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bientôt les tyroliennes éclatèrent en gargarismes infinis. Ces airs d'une langueur charmante parlaient, sans doute, de montagnes neigeuses, de pics sourcilleux, de glaciers, de torrents, car à mesure que les soldats chantaient, leurs figures s'assombrissaient et leurs yeux bleus s'emplissaient de nostalgie. Il y a certes une différence essentielle qui fait des soldats allemands et des soldats français deux types parfaitement distincts. Nos soldats à l'étranger chantent des refrains de guinguette, cherchent à oublier, et ils oublient. Les Allemands chantent les airs du pays natal; ils veulent se souvenir, et se souviennent trop peut-être. N'y a-t-il pas dans ces différences la raison d'être de notre supériorité militaire? Comme il n'est pas si bonne société que l'on ne quitte, et que tout a une fin ici-bas, nous dûmes à Dax quitter nos nouveaux amis. Nous avions échangé nos cartes avec le jeune parent de FrançoisJoseph; nous nous embrassâmes comme on s'embrasse quand on ne doit plus se revoir. Un moment, je crus que le sybarite allait rester. avec lui; le train s'ébrantait déjà qu'il lui serrait encore la main, et pff, et pff; la machine pantelante mugit, les wagons tressaillent comme les vertèbres d'un énorme serpent, les coups de sifflets aigus retentissent et se perdent dans l'espace, on part, on est parti. Le monstre halète à pleins poumons, et par les bruyères desséchées, par la poussière aveuglante, par la vapeur embrasée, nous fendons l'air. Partout l'horizon infini, la plaine immense et brûlée, tachetée par-ci, par-là de mares d'eau stagnante qui font éclater leurs tons de plomb fondu sur ce fonds d'un roux monotone. Parfois, quelque pin grandi par la solitude surgit au bord du chemin; mendiant. sinistre, il étale la plaie saignante de son flanc et lève vers le ciel ses grands bras désespérés. Nous passons à travers Sabre et Labouheyre; voici le Boucaut. La mer vient de nous apparaître par une large échancrure; nos poitrines se sont ouvertes à ces brises rafraîchissantes. C'est la mer ! c'est la mer ! Nous longeons l'Adour; déjà nous apercevons le clocher roman de la cathédrale de Bayonne coiffé de son pavillon d'ardoise. Nous entrons par une brèche dans la citadelle de Vauban; nous volons le long des glacis; voici le port, voici la ville; nous sommes arrivés.

A Bayonne, nous avons trois heures à dépenser; il faut faire viser

nos

passeports pour l'Espagne. On nous avait effrayés: nous aurions à surmonter de grandes difficultés, nous avait-on dit; aussi nos poches étaient-elles bourrées de lettres de recommandation; aucune d'elles n'arriva à son adresse; on avait compté sans notre bonne mine qui nous fit ouvrir toutes les portes. Les employés furent d'une courtoisie si

parfaite qu'une demi-heure après notre arrivée à Bayonne nous eussions pu traverser toutes les Espagnes. On nous avait accouplés deux par deux sur nos passes; le pythagoricien et l'optimiste étaient chefs de famille; nous leurs devions de par la loi soumission et respect. Le sybarite était le frère de l'optimiste, et moi j'étais le frère du pythagoricien. Il nous restait 2 heures 112; il y a bien des choses à voir à Bayonne, mais tout le monde les a vues, et tant de gens les ont racontées. Cependant, nous visitâmes la cathédrale en réparation. Chaque année, ce livre de granit s'augmente d'un chapitre. On peut donc en parler sans crainte de redites; déjà depuis deux ans, cette basilique, d'une beauté magistrale, a subi des transformations qui la rendent méconnaissable. Un goût sûr préside à ces restaurations où s'affirment le respect du style et l'abnégation du savant architecte. Les sculptures refaites sont d'une imitation servile; on a peint les nervures de la nef; elles sont teintées de ces couleurs claires qu'affectionnait le moyenâge, et qui s'assortissent 'si bien aux tons des vitraux. Les clés de la voûte découpent leurs écussons bariolés sur des fonds d'or; les ogives, aux arêtcs avivées, encadrent de merveilleuses verrières. Tout est déjà en parfaite harmonie, et pourtant la critique ne perd jamais ses droits; il n'est pas de concert d'admiration où elle ne fasse glapir son fausset, il n'est pas d'architecture où elle n'accroche ses ongles. Eh bien, le maître-autel est petit, trop petit, il se perd au sein de cette large. abside, il affecte des prétentions au style byzantin par trop accusées. Le but est dépassé; c'est de l'affectation puérile. Cet autel, fouillé à jour, avec ses chapiteaux d'animaux chimériques, ses chevrons, ses guivres, ses applications d'or, ses cabochons et ses émaux, nuit à la majesté de l'ensemble. C'est le coin d'une fresque traitée comme une miniature. L'autel a la forme d'un reliquaire byzantin; deux anges de custodes, aux ailes éployées, dorés et émaillés, supportent un lourd baldaquin sous lequel s'abrite une châsse en marbre d'un travail exquis du XIIe siècle. Sur le devant de l'autel et sous des arcades romanes s'enlèvent sur or, repoussé en ronde-bosse, des figures nimbées de saints et de saintes vues de face. Sur les côtés, dans le cadre d'une ornementation où s'enroulent les rinceaux chevronnés, hérissés des becs d'oiseaux et des masques de la fantaisie romane, s'appliquent des panneaux d'or quadrillés, relevés de boutons de chrysoprase et d'améthiste. Ce n'est plus là de l'architecture, c'est de l'orfèvrerie de Limoges. Je sais bien qu'on fait remonter au commencement du XIe siècle la cathédrale de Bayonne, mais je sais aussi qu'elle ne fut

