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du roi. Ce fut donc peut-être autant pour se garer de la colère royale que pour se mettre à l'abri de cette fortune, qui le fit naître loin du Pérou, que notre poète se décida à recourir à la protection du duc de Montmorency.

Henri II se conduisit, au reste, de la façon la plus courtoise; il présenta le poète au roi qui voulut bien assurer Théophile de l'estime qu'il faisait de ses talents, lui dire qu'il oublierait volontiers, à la condition qu'il n'y aurait pas de récidive, les vers honteux qui avaient couru sous son nom. Le poète remercia chaleureusement le roi, et n'oublia jamais cette bienveillante entrevue. Encouragé par le roi, protégé par le duc de Montmorency, sacré poète par les lettrés, accepté par cette cour dont il avait rêvé les splendeurs toute sa vie, Théophile fut tout d'abord à la hauteur de cette situation inespérée. Dans la première ivresse, il s'oublia; restant frondeur aimable, sans cesser d'être courtisan, il sut allier ses instincts de liberté à une complaisance de bon goût qui flattait la corruption de la cour, il sut se faire aimer des grands en les imitant. Il pouvait dès lors être à jamais heureux et tranquille dans cette atmosphère énervante; pourquoi se réveiller quand le sommeil est bercé de si beaux rêves? C'est que l'âme humaine reprend ses droits. Elle s'était endormie dans les délices; mais un jour elle se souleva indignée de son rôle; elle fit monter le mépris aux lèvres du poète, et Théophile rejeta brutalement, à la face de ce monde de valets, la honte qui l'avait trop longtemps envahi. Alors commença l'infortune; mais avant de parler des jours de malheur, étudions notre poète dans sa vie et dans son œuvre en ce temps si court de prospérité. Ce n'est qu'une éclaircie dans un ciel d'orage, et cette heure de soleil a suffi pour faire éclore le beau drame de Pyrame et Thisbe.

La première pièce de vers qui marque l'entrée de Théophile dans la maison du duc est une ode de remercîment. Le poète paie sa bienvenue. Cette ode était extrêmement difficile à faire. Théophile voulait sauvegarder sa dignité qu'en son for intérieur il trouvait compromise; il fallait payer d'audace et de forfanterie, et notre Gascon n'en manquait certes pas. Il taille une statue au duc, mais il commence à en essayer lui-même le piédestal. Les poètes sont tout, les conquérants ne sont rien. Voilà le thème développé. Si les grands capitaines ont un nom, c'est aux poètes qu'ils le doivent. Enée n'a dû son nom qu'à Virgile; Henri II ne devra son nom qu'à Théophile. On voit d'ici tout ce que la brillante fantaisie d'un poète peut broder sur un tel canevas. Mais, qu'on y prenne garde, dit le faiseur de héros, il y a des plumes qui se vendent. Vous voyez l'habile homme qui va ainsi au-devant des reproches qu'il sait qu'on pourrait lui adresser. Méprisez les louanges de ces mercenaires hypocrites.

Les compliments sont des outrages

Dedans la bouche des flatteurs.

Mais de lui, Théophile, de lui, on peut tout croire; sa réputation de loyauté est bien connue; on sait qu'elle est sa profession de foi.

Moi qui n'ay jamais eu le blasme

De farder mes vers ny mon ame

Cette grâce si peu vulgaire.

FAUGÈRE-DUBOURG.

MISCELLANÉES.

Quelques-uns de nos lecteurs de la Revue auront peut-être trouvé téméraire notre étymologie du mot Bourbon, que nous avons citée en compagnie de plusieurs autres. Dans notre dernier numéro, nous avons

dit que les noms propres illustres n'étaient que des noms communs illustrés, et nous pourrions l'établir en prouvant que les plus hauts sont pres que tous de basse extraction. Dieu semble en effet se complaire à élever les choses humbles (et exaltabit humiles) et à se jouer des grandeurs humaines en les ramenant par le nom à la néantise de leur origine. C'est ainsi que dans le mot Bourbon nous trouvons boue; que dans celui de Tuileries nous trouvons une signification analogue; l'ancienne dénomination de Paris, c'est-à-dire Lutèce, renferme un sens pareil, puisqu'il dérive de lutum, qui veut dire limon. A Athènes, la place Céramique, où s'accomplirent des faits si mémorables, tirait également son nom de la terre, de la fange.

