ne cesser que lorsque le service funèbre sera achevé, et que Madame et Monsg. seront rentrés au Château. Voilà ce que doivent faire ceux qui sonnent ordinairement les cloches.

Item, il est ordonné que, dans les églises près d'Orthez, on sonne pareillement à toute volée la veille des honneurs.

Item, à l'heure de vêpres, quand les cloches auront sonné, on les mettra en branle chez les Frères et les Confrères, et des prêtres de la confrérie de Monsg. Saint-Pierre martyr, diront dans le choeur des Frères Prêcheurs l'office des morts tout entier, solennellement, pour le repos de l'âme de Monsg., que Dieu pardonne; le recteur d'Orthez et le ministre de la Trinité sont chargés de veiller à l'exécution de ceci.

Item, le lendemain, au soleil levé, on avisera que les évêques, abbés, religieux et prêtres soient aux Frères Prêcheurs; qu'ils disent solennellement l'office des morts tout entier, en l'honneur et pour le repos de l'âme de Monsg., que Dieu pardonne; il sera dit avant que Monsg. et Madame par

dessus.

Castet; et d'asso ayen carc los tent du Château; c'est ce que feront exécuter les personnes sus-désignées.

Item, sie feyte au cor de la glisie deus Frays Predicadors une borde, ben grosse, et faute, et tote negre, et cavilhade per dessuus et per dejuus, per meter torches redons, aîxi cum au caas requer; et aus is pees, que aye me grans escussoos en paper, de las armes deudiit Moss., et, aus caps et costaz, pendens en que eston gros escussoos de las armes deudiit Moss.

Item, que dejus la dicte borde sie feyt lo lant cubert de bons draps d'aur, et a l'entorn sien las armes deudiit Moss. en grans escussons en paper, et tres bancx cubertz de negre a l'entorn deu lant, la un au cap, et los autres aus costatz; et, au deu cap, seyra Madone, et dues dones qui, estan de pees darrer ere, apertendre que fossen vestides de negre, et en los autres dus banex que seguen las autres grans dones qui vieran a las honors; et un homi que sie car

Item, il y aura dans le choeur de l'église des Frères Prêcheurs un dais (1) bien grand, élevé, tout noir, solidement établi par le bas et par le haut; il portera trois torches rondes, selon l'usage en pareil cas; aux quatre pieds seront quatre grands écussons de papier, aux armes dudit Monsg., et aux bouts et sur les côtés pendront des étoffes ornées de grands écussons aux armes dudit Monseigneur.

Item, sous le dais sera un catafalque (2) recouvert de beaux draps d'or, entouré de grands écussons de papier, aux armes dudit Monsg.; il y aura trois bancs recouverts de drap noir, l'un au bout, et les autres sur les côtés du catafalque; à celui du bout s'assoiera Madame, et deux dames se tiendront debout derrière elle; il faut qu'elles soient vêtues de noir; sur les deux autres bancs s'assoieront les autres grandes dames qui seront venues pour les honneurs; un homme sera

(1) Nous avons traduit borde par dais, bien qu'on ne trouve nulle part le mot borde avec cette signification. Mais nous croyons qu'il ne peut signifier que cela dans notre manuscrit. Borde, ici, est probablement ce que Froissard (Obsèque du comte de Flandre) appelle un travail : - Il y a en l'église un travail, auquel il y avoit sept cens chandelles..... Sur ce travail avoit cinq bannières..... Estoit ce travail armoyé d'écussons.....>>

Let

(2) Lant nous a embarrassé tout autant que borde. C'est le passage suivant de Du Cange qui nous a donné l'idée de traduire lant par catafalque: trin præterea appellatur tabulatum quoddam seu tumulus honorarius, in arest. parlam. Paris, anno 1380, ex lib. nig. prior. S. Petri Abbavil, fol. 150, vo: Les marregliers..... en signet et par manière de représentation mirent et estendirent un drap d'or ou poile bordé de noir sur un Lettrin assis sur la fosse dudit feu Jacques.>>

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