⚫ parachevée qu'à la fin du xive siècle, et c'est cette date qu'attestent la courbe des ogives, la hauteur des voûtes, l'élancement des colonnes, les pendentifs armoiriés, et le style flamboyant des rosaces. Je me souviens d'avoir vu moi-même au musée de Cluny les fragments d'une tunique et d'une crosse trouvés dans la tombe d'un évêque ouverte dans les cloîtres de la cathédrale de Bayonne. La tunique est en soie, décorée de fleurs et d'oiseaux, tissés sur fond d'or. La crosse est en cuivre doré, incrusté d'émaux, et qui, si je ne me trompe, porte dans son enroulement l'agneau crucifère; tout cela pourrait, jusqu'à un certain point, excuser les prétentions byzantines du maître-autel. Mais bien certainement l'évêque qui porta cette crosse, au XIe siècle, n'a jamais officié dans cette basilique. C'est à peine si l'abside et le clocher conservent quelque trace du style roman... Mais quelle sotte idée me prend de faire de pédantesques critiques, l'optimiste vient m'arracher à mes réflexions, et certes il fait bien pour vous comme pour moi. J'allais encore parler du siége épiscopal, peut-être de quelques tableaux qui ne font que des taches noires sur les murs, et déjà la voiture est attelée, nous nous hissons jusque sur l'impériale, et fouette cocher... Ma foi, la nature a repris ses droits; en dépit de la beauté du pays, je me suis bêtement endormi et ne me suis réveillé qu'à St-Jean-de-Luz. Je reverrai la route au retour, c'est ce qui me console. Ici nous étions allendus et nous avons dîné, mais dîné à la mode basque, ce qui veut dire homériquement dîné; et puis nous sommes allés fumer quelques cigares sur la jetée, et puis nous sommes rentrés dans nos chambres, et puis je vous ai écrit, et puis j'ai senti mes paupières s'abaisser, et puis je m'endors; bonne nuit.

F. DUBOURG.

AUX ÉTOILES.

Belles étoiles d'or! vous plongez sur la terre
Votre œil de feu;

Et vous pouvez la voir, dans le sein du mystère,
Seule avec Dieu.

Elle foule des fleurs ou sème des pensées
Pleines d'émoi :

Lorsque de son esprit elles sortent pressées,
N'en est-il pas une pour moi?

Belles étoiles d'or, souvent je vous jalouse !

Car je voudrais

La contempler aussi, le soir, sur sa pelouse,
Voilant ses traits,

Peuplant d'un souvenir sa mémoire déserte,
Et, loin du bruit,

Laissant, pour s'enivrer, sa jeune âme entr'ouverte
A l'instar des belles de nuit.

Sa prunelle dégage un éclat planétaire :
Lorsque, dans l'air,

Près de ses blonds cheveux, près de son front austère,
Brille un éclair,

La lueur ne vient pas d'un céleste cratère,
Mais de ses yeux;

Ce n'est pas un rayon qui descend sur la terre,
C'est son regard qui monte aux cieux.

Le malheur m'avait fait douteur et misanthrope:
Quand je la vis

Grande comme un palmier, humble comme l'hysope,
Sur le parvis,

Son aspect ramena dans mon cœur l'espérance,
Même la foi;

Et je suis, en berçant ma suave croyance
Un sujet plus heureux qu'un roi.

A mes liens passés, à mes cultes profanes
J'ai dit adieu;

Je garde ma ferveur pour ses traits diaphanes,
Pour son œil bleu.

L'amour frugal ressemble au charbon d'Isaïe:
Son feu sacré,

Quand il s'allume en nous, guérit et purifie
Ceux dont le cœur est ulcéré.

J. NOULENS.

DE QUELQUES ÉDIFICES

ENTRE LES PLUS REMARQUABLES

de l'Architecture Chrétienne au Moyen-Age,

SPÉCIALEMENT DANS LE DIOCÈSE D'AUCH.

(Suite.) (1)

INDICES DE DÉGRADATIONS OPEREES SUR L'OEUVRE PRIMITIVE DANS L'ÉGLISE PAROISSIALE D'ESTANG.

L'absidiole du sud forme une chapelle dans laquelle tourne, à la hauteur des chapiteaux, la corniche inférieure en damier, après avoir fait retour sur le mur oriental du transsept. La corniche supérieure fait également ceinture dans le croisillon du sud, et relie entre eux les chapiteaux qui couronnent les hautes colonnes, à la retombée des arcades en relief sur les grandes voûtes. Cette corniche est unie et dépourvue de tout ornement, à partir de la moitié du mur oriental. Elle fait ainsi retour sur les deux autres murailles, au sud et à l'ouest, sans le moindre refouillement; indiquant par là même qu'elle a été refaite après dégradation de cette partie de l'édifice.

Le croisillon du nord ne conserve aucune trace de cette même corniche; ce qui prouve que la dégradation a été ici plus complète. La démolition s'est même étendue jusqu'aux deux hautes colonnes qui portent, de ce côté, le formeret de l'inter-transsept. Car leurs chapiteaux ont été refaits, de même que leurs bases, à une époque évidemment posté

(1) Voir, suprà, p. 81 et 133.

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