Comme on le voit, ce qu'il y a de culminant dans les hommes et les choses a été banalement qualifié par la Providence. Ce contraste est comme le sceau de sa puissance et l'avertissement de notre inanité.

Sa Majesté Napoléon III a fait une excursion au lac de Gaube durant son séjour à St-Sauveur. En arrivant sur les bords de cette belle eau dormante, ayant aperçu une frêle embarcation, il s'est assuré de sa solidité. Cette précaution prise, il est descendu dans le canot et a invité l'Impératrice à venir y prendre place. La gracieuse souveraine a obéi. L'Empereur s'est alors emparé des avirons et il a manœuvré la barque avec une dextérité infinie. Leurs Majestés ont parcouru le lac dans toute sa longueur et touché l'autre rive. Elles sont ensuite revenues, avec une vitesse merveilleuse, au point d'où elles étaient parties.

On lit dans l'Intérêt public: Le reboisement des montagnes serait incontestablement le seul moyen vraiment radical à employer contre les avalanches; mais le reboisement paraît impossible sur certains points de la montagne qui avoisinent Baréges; la végétation ne pourrait pas s'opérer sur les surfaces libres d'un terrain dénudé et sur des calcaires friables. Pour que la superficie du terrain cesse sur ces points d'être en contact avec les puissances atmosphériques, il faut opposer des obstacles accidentés; le meilleur moyen d'y parvenir, selon nous, consisterait à placer, en partant de la naissance des avalanches et en descendant de distance en distance, des groupes de pieux imbibés de sulfate de cuivre, d'après le procédé du docteur Boucherie, ou crézottés avec de l'huile de goudron. Ces pieux pourraient ainsi arrêter dans leur marche impétueuse les masses de neige, les blocs de pierre et tous les éléments de destruction que le torrent projette dans tous les sens jusqu'au-delà du Gave. M. le commandant Constantin, dans un rapport que nous regrettons de n'avoir point sous les yeux, a démontré qu'en disposant convenablement des digues qui paraissent débiles, il n'était pas impossible de neutraliser les puissants moyens dont dispose la nature.

Il paraît, au surplus, que cette question infiniment grave a déjà été examinée devant l'Empereur par des hommes compétents. Nous sommes convaincu qu'elle y trouvera une solution favorable qui permettra d'effacer, peut-être, ou tout au moins d'affaiblir d'une manière considérable, les ravages torrentiels qu'on éprouve à chaque instant dans la vallée de Baréges.

A Monsieur Noulens (1).

MON CHER DIRECTEUR,

Port du Passage, 14 août 1859.

