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Alaille; le changement de l en r est commun par tout, ordinaire surtout dans l'idiome gascon où l'r domine.

Les désignations hagéologiques conservent encore le souvenir de plusieurs saints locaux dont la légende a péri. M. Cénac-Moncaut ne pouvait confondre St-Mau avec St-Maur, comme d'autres l'ont fait avant lui; il avait déjà constaté, dans son voyage dans l'Astarac et le Pardiac, que le nom latin de ce bienheureux est Mavus et non Maurus. Sainte-Aurence est une autre de ces personnalités effacées, Je noterai, pour ceux que ces sortes de recherches peuvent intéresser, qu'il existe un poème latin en deux chants, encore inédit, dont le manuscrit autographe, un peu incomplet, est entre les mains de M. l'abbé A. Landre, vicaire d'Eauze, sous ce titre : Euphemia hispana, virgo et martyr, Aquitanis Aurentia, ad Vidum Devaux, etc. J'en reparlerai peutêtre, quelque jour, dans une étude étendue sur le P. Aubéry, professeur au collège d'Auch, qui en est l'auteur.

Mais, chose plus grave, il y a plusieurs saints dont l'identité a été méconnue par M. Cénac-Moncaut. St-Germier n'est pas St-Germain, Germanus; c'est St-Germerius, évêque de Toulouse, assez connu, et dont la légende, publiée souvent, se trouve manuscrite avec celles de St-Orens, de St-Geny, de St-Justin, de St-Victor et Ste-Couronne, de St-Vincent d'Agen, de St-Luper d'Eauze, dans un énorme Vita Sanctorum, in-folio, que je crois provenir de l'abbaye de Berdoues, et qui fait aujourd'hui partie des manuscrits de la Bibliothèque impériale, sous le no 5,306.- St-Cric n'est pas du tout St-Christ; il ne fallait qu'un peu de bonne volonté pour connaître un saint dont le culte est fort répandu, et qui est le patron d'un diocèse de France (Nevers). StCric est St-Cyricus, en français Cyr, Cyrice, Kyric ou Criq. - StChristau est parfaitement bien St-Christophe, Christophorus. L'accent latin étant sur l'antépénultiènie, les deux dernières syllabes sont tombées presque en entier. Il n'est resté qu'un u concrétisé qui représente le ph (ph=f=v=u). Les Provençaux disent Cristòu; mais on sait que l'a et l'o se transmuent dans les idiomes du Midi : provençal rosa, gasc. ros0; béarn. Oülhe, gasc. Aouille, etc. Les lieux désignés sous le nom de St-Cristau sont communs en Gascogne, tous ont pour patron St-Christophe, dont la fête se célèbre le 25 juillet; des raisins précoces, qui mûrissent vers cette époque, s'appellent en Armagnac arrasiMs de Sent-Cristau. L'étymologie Saint Christ haut dénote, il faut en convenir, un goût singulier pour le paradoxe. Sainte Mère, patronne d'une paroisse de l'ancien diocèse de Lectoure, n'est

pas du tout la sainte Mère de Dieu; elle s'appelle, en gascon, Mero, el en latin Mera; et quoique sa vie soit perdue, elle a conservé, par le culte immémorial de cette église rurale, son titre de Vierge et martyre, qui a été recueilli par Du Saussay et par les Bollandistes.

En enregistrant plusieurs noms qui s'expliquent d'eux-mêmes, M. Cénac-Moncaut en a négligé d'autres qui présentent plus de difficultés, por exemple: ST-CERICY, que je crois synonyme de St-Cric, ecclesia sancti CYRICI; ST-OST, probablement St Fauste, évêque de Tarbes; ST-CREAC, qui a donné son nom à une paroisse dans le canton de St-Clar, est, d'après une note de l'abbé Daignan du Sendat, S. Creacus, vel Creatus, episcopus martyr; peut-être un des premiers évêques de Lectoure, dont les noms aujourd'hui perdus laissent une énorme lacune dans la série du Gallia christiana.

la

Pour ma part, sauf le nom parfaitement justifié de Saint-Mont, la montagne sanctifiée par l'un des plus célèbres monastères de la province d'Auch, j'avoue ne pas voir « le titre de béatification donné par foi naïve de nos ancêtres à de simples objets inanimés.» J'ignore la valeur du mot St-Lanne; mais ce nom si commun doit avoir un autre objet et un autre sens que Sainte-Lande. Je ne sais pas davantage ce que c'est que St-Brés. Le dictionnaire d'hagiographie, publié par M. l'abbe Migne, en fait, si ma mémoire ne me trompe, un saint local; mais il faudrait voir la chose de plus près. Qui sait si la vraie orthographe ne serait pas Sembrés ou Cembrés? Quant à Saint-Pied, on ne trouve nulle part ce nom ridicule. J'ai dit et prouvé ailleurs que St-Pé veut dire, partout et toujours, Saint-Pierre, et l'on me permettra de révéler qu'à propos de mon article sur Saint-Pesserre et Sempuy, un des premiers linguistes du Midi m'écrivait : « Vous avez fait rentrer la Revue d'Aquitaine dans la vraie voie; celle que d'autres suivent est déplorable.

