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M. Charles de Ribbe, secrétaire général du Congrès, met sous les yeux de l'assemblée de nombreux objets, appartenant à l'âge celtique, et trouvés dans la vallée de Barcelonnette. Ces objets sont des hachettes en pierre polie, des bracelets en bronze, des ossements empreints d'une couleur verdâtre provenant de la décomposition du cuivre. Ils se distinguent par leur remarquable état de conservation, ils ont été catalogués avec soin et disposés avec un goût parfait par M. le docteur Ollivier, de Barcelonnette, qui ne pouvant se rendre au Congrès a voulu concourir de loin à son œuvre, en lui soumettant les produits de ses savantes recherches.

M. de Ribbe dit que l'exemple donné par M. Ollivier est digne d'être cité et qu'il mérite, avec les félicitations des amis de la science, un vote spécial de remerciment de la part de la section. Il serait à désirer que beaucoup d'hommes, surtout dans les contrées habitées par notre honorable correspondant où la dépopulation est un fléau non-seulement pour les campagnes, mais aussi pour les travaux de l'esprit, se consacrassent comme lui à l'étude des origines de notre pays, à l'observation et à la description de ses monuments.

M. le docteur Ollivier a accompagné son envoi d'intėressants détails que nous reproduisons.

La vallée de l'Ubaye, qui s'étend du confluent de cette rivière avec la Durance jusqu'au revers sud du Mont-Viso, occupe le centre des Alpes françaises. Au midi, elle est limitée par les Alpes maritimes ou de Provence, qui se détachent du massif du Lauzanier et donnent naissance sur leur flanc méridional au Verdon, au Var et à la Tinée, dont les petits bassins, perpendiculaires au littoral de la Méditerranée, sont très peu favorables pour déboucher de France en Italie. Du côté du nord, elle est fermée par un contre-fort qui, en s'échappant du mont Viso, la sépare d'abord de la petite vallée du

Guil, puis de celle de la Durance, jusqu'à leur confluent. Audelà de ce dernier cours d'eau, nous n'avons plus que l'Isère et ses affluents. Si maintenant l'on veut bien remarquer que les passages du mont Genèvre, du Petit-Saint-Bernard, etc., ne sont praticables que depuis les travaux modernes que l'on y a exécutés, si l'on tient compte du difficile accès que présentent les vallées au midi de l'Ubaye, si l'on apprécie la direction du S. S. O. au N. N. E. qu'offre la vallée de Barcelonnette, on trouvera qu'elle devait être le chemin naturel conduisant de la péninsule Ibérique, du midi de la Gaule, au cœur de la Cisalpine par les Tauriniens, au midi de l'Helvétie et de la Germanie. On arrivera facilement à conclure que par cette route ont dû passer les grandes migrations gauloises allant en Italie, d'autant que le chemin n'offrait aucun accident sérieux, et que sa pente moyenne n'allait pas au-delà de 12 millimètres par mètre. A coup sûr, la vallée de l'Ubaye a vu passer ces Gaulois qui, sous la conduite de Bellovèse, se donnèrent rendez-vous sur la rive gauche du Rhône, chez les Tricastins, prêtèrent assistance aux Phocéens-Massaliotes, franchirent les Alpes Tauriniennes, per Taurinos saltusque invios Alpes transcenderunt, battirent les Etrusques sur les bords du Tessin et fondèrent Milan. Cette même voie, vestigia priorum secuta eodem saltu, dut être prise par Elitovius et ses Cénomans, quand, avec l'appui de Bellovèse, ils allèrent bâtir Vérone et Brescia. Les Gésates, ces Celtes des bords du Rhône, appelés par les Circumpadans huit ans avant l'expédition d'Annibal, firent de même, et ce dernier, marchant sur leurs traces, choisit la route la plus frayée, la plus courte, pour arriver au milieu des Cisalpins, ses alliés naturels contre Rome.

Un passage ainsi fréquenté devait naturellement amener sur ce point nombre de peuplades. Aussi, que de débris celtiques dans notre vallée ! C'est à la Bréole, à Pontis, à SaintVincent, au Lauzet, à Méolans, qu'on en trouve; c'est encore aux Thuilles, à Saint-Pons, à la Frache, à Faucon, à Moulanès, qu'on les rencontre, comme aussi à Sanières, à Jausiers, à Lans, à Chatellard, à Larche, à Meyronnes, à Saint-Ours, à Saint-Paul, à Sérenne, etc., etc., où les restes de la période

gauloise sont aussi nombreux que variés. Rien de semblable, d'autre part, dans les bassins du Verdon, du Var et de la Tinée; rien de pareil du côté de la Haute-Durance : à peine y découvre-t-on quelques vestiges de l'âge celtique dans le bassin du Guil, bassin bien circonscrit et voisin de celui de l'Ubaye.

I. Au printemps de l'année dernière, deux individus de Lans-sur-Jausiers effondraient, sur la rive gauche de l'Ubaye, un coin de terre dont la pente était fortement inclinée, et regardant le nord-ouest. En pratiquant une fausse manœuvre, l'un des travailleurs amène quelques anneaux avec sa pioche; on les examine de plus près, et l'on remarque aussitôt, à l'endroit d'où viennent d'être extraits deux anneaux, de grandes et lourdes dalles légèrement inclinées vers le midi. On s'arrête alors, et, sachant que j'étais dans le village près de malades, on me fait appeler. Arrivé sur les lieux, je fais immédiatement pratiquer une fouille régulière, je fais déblayer tout autour avec précaution, et, après quelques instants de travail, nous nous trouvons en présence de trois grandes dalles de calcaire schisteux, affaissées à cause de leur propre poids, et, par suite de la décomposition de leurs supports, déjà délitées par l'humidité, le gel et le dégel. Au nord, d'autres pierres, profondément plantées dans le sol, soutenaient ces mêmes pierres larges et nous laissaient deviner un creux au-dessous. Chaque dalle, posée en travers, avait en moyenne 4 m. 10 de longueur sur 80 centimètres de largeur. Nous les enlevons à force de bras, et grand est notre étonnement, lorsque nous nous trouvons en face d'un cadavre presque complétement conservé, la tête portée vers l'ouest et regardant le levant; mais, hélas! à peine l'avions-nous touché qu'il tombait en poudre, et il ne nous restait de palpable que de beaux anneaux, une chaîne, une fibule, une agrafe de ceinturon en bronze, objets qui figurent dans mon envoi au Congrès.

