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IVE SECTION

ARCHÉOLOGIE ET HISTOIRE (1).

Séance du 13 Décembre.

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SOMMAIRE. Constitution du Bureau. Des monuments celtiques qui existent en Provence. Communications de M. Raymond Poulle sur le dolmen de Draguignan; de M. Rostan, sur le menhir de Cabasse; de M. Gustave Vallier, sur les dolmens de Bourg- SaintAndéol et sur un monument celtique de Saint-Vallier; de M. Allègre, sur un autre monument druidique signalé à Sisteron. Observations de M. Ch. de Ribbe, sur les Légendes provençales relatives à la destruction du Dragon, comme symbole du culte druidique; de M. de Payan, sur le caractère des monuments celtiques dans la Bretagne et le Velay. Note de M. le marquis de Jessé-Charleval sur les Haches celtiques; de M. le comte de Villeneuve, sur les Hachettes en silex.— Inscription grecque de Marseille. Mémoire de M. Egger et fac-simile de l'inscription.

La séance s'ouvre à midi dans la grande salle de la Faculté de droit, sous la présidence provisoire de M. SegondCresp, l'un des secrétaires généraux.

Il est procédé à l'élection des président et vice-prési

(1) En dehors des séances dont on va lire les procès-verbaux et concurremment avec elles, la ville d'Aix a encore été le siége d'une session du Congrès archéologique de France, tenue pendant celle du Congrès. Le compte rendu de cette session est le complément de celui-ci ; il a été publié par la Société française d'archéologie, dans son volume annuel, intitulé: CONGRÈS ARCHÉOLOGIQUE DE FRANCE, séances générales tenues à Senlis, Aix et Nice en 1866. (Caen, Le BlancHardel, 1867.)

dents. Cette opération étant terminée, M. Segond-Cresp en proclame les résultats, et le Bureau se trouve composé ainsi qu'il suit :

PRÉSIDENT.

M. ROSTAN (Louis), Inspecteur de la Société française d'archéologie, correspondant du Ministère de l'Instruction publique, à Saint-Maximin (Var).

VICE-PRÉSIDENTS.

MM. BONAFOUS (Norbert), Professeur à la Faculté des Lettres d'Aix, membre de l'Académie.

BONNEFOY (de), Inspecteur de la Société française d'archéologie, à Perpignan.

JOUVE (chanoine), Vice-Président de la Société d'archéologie et de statistique de la Drôme, à Valence.

RATHEAU, membre de la Société française d'archéologie, commandant du génie à Porqueroles, îles d'Hyères (Var).

SECRÉTAIRES.

MM. PAYAN-DUMOULIN (de), Conseiller à la Cour impériale d'Aix, Secrétaire général du Congrès archéologique de France.

PENON, Conservateur du Musée des antiques de
Marseille

POUGNET (abbé), Membre de la Société française
d'archéologie, à Marseille.

POULLE (Raymond), Membre de la Société française d'archéologie, à Draguignan.

VALLIER (Gustave), Membre de l'Académie delphinale, à Grenoble.

M. Rostan est installé au fauteuil de la présidence et

invite MM. les Vice-Présidents à occuper leurs siéges. Il donne ensuite lecture des questions soumises à la section d'archéologie, en faisant connaître les noms des membres qui sont inscrits pour traiter chacune d'elles.

L'ordre du jour appelle l'examen de la première question: Indiquer quels sont les monuments celtiques qui

existent encore en Provence.

M. Raymond Poulle, avocat à Draguignan, décrit un dolmen existant à un kilomètre de cette ville, sur l'ancienne voie romaine qui se dirigeait de Fréjus sur Draguignan et aboutissait à Riez. Ce dolmen est formé de quatre pierres placées de champ et alignées parallèlement de l'est à l'ouest, que recouvre une cinquième, de dimension beaucoup plus grande, posée à plat. Le peuple lui a donné dans le pays le nom de Pierre de la Fée (Peiro dé la Fado); qualification tout à fait identique à celle qu'ont reçue des monuments de même nature existants en Auvergne, où ils sont appelés en patois: Peyrrés dé las Fadas.