C'est du Passage que je vous écris, un port de mer que vous ne connaissez peut-être pas et qui n'est pas marqué sur toutes les cartes. J'ai enfin conquis un lit, une table, une chaise, et ce n'est pas sans peine. Si je ne date pas cette lettre de l'hôtel de la Belle-Etoile, c'est bien à la Providence que je le dois. Mais n'anticipons pas, mon ami : je vous ai dit bonsoir hier, de St-Jean-de-Luz, c'est de cette même ville qu'aujourd'hui je veux vous dire bonjour. Nous nous sommes levés le matin bien reposés de nos fatigues, un bon déjeuner nous rend encore plus dispos. Nous nouons les espadrilles à nos pieds, nous bouclons notre sac de voyage et, la maquilla en main, nous voilà en route. Nous sommes toujours sûrs de retrouver St-Jean-de-Luz au retour, allons de l'avant. Nous sommes au centre du pays Basque, de ce pays français malgré lui, qui oppose encore à notre civilisation envahissante la barrière de sa langue, de ses mœurs et de ses usages. Certes, si je voulais j'aurais ici une belle occasion de me livrer à de scientifiques recherches sur l'origine des basques. Mais ne craignez rien, je ne suis pas un savant. L'origine des Basques se perd dans la nuit des temps, c'est convenu. Ils descendent des Cantabres, assuret-on, c'est déjà bien suffisant. Oui, mais les Cantabres d'où venaientils? Ah! ma foi, je n'en sais rien, et si Monsieur de Humboldt n'a jamais pu le savoir, je ne conseille à personne de chercher à le découvrir. Quant à l'idiome, à l'entendre on le croirait anté-diluvien. Parlait-on cette langue avant l'hébreu ou Noë causait-il en basque avec ses enfants? Je n'en sais rien. On veut qu'Ararat soit un nom basque, je ne m'y oppose pas; que Quékoua qui veut dire Dieu, ressemble à Jehovah; que l'hébreu n'ait que des radicaux de la langue escuara, je le veux bien; mais ne me réclamez pas d'autres explications, et demandez la clé de ces mystères aux savants linguistes vos collaborateurs. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'en 147 les Basques furent séparés du reste des Gaules et qu'il n'y a que quelques années qu'ils y ont été rattachés. Un certain Verus, natif de Hasparren, et gouverneur de l'Aquitaine

1) Deuxième lettre.- Voir, suprà, p. 173.

Cantabrique, paraît avoir puissamment contribué à cette scission. Il y a encore à Hasparren une pierre votive dont l'inscription consacre cette ère d'indépendance.

Apherhaundi cherkhari, etc., etc.

Il y a quatre lignes de cette force....., je vais les traduire ou plutôt je vais en emprunter la traduction :

<< Verus, grand prêtre, questeur, décemvir et gouverneur du pays.... » (Qui se douterait que ces mots apherhaundi cherkhari, etc., etc., » signifient tant de choses). » Je continue: « envoyé en ambassade à >> l'Empereur, en obtint la séparation de l'Aquitaine Cantabrique du > reste des Gaules; à son retour de Rome, il dressa cet autel au vœu du » pays..... » Vous voyez que malgré ma modestie scientifique je fais des concessions à ma dignité d'ignorant. Mais c'est bien pour vous que j'en fais, mon ami; c'est pour que mes fantaisies ne détonnent pas trop à côté des articles sérieux de votre estimable Revue. J'ai mis un bout de cravate blanche pour vous faire honneur, mais je le quitte bien vite et reprends ma blouse de pèlerin et mon humeur vagabonde. La route de St-Jean-de-Luz à Béhobie suit la croupe des premiers plans des montagnes. Nous ne fûmes pas plutôt sortis de la ville que, pris entre deux airs, la brise marine et le vent des montagnes, nous nous sentimes la force de faire à pied le tour du monde. Nous allions devant nous, devisant de choses et d'autres par ce chemin dont les rampes douces montaient et descendaient entre des haies de genêts et de tamarins qui nous éventaient au passage. De temps à autre une maison basque avec son toit en dos d'àne, sa galerie de bois, où courent en feston des guirlandes de piment, sa façade blanchie à la chaux, et ses fenêtres d'un rouge sombre nous souriait et nous invitait à entrer par sa porte toute grande ouverte. Comme un plus sûr garant d'hospitalité, le nom de famille gravé sur la porte vous dit tout de suite à qui vous aurez à faire. Ce sont des accouplements de syllabes bizarres en Etche-Hagha-Eguy, dont la prononciation seule remplacerait avantageusement pour les organes mal assouplis les cailloux de la mer dont se servait Démosthènes. Tout à coup, du haut d'une côte, nous voyons un château féodal dresser ses tours en-dessus des arbres, c'est le château d'Urtubi, appartenant à M. Larralde d'Usteguy; ce château a eu jadis les honneurs de l'opéra comique; il méritait mieux. Il pouvait être chanté par un poète, il fut chanté par un ténor:

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