25. LA GARNISON DE VILLAGE. ANECDOTE HISTORIQUE. Pendant la guerre de trente ans, le commandant espagnol, Gonzalve de Cordoue, se trouvant dans le Palatinat, crut devoir s'emparer du village d'Ogersheim, défendu par une fortification. A son approche, tous les habitants s'enfuirent à Mannheim. Il ne resta dans l'enceinte de leurs remparts qu'un pauvre berger, nommé Fritz, avec sa femme malade et son fils nouveau-né. Qu'on se figure l'angoisse de ce pauvre homme, qui voyait arriver de terribles ennemis, et ne pouvait pas, comme ses concitoyens, se soustraire à leur cruauté. Mais il était fin et courageux, et il s'avisa d'un stratagème avec lequel il espérait conjurer le péril qui le menaçait. Après avoir embrassé sa femme et son enfant, il sortit pour mettre son projet à exécution, et dans les bagages abandonnés par les fugitifs, il trouva sans peine ce qu'il cherchait, c'est-à-dire un costume militaire complet. Il mit sur sa tête un casque énorme surmonté d'un haut plumet; à ses pieds, de larges bottes auxquelles étaient attachés de longs éperons; à sa ceinture, un grand sabre et une paire de pistolets; sur ses épaules, un beau manteau d'officier. Ainsi équipé, il s'avança sur les remparts, au pied desquels était le héraut qui sommait le village de se rendre. "Ami," lui répondit le vaillant berger, "dites, je vous prie, à votre général, que je n'ai nullement l'intention d'obtempérer à sa requête, mais que, si je pouvais m'y décider, ce ne serait qu'à la condition: 1°, que la garnison sortira de cette forteresse avec les honneurs de la guerre; 2°, que la vie et la propriété des habitants seront respectées; 3°, qu'ils conserveront le libre exercice de leur religion." Le héraut répliqua que les Espagnols ne pourraient se soumettre à de tels arrangements, que la population d'Ogersheim n'était pas en état de se défendre, et que ce qu'elle avait de mieux à faire, c'était de se rendre immédiatement. "Mon ami," reprit tranquillement le berger, "ne soyez pas si vif. Dites, s'il vous plaît, à votre général, que le désir seul d'éviter l'effusion du sang peut me déterminer à lui ouvrir les portes de cette citadelle, mais que, s'il n'accepte pas les conditions que je vous ai formulées, il n'entrera ici que par la force de l'épée, car, je vous le jure sur ma foi d'honnête homme et de chrétien, la garnison vient de recevoir un renfort auquel certainement vous ne pensez pas." En parlant ainsi, Fritz alluma sa pipe et se mit à fumer nonchalamment comme un homme qui n'a pas le moindre sujet d'inquiétude. Le parlementaire déconcerté par cet air de hardiesse et d'insouciance, retourna près de son général et lui raconta son colloque avec le commandant d'Ogersheim. Après ce récit, Gonzalve pensa aussi qu'il pouvait trouver là quelque résistance. Comme il ne se souciait pas de perdre son temps devant une méchante bicoque, il résolut d'accepter les conditions qui lui étaient imposées, et s'avança avec ses troupes vers la porte de la forteresse. En apprenant par le héraut cette généreuse détermination, le berger lui répondit flegmatiquement: "Votre maître est un homme sensé." Puis il alla baisser le pont-levis, et invita les Espagnols à entrer. Surpris de ne voir devant lui que le rustique pâtre avec son accoutrement militaire, qui lui donnait une mine grotesque, Gonzalve craignit une trahison et demanda où était la garnison. "Si vous voulez bien me suivre," répondit Fritz, "je vous la montrerai.” "Marche à côté de moi," dit le général espagnol, "et je te préviens, qu'au moindre indice de perfidie, je t'envoie une balle dans la tête." -"Très-bien," repartit le berger. "Suivez-moi avec confiance. Je vous jure par tout ce que j'ai de plus cher, que la garnison ne peut vous faire aucun mal." Il conduisit alors le général par plusieurs rues silencieuses et désertes, jusqu'au fond d'un carrefour, et le fit entrer dans une chétive maison. Là, lui montrant sa femme: "Voilà," lui dit-il, "la meilleure partie de notre garnison," et lui montrant son nouveau-né: "voilà notre dernier renfort." Gonzalve, voyant par quel singulier artifice il s'était laissé abuser, se mit à rire, puis détachant de son col une chaîne d'or qu'il posa sur le lit de la jeune mère, et tirant de sa poche une bourse pleine de ducats qu'il donna à Fritz : "Permettez-moi," dit-il, "d'offrir comme un témoignage de mon estime cette chaîne à la belle garnison, et à vous cette bourse pour votre jeune conscrit.” I embrassa ensuite la femme et l'enfant, et sortit, Fritz le reconduisant à travers le village, et le remerciant avec une profonde émotion. X. MARMIER. 26. L'AIGLE ET L'OUTARDE. Sur un pré, qu'un grand bois couvrait de son ombrage, L'aigle vint s'abattre à ses yeux, Se percher au sommet d'un chêne sourcilleux, Il semblait d'un œil fier, d'un œil impérieux, "Eh! pour quelle raison," dit-elle, Un troisième la porte aux trois quarts du chemin. Sur la cime du chêne elle paraît enfin, Triomphante, mais essoufflée. L'aigle, qui, par bonheur, avait fait ses repas, Lui dit: "C'est bien haut, ma commère, Prenez garde! le calme ici ne dure guère. Voyez venir l'orage et ne l'attendez pas." "Pourquoi donc ?" interrompt la vaniteuse bête; "Ainsi que vous, j'y ferai tête!" A peine a-t-elle dit que la foudre a tonné. N'a point, pour s'y tenir, comme son compagnon, La tempête la roule; un dernier coup de vent D'un vol tranquille a percé le nuage, Va retrouver l'éclat et le calme des cieux. Mais comment vous guérir d'un travers si commun? 27. VIENNET. LE TURBAN BLANC. 'Maman, écoutez comme on pleure dans les cabanes," disait un matin le petit Ronald Cameron à sa mère. "Je suis sûr que les enfants de Nansurah ont encore faim." -"Peut-être, le riz est si cher, et les gages de Somal ne sont pas considérables," dit indolemment Mme. Cameron. "Je crois bien qu'ils ne sont pas considérables, et ils ont six enfants à nourrir là-dessus!" s'écria Ronald avec une énergie que le brûlant soleil de l'Inde n'avait pas encore domptée. |