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qui laissent voir le ciel par leurs fenêtres, la carcasse d'un fort lézardé par la bombe, et témoignant encore de l'effort de la résistance, voilà tout ce qui reste de cette ville saccagée.

Du haut du monticule qui couronnait la ville, une avalanche de pierres a roulé jusque sur la berge; en y regardant de près, on retrouve encore sur les blocs de granit des fragments de sculpture où s'accrochent et s'emmêlent les pariétaires et les liserons sauvages. Les Espagnols n'ont rien laissé subsister, rien, pas même l'eau-de-vie qui fit la réputation d'Hendaye. On l'a désavantageusement remplacée par le cidre, une boisson fade qui est bien loin d'amener les mémes résultats.

Pour passer à Fontarabie, la mer étant tout à fait basse, il fallut aller chercher la rivière assez loin; nos pécheurs nous hissèrent sur leurs épaules, et, marchant dans la vase, entrèrent dans le lit boueux de la rivière; ils allaient ainsi pataugeant et se dirigeant vers la barque sans se préoccuper le moins du monde du supplément animé qui décorait leurs épaules; ils marchaient là-dessous aussi libres qu'un chameau qui porterait un singe. Cette comparaison, aussi juste qu'inconvenante, me vint à l'esprit en regardant un de mes camarades qui gagnait le bateau de cette façon pittoresque. Nous sommes arrivés; les portefaix déposent leurs colis vivants sur l'arrière de l'embarcation et, moitié nageant, moitié glissant dans la vase, le bateau nous amène aux pieds de l'église de Fontarabie.

(La suite au prochain numéro.)

FAUGÈRE-DUBOURG.

LE DIOGÈSE DE CONDOM

SOUS L'ÉPISCOPAT DE BOSSUET.

Les historiens qui ont écrit sur Bossuet (1) ont passé sous silence l'évêque de Condom pour ne s'occuper que de l'évêque de Meaux. Ils n'ont traité que de la partie glorieuse de sa vie; ils ont glissé rapidement sur plusieurs épisodes de cette carrière si pleine; ils ont négligé aussi de nombreux et curieux détails sur les premières années du

(1) Mémoire et journal de l'abbé Ledieu, sur la vie et les ouvrages de Bossuet. Histoire de Bossuet, par le cardinal de Bausset.

grand évêque, sur sa famille. M. Floquet, de l'Institut, a comblé cette regrettable lacune dans l'histoire de Jacques Bénigne.

M. Floquet est la tradition vivante des anciens Bénédictins. Travailleur infatigable, savant, laborieux, modeste, son érudition nous rappelle les Mabillon, les Montfaucon, les Ste-Marthe. Comme eux, il a consacré sa vie aux recherches historiques. Déjà il s'était fait connaître par d'importants travaux, entre autres par l'histoire du Parlement de Normandie, œuvre considérable pour laquelle il obtint, en 1843, le grand prix Gobert. Loin de se reposer sur ses succès, M. Floquet continua de plus belle sa laborieuse mission. Il s'éprit d'un véritable amour pour l'illustre évêque de Meaux; Bossuet devint pour lui l'objet d'un culte; il conçut le projet d'un travail sur sa vie, depuis sa naissance jusqu'au jour où il entra en fonctions en qualité de précepteur du Dauphin (1)

Montaigne a dit : « On aime à guetter les grands hommes dans les petites choses." M. Floquet s'est pénétré de cette maxime de l'immortel auteur des Essais. Non-sculement il nous raconte la naissance de Jacques Bénigne, en nous faisant un tableau plein d'intérêt de l'intérieur de la famille Bossuet, mais encore il établit sa généalogie. Il résulte des recherches de M. Floquet que le berceau de cette famille est Scurre, petite ville du département de la Côte-d'Or, érigée en ducké-pairie par Louis XIII, vers 1619, en faveur d'un Gascon, Roger de St-Lary, connu sous le nom de maréchal de Bellegarde. C'est dans cette ville que, depuis le XIVe siècle, les ascendants Bossuet exercèrent honorablement et presque sans interruption la professionde marchand drapier. Plusieurs d'entre eux furent officiers

(1) Etudes sur la vie de Bossuet, etc., 3 vol. in-8°. Paris, Firmin-Didot frères. 1855.

municipaux et maieurs. C'est à ces considérations que l'un d'eux fut ennobli par François ler. On voyait sur le frontispice de leur maison, à Seurre, sculptées, leurs armes. Elles étaient d'azur à trois roues d'or posées deux et une.

:

Après nous avoir fait assister, le 27 septembre 1627, à la naissance de Jacques Bénigne, le septième enfant de Bénigne Bossuet et de Marguerite Mochet, son épouse, au bonheur qu'éprouva toute la famille, et surtout l'aïeul Jacques Bossuet, M. Floquet ne quitte plus son héros et le suit pas à pas jusqu'au jour où il fut nommé précepteur du Dauphin (1670.) Il nous initie à la vie intime du grand prélat; il nous fait connaître ses actes de chaque jour, les lettres qu'il a écrites, les sermons qu'il a prononcés, où et devant quel auditoire. M. Floquet a souvent occasion de redresser des erreurs de noms, de fait, de lieu, de date, commises par les écrivains qui l'ont précédé.

