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Séance du 15 décembre.

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SOMMAIRE. Lecture d'une pièce de vers par M. de Sémainville. Quels sont les avantages et l'avenir des Sociétés coopératives? Discussion à laquelle prennent part MM. Vasseur, Claudio Jannet et Seuillet. État actuel des communes rurales. Communication de M. Gardiol. Du Patronage comme élément de progrès moral el matériel pour les classes laborieuses. Exposé de M. Ch. de Ribbe. Note de M. Kina sur la Caisse de secours, établie aux mines de Gréasque par la Société des charbonnages des Bouches-du-Rhône.

Communication de M. Demandols sur la Société pour l'extinction de la mendicité, créée dans le département de l'Orne.

La séance s'ouvre à 2 heures, sous la présidence de M. Cabantous.

M. le comte de Sémainville lit une poésie ayant pour titre penser, aimer, chanter, et développe successivement dans ses vers le tableau de ces trois faits de la vie humaine.

M. le Président annonce que le terme de la durée des lectures et communications faites à la section sera rigoureusement fixé à une vingtaine de minutes, pour laisser à chaque personne inscrite le temps de se faire entendre.

M. Vasseur, de Valence, présente un travail au sujet de la 14 question, qui est relative aux Sociétés Coopé

ratives.

L'honorable membre définit les sociétés de consommation, de crédit et de production. Il en décrit le fonctionnement en Écosse, en France et en Belgique, et, pour prévenir l'objection qui pourrait être tirée du sort subi par la Société des tisseurs lyonnais, il s'attache à démontrer qu'elle n'était pas coopérative. Il numère les nombreux avantages résultant des institutions fondées sur la coopération. Elles ne peuvent, dit-il, créer un danger social. Si

l'on marche dans la voie d'un progrès sage et prudent, tout en maintenant le jeu de la libre concurrence, la classe ouvrière y trouvera un grand profit moral et matériel; l'ordre public ressentira lui-même l'heureuse influence des sentiments privés de concorde sur lesquels reposent ces sociétés.

M. Claudio Jannet, avocat à Aix, répond à M. Vasseur, en étudiant successivement comme lui les sociétés de consommation, de crédit et de production. Les premières, dit-il, sont les plus praticables; on les a vues réussir en France, notamment à Grenoble et à Valence (1) sous l'impulsion de MM. Frandon et Vasseur. Quant aux sociétés de crédit, elles exigent beaucoup plus l'habitude des affaires; nombreuses en Allemagne, elles offrent plus d'avantages et moins de difficultés que les sociétés de production. Celles-ci surtout soulèvent et rencontrent en pratique beaucoup d'obstacles. Ne pouvant guère vivre par elles-mêmes, elles ont besoin d'être patronées et de recevoir des avances de fonds. En ce qui concerne la personne des associés, elles nécessitent des aptitudes spéciales; il faut trouver dans la classe ouvrière un homme de talent méconnu pour le mettre à la tête de la société, ou bien l'on est forcé de recourir à la classe suspecte des gens que l'on peut appeler les rebuts du commerce. Les sociétés de production ont tout au plus quelque chance de réussite dans le groupe de la petite industrie, et encore dans des proportions insignifiantes. Ces sociétés offrent le danger de diminuer le stimulant de la responsabilité individuelle, et d'être à la merci des moindres crises industrielles. Les événements prouvent leur peu de vitalité, puisque, malgré la multitude de celles formées en France

(1) V. la notice sur l'Universelle, société qui a son siége à Valence et dont le but est de propager les associations coopératives; (broch. in-8°. Paris, Guillaumin.)

depuis quelques années, cinquante ou soixante seulement ont pu se maintenir, et que le nombre de celles en situation d'être considérées comme prospères se réduit à six ou sept. Vainement, ferait-on valoir cette considération chimérique, que les diverses espèces de sociétés peuvent se lier les unes aux autres et se soutenir mutuellement, en organisant ainsi un système social nouveau. Ce changement, vînt-il à se réaliser, ne serait qu'une modification dans les noms. On verrait le gérant et l'état-major de la société se substituer au patron dans la part à toucher sur les bénéfices. La prétention de supprimer le salariat est contraire au progrès; car, le salariat est fondé sur un système d'assurances, il offre des garanties de sécurité et de liberté pour le travailleur. Dans l'organisation nouvelle qu'on rêve comme base d'un ordre général, le moindre désastre privé pourrait ébranler d'un coup le corps tout entier. M. Jannet montre comme un enseignement les chutes réitérées des sociétés de production; mais il réclame en droit pour elles toutes les libertés légales.