Voilà mes remarques sur une seule page de l'Essai. N'est-il pas évident, Monsieur le directeur, que le fécond écrivain a jugé les mots à première vue, sans recourir aux vieilles formes écrites qui auraient souvent renversé ses conjectures? Il se vante d'avoir chassé les racines grecques de notre glossaire topographique; je crois comme lui qu'il n'y en a point; mais comment l'a-t il prouvé? Habituellement il s'est ingénié à trouver dans chaque appellation un ou plusieurs mots patois d'un sens quelconque, et la question lui a paru vidée. Mais cette méthode a deux défauts: elle ne donne que des conjectures, tandis que la science étymologique possède aujourd'hui des principes arrêtés; et

puis, elle reste à moitié chemin des origines. Les mots gascons, dans l'état actuel de la linguistique, n'ont pas le droit de passer pour primitifs. Il est vrai qu'un système s'est produit avec un certain appareil d'arguments, sinon un ensemble suivi de preuves sérieuses, qui prétend que nos patois sont antérieurs au latin. Je ne sache pas qu'aucun de nos philologues ait discuté cette assertion étrange. Mais puisque des hommes de talent soutiennent ce paradoxe, et que les linguistes de profession n'en tiennent pas compte, nous, simples profanes, ne pou. vons-nous pas l'examiner de près avec le secours de quelques faibles études sur les langues et de notre part de bons sens, quantulacumque demum illa sit? - C'est ce que je compte commencer en ouvrant, dès ma prochaine lettre, la discussion sur la dernière brochure de M. Granier de Cassagnac, si toutefois, M. le directeur, vous ne jugez pas la question inopportune à quelque égard que ce soit.

-

Veuillez agréer, etc.

DES

Léonce COUTURE.

OPINIONS ET JUGEMENTS LITTÉRAIRES DE MONTAIGNE

par M. E. Moët.

Les sectateurs de Montaigne ressemblent à des naufragés entassés sur un radeau qui flotte sur l'immensité des mers. Le capitaine a perdu, dans la tourmente, sa boussole et ses instruments d'astronomie. C'est un homme d'un naturel inconstant; il passe, brusquement et sans motif, de l'espérance à l'abattement. Tout ce qu'on peut appren dre de son métier il le sait, et c'est là précisément le danger. Une idée traverse son esprit, son œil rayonne, son visage s'illumine. — Tournez la voile au vent qui souffle, c'est peut-être le bon.- Deux heures après, le vent et les dispositions du navigateur ont changé. Qui sait? Si

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Nous verrons.

nous allions faire fausse route. Retournons sur nos pas. Nous verrons. Et ce plancher fragile a fait des milliers de lieues sans bouger de place, chargé de spectres hâves qui se regardent entr'eux d'un air d'horrible convoitise. Nous verrons. Quand les matelots démoralisés par d'innombrables déceptions parlent de tirer à la courte paille, quand le mot lugubre de Hobbes, Homo homini lupus, sera tout à l'heure une vérité. Cela dure depuis trois siècles. Le capitaine s'en est allé, n'osant pas regarder la mort en face et la priant de le frapper par derrière. Ses successeurs, encore plus débiles de cœur, s'endorment volontairement dans le péril, incapables de ces résolutions extrêmes qui sauvent les causes désespérées. Le radeau flotte toujours, morne comme la barque du Dante, ou comme ce vieux navire espagnol que ballottent éternellement les vagues ténébreuses du pôle antarctique. Les conseils n'ont pas manqué pourtant, et de toutes parts. Voyez Descartes. C'est un homme de doute aussi, mais son doute n'est qu'une méthode, qu'un acheminement à la vérité. Il se gouverne « suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l'excès, » mais c'est la règle de tout philosophe qui veut vivre et étudier en paix S'agit-il de la recherche de la vérité, le voilà qui repousse les tempéraments et les moyens termes. Embarqué dans une opinion douteuse i la suivra constamment et jusqu'au bout, << imitant en ceci les voyageurs qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en tournoyant fantôt d'un côté, tantôt d'un autre, ni encore moins s'arrê ter en une place, mais marcher toujours droit le plus loin. qu'ils peuvent vers un même côté... » Et Pascal, ce Titan, haut comme les montagnes de son pays, embrasé comme elles d'un feu terrible et intérieur, cet effrayant Demi-Dieu qui tremblait comme la feuille à la pensée du Sa

lut, Pascal, forcé de prendre un parti, se fait plus humble qu'un ver. Il met sous les pieds de M. Singlin, son directeur, cette raison qui l'a fait grand devant les hommes. Sa philosophie à lui, c'est la négation de la raison, le triomphe de la foi qu'il demande à Dieu avec des pleurs et des cris qui ont retenti jusqu'au ciel, et dont les échos rouleront encore par le monde quand il n'y aura même plus d'hommes pour les enter.dre. Car nous ne sommes pas libres, il y a un Dieu et une révélation ou il n'y en a pas. IL FAUT PARIER. Et Bossuet qui soumet l'histoire au joug implacable d'un ordre divin et préétabli. Et les matérialistes du XVIIIe siècle qui renient tout ce qui ne vient pas des sens, et Voltaire ce grand-prêtre du sentiment et de la religion naturelle, et Rousseau qui marche, marche toujours, et dont l'ardente curiosité ne s'arrête qu'aux limbes de la folie. Et, de nos jours, Emmanuel Kant qui éprouve l'esprit humain, comme un soldat fait ployer la lame de son sabre avant de marcher au combat, et qui s'arrête triste et découragé, car l'arme s'est rompue dans ses mains, l'instrument est suspect et l'on ne peut pas compter sur lui. Et M. de Bonald, et le comte Joseph de Maistre. Certes, je n'ai pas la prétention de classer ces hommes à leur rang et de les mesurer à leur taille. Ce que j'admire chez tous, c'est une bonne volonté immense, une puissance d'affirmation qui nous accable et nous soumet. Aussi quand nous passons au pied de leurs royales statues, dédaignées de la foule inepte et gourmande, nous tirons bien bas notre chapeau à ces images des héros, dont les uns sont venus en ce monde pour nous montrer la droite voie, dont les autres sont comme un encouragement ou comme un signe d'alarme.

Montaigne n'est pas un de ceux-là. Si pourris que nous soyons par le doute, si profondément que l'ataraxie nous

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