Pour arriver à posséder tous ces intéressants et authentiques détails sur le célèbre orateur, M. Floquet a consulté tous les écrivains de l'époque; il est allé en pèlerinage dans tous les lieux où Bossuet ou ses parents avaient habité ou séjourné. Dijon, Auxonne, Seurre, Semur, Metz, Meaux, etc., toutes ces localités ont été visitées, explorées par M. Floquet; il a compulsé tous les dépôts publics et privés qu'elles renfermaient. Enfin, dans sa louable passion, et pour compléter son travail, il ne recula pas devant un long voyage. En 1847, il vint en Gascogne; il se rendit à Condom, à Auch, espérant bien y trouver quelques documents relatifs à son héros. Ses espérances ne furent pas déçues. A Condom, M. Corne, de regrettable mémoire, M. de Lagutère lui fournirent des documents précieux; à Auch, l'archiviste du séminaire, le spirituel et savant abbé Mothe, aujourd'hui doyen de Montréal, lui communiqua plusieurs pièces inédites très intéressantes, qui étaient dans le dépôt

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confié à ses soins (1). C'est avec ces éléments, recueillis sur tous les points de la France, qu'il est parvenu à faire le travail important et consciencieux qu'il a publié sur Bossuet, et dans lequel nous avons puisé les faits que nous venons de raconter et la plus grande partie de ceux qui vont suivre sur le diocèse de Condom pendant l'épiscopat de son plus célèbre prélat.

Condom doit son origine à un monastère fondé au IX siècle. Ce monastère, détruit à deux reprises par les Normands, fut rétabli en 1011 par Hugues, évêque d'Agen. En 1317, le pape Jean XXII (Jacques d'Euze, natif de Cahors), érigea le monastère de Condom en évêché; et l'abbé de ce couvent, Raymond de Galard, en fut le premier évêque.

Le diocèse comptait 451 paroisses et 108 annexes. Il renfermait dans sa juridiction spirituelle la ville de Nérac et les collégiales de Larroumieu et du Mas-Agenais. Les revenus de l'évêque étaient, au XVIIe siècle, de trente-trois mille livres. En 1789, ils étaient de soixantedix mille (2).

Le siége de Condom compta dans les prélats qui l'occupèrent des hommes qui se distinguèrent par leurs vertus et leur piété, entre autres Jean Marre. Mais les successeurs de

(1) Nous apprenons que M. l'abbé Mothe a découvert dans son doyenné des documents inédits sur Bossuet. Nous sommes sûr qu'il se fera un plaisir de les communiquer à M. Floquet.

(2) Voici les noms des dignitaires de la cathédrale de Condom, en 1789 : Evêque: Alexandre-Cézar d'Anteroche.

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Vicaires généraux MM. Daguilhe, archidiacre; de Paty, de Cusacq, de la Panouze, de Taste, de Mélignan, de Meslon d'Estérac.

Secrétaires de l'évéché: Jaubert, Lasserre.

Official diocésain: Daguilhe; official forain, Gareau.

Promoteur Jaubert; greffier, Audié.

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Séminaire Doctrinaires, trois directeurs.

Supérieur Fize.

Chapitre de la cathédrale (St-Pierre.)

Prévôt de la Panouze; grand archidiacre, de Mélignan; 2o archidiacre, Daguilhe; grand chantre, Duffaut; Gareau, théologal; Duffaut, syndic; Du Bernet, Du Puy du Busca, Daguilhe, Cugno, Gaigne, Jaubert, de Mondyon, de Castillon, de la Panouze.

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celui-ci, en général, se montrèrent bien moins dignes. Tels furent Jean de Montluc, fils du maréchal de ce nom; Jean Duchemin; Jean d'Estrades, et Charles de Lorraine, qui occupa le siége depuis 1659 et mourut subitement à Auteuil, près de Paris, le 1er juillet 1668.

Plus d'une année s'était écoulée depuis la mort de ce dernier sans qu'il cût été pourvu à son remplacement. Ce ne fut que le 5 septembre 1669 que Louis XIV nomma l'abbé Bossuet, doyen de Metz, au siége de Condom. Des circonstances qu'il est inutile de rapporter ici retardèrent l'arrivée des bulles, car on ne les reçut que le 2 juin 1670.

Il y avait donc deux ans que le diocèse de Condom se trouvait sans prélat. L'administration ecclésiastique était toujours entre les mains des vicaires généraux capitulaires, car Bossuet n'était encore qu'évêque nommé de Condom: il ne pouvait, bien qu'il fût au courant de ce qui se passait, s'immiscer dans les affaires de son diocèse, qui était dans la situation la plus déplorable.

Vivement affecté de cet état de choses, il se prépara, aussitôt les bulles reçues, à son sacre, fixé au 21 septembre suivant. Tous les préparatifs étaient faits; sa chapelle, ses ornements étaient prêts. Il n'attendait que d'avoir reçu l'onction sainte pour s'acheminer vers Condom, lorsqu'un nouvel obstacle vint l'en empêcher. Le roi nomma l'évêque de Condom précepteur du Dauphin. En vain Bossuet déclina cet honneur; en vain exposa-t-il au roi l'état de son diocèse, l'obligation que lui imposait le Concile de Trente et les lois du royaume de résider dans son siége épiscopal, les nombreuses affaires intéressant son église qui réclamait impérieusement sa présence à Condom; peines inutiles le roi absolu voulut, il fallut accepter.

Néanmoins, Bossuet se fit sacrer. Le prélat consécrateur fut Charles-Maurice de Tellier, archevêque de Nazia

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