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LE PRÉSIDENT DE L.....

Je vois d'ici le portrait de ce digne homme, dont je publierai peutêtre les mémoires quelque jour. C'est une austère et grave figure du dix-septième siècle, égarée dans les dernières années du siècle suivant, et dont le pinceau de Largillière n'a pu éteindre les grands airs et le caractère profondément janséniste. Il avait étudié le droit sous Pothier, et le vieux Furgole avait encouragé ses premiers succès au parlement de Toulouse. Dans ses loisirs, il s'appliquait aux sciences naturelles et correspondait avec le comte de Buffon et M. Valmont de Bomare. Lorsque Rousseau fit paraître son Emile en 1762, il avait déjà 32 ans. Les théories sur le travail manuel et la nécessité d'un métier le séduisirent; il s'adonna quatre heures par jour à la profession de charpentier-mécanicien, dans laquelle il fit bientôt de remarquables progrès. Cela ne l'empêcha pas d'être nommé maître des requêtes, et, deux ans après, président à mortier au parlement de N..... On lui confia la direction de la Tournelle criminelle. Jamais fonction ne fut à la fois remplie avec plus d'exactitude et de répugnance. A chaque nouvelle affaire capitale, le président de L..... se mettait en retraite cinq jours à l'avance, pâlissant sur l'information et priant Dieu de l'éclairer. Le jour du jugement, on lui disait, de grand matin, une messe du SaintEsprit, où il communiait, pour s'en aller ensuite à l'audience, sans avoir ni bu ni mangé. Si l'accusé était renvoyé absous, il l'invitait à dîner et lui faisait présent d'un double louis. S'il était reconnu coupable, il allait le voir tous les jours pour le consoler et le préparer à la mort. Les mêmes scrupules le suivaient dans les affaires civiles. J'ai la preuve que, dans l'exercice de sa profession d'avocat, il a désintéressé, de ses deniers, un client dont il croyait avoir à se reprocher de n'avoir pas assez bien étudié le procès, et dont il avait perdu l'affaire par sa faute.

On peut lire sur sa mâle et sainte figure la trace de ces agitations et de ces combats. Débarrassez cette tête de sa grande perruque, enlevez de sur ces épaules cette simarre rouge fourrée d'hermine, vous aurez un homme jeune encore, au visage maigre et pâle, à l'œil triste, mais plein de résolution et de hardiesse. La révolution le trouva, à soixante ans, premier président. Il protesta, sur son siége, contre la loi du 12 septembre 1790, qui prononçait la dissolution des parlements, et se

retira sur une petite terre près de Bayonne. Malgré la facilité d'émigrer que lui donnait le voisinage de l'Espagne, jamais il ne songea à s'enfuir. C'était un ami du comte de Kersaint, et il pensait, comme lui, qu'il fallait demeurer en France et disputer, pouce par pouce, le terrain au jacobinisme. Le tribunal révolutionnaire ordonna de l'arrêter. Dix jours après, on le hissait sur un tombereau, et il marchait à l'échafaud en récitant son chapelet.

Deux femmes et un prêtre passèrent avant lui. Ce ne fut pas une petite affaire. Il avait plu toute la nuit, les poutrelles de la guillotine, qui était en permanence, avaient gonflé par l'humidité, et empêchaient le couperet de glisser librement dans la rainure. L'exécuteur, qui était humain, recula devant cette besogne difficile.

Pardieu, citoyen, tu as de la chance! La mécanique est détraquée, et tu ne passeras que demain.

Pas du tout, monsieur, l'arrêt porte pour aujourd'hui, vous n'avez pas le droit d'en différer l'exécution. De mon temps, vous auriez payé cher un pareil propos.

Mais la mécanique....

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N'est-ce que cela? Ayez l'obligeance de me délier les mains. Soyez tranquille. Vous avez un marteau? Bon! Deux ou trois coups pour écarter les poutrelles. Voilà qui est fait. Et maintenant: Vive le roi!

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Il fit le signe de la croix et se coucha sur la fatale bascule. Une seconde après, sa tête tombait dans le panier rouge,et la foule s'écoulait silencieusement, écrasée par cette simplicité hautaine et cette ironie suprême de la mort.

J.-F. BLADÉ.

EXCURSION ARCHÉOLOGIQUE

au Mont NERVEVA, près d'Auch, 1804.

Au temps de ma première jeunesse, déjà passionné pour les lettres et l'archéologic, j'habitais Auch, auprès de mon parent le préfet Balguerie, qui y a laissé une mémoire vénérée.

M. Beaugrand, membre de l'Athénée du Gers, eut la courtoisie de solliciter de M. Sentetz, mon ami et mon compagnon d'études, et de moi, tous deux ses confrères en l'Académie départementale, une visite à sa maison de campagne. Notre hôte, qui était poète (1), et, partant, épris de la nature, résidait une partie de l'année à St-Cricq, l'ancien Mont-Nerveva (2) des Annales ecclésiastiques du diocèse d'Auch et de la Légende de son saint évêque Orientius (3). Après le dîner, qui encore à cette époque, et surtout à la campagne, avait lieu entre midi et une heure, notre hôte, connaissant notre goût pour l'antiquité et ses monuments, nous proposa un pèlerinage aux ruines voisines de Nerveva, comprises dans son domaine. Elles gisaient sur un assez modeste coteau, que l'histoire a élevé à la dignité de montagne. Notre Cicerone, il faut bien le dire, malgré sa qualité de disciple du Dieu des beaux-arts et de fils d'un archéologue (4), paraissait avoir eu jusqu'à ce jour assez peu de souci, non seulement de la restauration, mais même de la simple conservation de ces restes vénérables.