M. Seuillet, avocat à Moulins, dit ne pouvoir pas plus que M. Jannet trouver le germe d'une réorganisation sociale dans les sociétés coopératives. Croire à l'émancipation sociale par la suppression du patron, à l'émancipation politique par la suppression du salariat, est une utopie, et cette utopie, eût-elle des chances de succès, ne serait ni utile, ni juste. La suppression radicale des intermédiaires est d'ailleurs impossible au point de vue économique. L'orateur voudrait que les essais projetés se bornassent à rendre aux ouvriers le crédit plus facile, à les associer aux bénéfices des patrons, à les soustraire à l'avide spéculation des petits marchands.

En examinant les diverses espèces de sociétés, ne trouve-t-on pas des inconvénients et des dangers dans chacune d'elles? Les sociétés de crédit sont applicables seulement à certaines catégories d'ouvriers et à de très petits groupes.

Les sociétés de production exigent plus de circonspection encore, elles sont des entreprises commerciales et elles en subissent les chances. En descendant dans la pratique des choses, cette redoutable question se pose: comment l'ouvrier fera-t-il pour vivre, s'il n'écoule pas immédiatement ses produits? Les sociétés de consommation, nombreuses et prospères en Angleterre, présentent ellesmêmes des dangers, et on ne peut songer de les étendre dans les campagnes. Il faut, dans tous les cas, que ces sociétés agissent avec prudence, qu'elles restent autonomes et indépendantes.

M. Seuillet termine en disant que le but de la réforme doit être moral, avant d'être économique.

M. Vasseur réplique à ses deux contradicteurs. Les sociétés coopératives, dit-il, sont elles-mêmes un élément de moralisation, et l'exemple du passé le prouve. Les préoccupations politiques doivent leur rester étrangères ; c'est évident et cela n'a pas besoin d'être discuté. Les dangers que l'on signale sont exagérés. Les sociétés de crédit ne peuvent-elles pas venir en aide aux sociétés de production, et réciproquement? Ces sociétés étant solidaires, leurs membres se montreront moins rigoureux, les uns à l'égard des autres, que ne le seraient de simples bailleurs de fonds indifférents aux succès futurs de l'institution. Sans doute, il y a des périls à éviter; aussi, les sociétaires se choisissent avec soin, ils ne se recrutent qu'après avoir fait subir aux candidats un stage sous le nom d'ouvriers auxiliaires. L'orateur repousse toute assimilation entre les sociétés coopératives et les sociétés créées en 1848.

M. A. Gardiol, de Fayence (Var), répond à la 10° question, en transmettant divers travaux sur l'Etat actuel des communes rurales.

Le premier de ces travaux montre l'importance nouvelle que la révolution de 1848 et le suffrage universel ont

donnée au paysan. Aux yeux de M. Gardiol, l'ancien équilibre est en quelque sorte rompu. Longtemps, l'oisiveté a été le trait caractéristique des classes bourgeoises; aujourd'hui, ces classes sont condamnées à décheoir, si elles ne se retrempent pas dans le travail et si elles ne se dévouent à l'éducation morale des paysans. Ceux-ci sentent leur force et leur puissance; tout en jouissant d'un bien-être inconnu de leurs pères, ils conquièrent le sol pied à pied par l'épargne, ils en seront bientôt les maîtres. Qu'adviendra-t-il, si leurs croyances et leurs mœurs disparaissent, à mesure qu'ils seront matériellement plus heureux, politiquement plus libres?-« C'était eux, dit l'auteur, qu'on voyait autrefois les plus recueillis dans l'église; ils se seraient fait un scrupule de travailler le dimanche. Aujourd'hui, la plupart sont sceptiques et peu s'en faut que beaucoup ne soient athées... Dieu pour eux est le soleil, l'àme un soufle qui disparaît à la mort.... >> Tels sont les paysans que M. Gardiol a sous les yeux, il s'en effraie pour l'avenir, et il craint que, si une réaction ne se produit par les bons exemples, la dégradation morale des classes agricoles n'ait des conséquences subversives.

Le même membre communique une monographie sur la petite commune de Tanneron, située sur les confins du Var et des Alpes-Maritimes, et il l'offre comme une preuve de l'état d'abandon auquel sont vouées certaines contrées peu accessibles.

Enfin, il trace l'histoire de la commune de Fayence (arrondissement de Draguignan). Cette histoire est remarquable, dit-il; on y voit se réaliser par degrés, de génération en génération, la pensée patriotique de l'affranchissement des droits seigneuriaux; pensée qui put enfin être mise à exécution en 1782. Fayence se racheta pour une somme moindre de 60,000 livres.

«Notre petite ville, dit M. Gardiol, était libre, et elle

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