Un fait m'a frappé dans cette découverte, et il m'autorise à qualifier cette tombe de celtique; c'est la direction donnée au cadavre qui regarde du côté du levant, direction que j'ai eu occasion de constater ailleurs sur des tumuli explorés par mes soins. Je signalerai une autre particularité que je n'avais ren

contré encore qu'au Chatellard-la-Ville, un peu plus haut, vers les sources de l'Ubaye; c'est l'arrangement par juxtaposition des dalles latérales et du pied du tombeau, qui faisaient l'office d'un mur de soutenement pour les trois dalles qui formaient le couvercle; mais, ce qui est le plus digne de fixer l'attention, c'est la forme de la dalle unique qui soutient le côté de la tête, partie la plus large du couvercle. La coupe de cette pierre est celle d'un triangle isocèle dont la base repose sur le fond de la tombe; on reconnaît facilement que cette ardoise épaisse a été exprès taillée pour l'usage auquel on l'a faite servir. J'ai observé plusieurs fois, ailleurs, que, quand cette dalle est remplacée par plusieurs pierres, celles-ci sont alors choisies de façon qu'en les superposant elles forment encore un triangle. Je vais plus bas relater un fait de cette espèce.

Le cadavre était couché dans le décubitus dorsal, les mains juxtaposées se trouvaient à la hauteur de la région pubienne. L'avant-bras gauche portait un bracelet formé d'une large lame de bronze, tournée en spirale, et formant trois tours complets; à l'avant-bras droit étaient passés trente-deux anneaux striés sur leur face externe, et figurant une sorte de cône tronqué dont la base reposait du côté du coude et le sommet vers le poignet.

Sur la région sous-clavière gauche, se trouvait appliquée une fibule de laquelle partait une longue chaîne qui allait se perdre derrière le cou. En voulant la saisir, je la détachai de la fibule à laquelle il reste encore un petit anneau, et je ne pus discerner où elle pouvait aboutir, par son autre extrémité, vers la région cervicale postérieure.- Un peu plus bas, à peu près vers la région de l'ombilic, mais bien à droite, je trouvai une espèce de crochet, une manière d'agrafe que je crois avoir appartenu à un ceinturon. A ce moment de l'opération, un violent orage éclate et nous oblige de suspendre la fouille, et quand, le surlendemain, j'allai la continuer, je ne trouvai plus que quelques débris d'os lavés par la pluie, une terre grasse, gluante, au milieu de laquelle il ne fut plus possible de rien démêler.

II. Ce printemps dernier, un homme de la campagne, nommé Aubert, des Sanières, près Jausiers, vient me prévenir qu'il

venait de découvrir une tombe comme celle que j'avais précédemment fait explorer dans la même localité. Je me rends aussitôt sur les lieux, et voici ce qu'une fouille attentive et minutieuse me révéla.-Mais avant, un mot de notre lieu d'exploration. Le village de Sanières est situé, contrairement à Lans auquel il fait face, sur la rive droite de l'Ubaye; le sol, moins incliné que celui dé cette dernière localité, regarde le S.-S.-E. Sa position agréable, à l'extrémité nord-est de la vallée proprement dite, au point au-delà duquel celle-ci n'est plus qu'une gorge resserrée entre deux montagnes taillées à pic, dut attirer de bonne heure les habitants de la vallée de l'Ubaye et les déterminer à s'y fixer plutôt que partout ailleurs. Le nom de Jausiers, qui est à deux pas de là, et qui relie les Sanières à Lans, me rappelle encore, sans rien forcer, le séjour des Esubiens dont il est parlé dans les trophées d'Auguste. Lans, Jausiers et les Sanières ont dû être un centre celtique important; les nombreux débris de cette période que l'on y découvre tous les jours en sont une preuve non équivoque, et, dans toute son étendue, le quartier des Sanières, dit les Argiles, en offre des vestiges précieux et variés. - Ici encore, se trouve le tombeau que l'on voulut bien me signaler. Il est allongé de l'est à l'ouest; la tête, plus large que le reste, est du côté du couchant, et le pied est dirigé vers l'orient. Après l'avoir fait dégager tout autour, je me vois en présence d'un monument formé par deux énormes pierres plates, servant de couvercle à une sorte de caisse trapézoïde, longue de 2 m. 20, large de 4 m. 70 au couchant et de 4 m. 50 du côté du levant. Chaque pierre du couvercle cube en moyenne un mètre. Les côtés de la caisse sont formés par un mur construit en pierres plates, dont la surface ne dépasse pas vingt centimètres carrés; celui qui est du côté de l'ouest a la forme d'une pyramide quadrangulaire dont le sommet, tourné vers le ciel, sert de support à un des côtés du couvercle.-De chaque côté de cette pyramide, vers le sommet, restent des jours qui m'eussent facilement permis de voir dans le monument, s'il eût été éclairé. Après avoir enlevé le couvercle à force de bras, je distingue les débris d'un cadavre dont la face regardait l'est, et dont les jambes, le tronc, les bras et la tête sont

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