On trouve le dolmen de Draguignan mentionné et même décrit au XIIIe siècle par Raymond Feraud, gentilhomme et poëte provençal, auteur d'un discours sur la Vie, bonnes mœurs et sainteté de saint Hermantaire. Voici un curieux fragment de ce discours, reproduit d'après une vieille traduction : « Et au lieu dit de Dragoniam, qu'on nomme aujourd'hui Draguignan, au terroir d'iceluy, assés loin et séparé de la ville, y avoit emmy d'un bois une fée nommée Estarella, et le lieu se nommait Cyclopera, où les femmes des lieux circonvoisins, abusées de superstition, alloient boyre quelque abrevage que leur estoit administré par les prestres de cette Fée. Saint Hermantaire y alla accompagné des principaux de la ville, et trouvèrent quelques femmes voylées le visage d'un voyle rouge et vestues d'habits incogneus et inhusités, auxquelles les prestres et sacrificateurs de la Fée administroient leurs guirlandes, estant

assizes au dessoubx d'une grande et grosse pierre soubstenue de trois grosses pointes, en forme d'obélisques faicts et composés à la rustique..... Et il parla aussi avec une telle sévérité aux sacrificateurs de la Fée, les commandant de n'y retourner jamais plus, et s'ils faisoient le contraire il les faisoit chastier..... >>

Or, comme saint Hermantaire vivait au commencement du ve siècle, on a conclu de ce passage et de l'ensemble des traditions locales que le culte du Dragon, dont l'existence a été constatée, non-seulement dans les théogonies asiatiques, mais aussi dans les religions des peuples primitifs de l'Occident, se serait perpétué sur ce point avec le druidisme. Le nom de Dragonia, donné par Raymond Feraud au lieu où le Dragon aurait été tué par saint Hermantaire, et que le même auteur identifie avec celui de Draguignan, concourt avec d'autres indications sérieuses à mettre hors de doute l'existence prolongée d'une peuplade Celto-Lygienne, se caractérisant par la persistance du culte druidique, trois siècles après l'établissement du christianisme en Provence.

Les armoiries de la ville de Draguignan ont gardé la trace probante des antiques traditions; on y voit un dragon vivant et debout percé d'un fer de lance recourbé en crosse. Anciennement, les consuls avaient le droit de donner le nom de Drac (mot signifiant serpent), aux enfants qu'ils tenaient sur les fonts du baptême pendant leur administration.

Le dolmen de Draguignan était-il uniquement destiné aux sacrifices? Etait-il aussi un tombeau? Il a pu servir aux deux usages. Dans des fouilles pratiquées en 1844, on y a trouvé un dard en silex de 95 millimètres de longueur sur 30 de largeur dans la partie du renflement, un grain de plomb, de forme ovoïde, ayant 22 milli

mètres de longueur sur 10 de largeur, plus deux boutons en os (1).

M. Charles de Ribbe constate dans une note que les mêmes traditions légendaires, se rattachant toutes au triomphe du christianisme sur le druidisme ou le paganisme, se retrouvent dans beaucoup de cités provençales. A Aix, un dragon aurait été tué par l'intercession de saint André, sur un rocher nommé le Rocher du Dragon et qui servit d'emplacement pour une chapelle élevée à ce saint. A Marseille, un serpent d'une grandeur prodigieuse dévorait les hommes, dans un bois de pin, là où fut construite plus tard l'abbaye de Saint-Victor; il aurait été combattu et mis à mort par saint Victor, armé de toutes pièces, et, d'après le témoignage de Ruffi, l'ancien grand sceau de Marseille le représentait foulé aux pieds par le saint. A Arles, à Cavaillon, à Sisteron, mêmes légendes: dans la première de ces villes, le monstre aurait été terrassé par un habitant du pays qui s'y serait préparé en se confessant et en communiant; dans les deux autres, il l'aurait été par saint Véran et saint Donnat. La légende de la Tarasque à Tarascon est beaucoup plus connue. Sainte Marthe aurait délivré le pays d'une sorte de Léviathan, qui se tenait dans le Rhône pour dévorer les hommes descendant par le fleuve; de là, les représentations données le jour de la Pentecôte par les Chevaliers de la Tarasque, et où le monstre paraît d'abord en état de fureur et jetant des flammes, puis terrassé et conduit par une simple jeune fille. Enfin, l'antique tradition se montre à Beaucaire, personnifiée dans un enchanteur habitant le

(1) Consult. sur le dolmen de Draguignan : 1° une notice publiée par M. Audiffret, membre de l'Académie de Marseille; 2° une autre notice due à MM. Doublier et Fournier (Bulletin de la Société d'études scientifiques et archéologiques de la ville de Draguignan, 1856-1857, t. 1); 3o l'Etude sur les origines de Draguignan, par M. l'abbé Barbe (ibid. 1858, t. 2).

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