A la suite d'un examen plein d'intérêt, il nous fut facile, malgré leur état de dégradation, d'y reconnaître les débris d'un oratoire ou d'une chapelle, dont la dernière destination avait été affectée au culte catholique.

(1) Voyez dans les procès-verbaux de l'Athénée du Gers quelques pièces de vers de lui.

(2) Cette appellation topographique n'est point celle de M. l'abbé Monlezun, qui le désigne dans son Histoire de Gascogne sous le nom de Nervica et Nerveya.

(3) Oriuntius ou Orient, dont l'Eglise a fait St-Orens, savant, courageux et pieux évêque d'Auch (auscius), au commencement du ve siècle; il appartenait également au Ive.

Nous avons de ce saint prélat, qui fut un des hommes les plus distingués de cette époque, un poème en deux livres écrit en vers élégiaques. Il est intitulé Communitorium. Nous avons aussi quelques autres poésies dont Sigebert a fait l'éloge. Ces ouvrages traitent tous des sujets religieux. Voyez Dom Edmond Marlène, veteres scriptores, 1700, et au ve volume de son Thesorus novus Anecdotorum, 1717, etc.

(1) Il était fils naturel, mais reconnu, du président d'Orbessan.

Ce petit monument, comme l'indique la tradition et comme le confirment quelques indices certains résultant d'une première construction, fut dans l'origine un manteion (psi), ou oracle, un fanum (temple champêtre ou rustique), consacré à Apollon. Il conserva cette destination jusqu'au ve siècle.

En ce temps, Orentius, transporté d'une sainte indignation, attaqua de son éloquente parole les restes des croyances et des temples païens encore vivaces et solides dans les pagi, dans les campagnes. Le saint évêque ordonna la destruction des édifices où l'on continuait à pratiquer les rites et les cérémonies du culte banni (1), et ce fut alors que notre édicule fut en partie renversé par les partisans de la nouvelle religion qui s'y portèrent en masse, ayant même, dit-on, à leur tête, le prélat dont ils recevaient les inspirations.

S'il faut en croire l'historien de la Gascogne déjå mentionné plus haut, l'oracle d'Apollon dont il est iei question n'aurait été rien moins qu'un temple célèbre des Auscii, dédié à ce dieu, offrant des dimensions et des formes architecturales disparates de celles d'un simple fanum. La tradition et l'aspect des lieux semblent démentir à la fois cette assertion.

Mais, quoi qu'il en soit, les chrétiens construisirent plus tard sur le même emplacement et avec les mêmes matériaux une petite église (ecclesiola), qu'ils placèrent sous l'invocation des martyrs St-Quiritte ou Quiric, et Ste-Juliette sa mère. En contractant le nom du premier, on en a

(1) Longtemps après l'établissement du christianisme dans les villes de l'empire, comme culte officiel et religion, sous Constantin et ses successeurs, les habitants des campagnes, des pagi ou cantons ruraux, restèrent fidèles aux anciennes croyances druidiques et romaines dont ils observaient les pratiques en secret, au milieu des bois. Du nom de Pagani qu'on leur donnait vint celui de Payens, qui en est la traduction, et qui est resté.

fait St-Cricq et Cric. M. de Monlezun appelle ces deux confesseurs de la foi chrétienne St-Cyr et Ste-Juliette.

Leur monument volif avait été conservé jusque dans nos derniers temps. A l'époque de la révolution de 1789, on y célébrait encore le service divin; mais peu après, vendu nationalement comme bien d'Eglise, il fut condamné à l'état d'abandon et de ruine dans lequel nous le trouvâmes.

Au moment où il cessa d'être consacré à l'exercice du culte catholique, on y remarquait, d'après ce que nous apprirent notre hôte et les gens du voisinage qui par curiosité nous avaient suivis dans notre exploration, divers fragments de sculpture et d'ornementation disparus depuis, et on nous signala encore, encastré intérieurement dans la muraille, un bas-relief qui seul aurait suffi pour déterminer la destination première de notre édicule, l'artiste y ayant représenté Apollon sur le Mont-Sacré, jouant de la lyre au milieu des Muses, ses compagnes fidèles (1).

Nous sûmes également des mêmes personnes qu'on y voyait encore naguère, scellé extérieurement au-dessus du tympan de la porte d'entrée, un second bas-relief présentant aussi un sujet mythologique dont on ne sut pas bien, dans le moment, nous rendre compte. Ce marbre, nous dit M. Beaugrand (2), fut enlevé de sa place par le précédent propriétaire, qui l'employa, après l'avoir retourné sur sa face plane, à un seuil ou marche de l'escalier de sa maison

(1) Il est fort douteux que ce bas-relief en pierre, et qui, du reste, appelait plus l'attention de l'archéologue et de l'artiste par son sujet que par le travail du sculpteur gallo-romain au ciseau duquel il était dû, existe encore à cette

heure.

(2) Cependant, M. Beaugrand, qui l'avait vu en place, croyait se rappeler qu'il représentait Hercule debout, vêtu de la peau du lion de Némée et tenant sa redoutable massue dans la main gauche; de la droite, qu'il avait élevée, il montrait dans la partie inférieure du ciel, et vers le couchant, une bande ou un segment du zodiaque, sur lequel aurait figuré le signe des Gémeaux. On voyait un bélier auprès du demi-dieu. Ce monument était en marbre, et, selon l'opinion populaire, il offrait St-Cricq gardant ses troupeaux. J'ai donné ailleurs l'explication de ce thème céleste.

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