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22.

L'ANGE ET L'ENFANT.

ÉLÉGIE A UNE MÈRE.

Un ange au radieux visage,
Penché sur le bord d'un berceau,
Semblait contempler son image
Comme dans l'onde d'un ruisseau.

"Charmant enfant qui me ressemble,"
Disait-il, "oh! viens avec moi !
Viens! nous serons heureux ensemble,
La terre est indigne de toi.

Là jamais entière allégresse,
L'âme y souffre de ses plaisirs ;
Les cris de joie ont leur tristesse,
Et les voluptés leurs soupirs.

La crainte est de toutes les fêtes;
Jamais un jour calme et serein
Du choc ténébreux des tempêtes
Ne garantit le lendemain.

Eh quoi! les chagrins, les alarmes,
Viendraient troubler ce front si pur,
par l'amertume des larmes

Et

Se terniraient ces yeux d'azur !

Non, non, dans les champs de l'espace

Avec moi tu vas t'envoler:

La Providence te fait grâce
Des jours que tu devais couler.

Que personne dans ta demeure
N'obscurcisse ses vêtements;
Qu'on accueille ta dernière heure,
Ainsi que tes premiers moments.

Que les fronts y soient sans nuage,
Que rien ne révèle un tombeau.
Quand on est pur, comme à ton âge,
Le dernier jour est le plus beau."

Et, secouant ses blanches ailes,
L'ange, à ces mots, prend son essor
Vers les demeures éternelles...
Pauvre mère !... ton fils est mort!

JEAN REBOUL.

23.

FAIS CE QUE DOIS, ADVIENNE QUE POURRA.

Charles et Henri s'étaient connus dans une campagne des environs de Paris où leurs parents passaient tous les étés.

Charles ne pouvait vivre sans Henri, et Henri ne pouvait vivre sans Charles.

Ils avaient un si grand bonheur à se trouver ensemble, que leurs devoirs faits, leurs leçons apprises, ils ne songeaient qu'à se réunir, et dans ce mutuel empressement se rencontraient presque toujours à moitié de la distance qui séparait leurs deux habitations.

C'était une amitié charmante, qui avait fini par s'étendre à leurs familles.

Le plus ordinairement, les deux jeunes garçons s'en allaient courir seuls dans un grand parc où ils pouvaient varier sans cesse leurs divertissements. Ils y passaient de la chasse aux papillons au tir à l'arbalète, de l'enlèvement d'un cerf-volant, qui, par malheur, finissait toujours par s'accrocher aux arbres, à une

partie de balle, de ballon, de cerceau ou de sautemouton.

Il leur arrivait encore de poursuivre tout à coup un lièvre, un lapin, que Stop, un chien de chasse qui les suivait toujours, faisait sortir d'un taillis. Il va sans dire que le lièvre ou le lapin n'avait pas grand'peine à leur échapper, et que les deux petits chasseurs en étaient chaque fois pour une course inutile.

"Si nous avions eu un fusil!" disaient-ils alors pour se consoler.

Le père de Charles était un médecin que sa nombreuse clientèle appelait tous les jours à Paris. Il quittait la campagne dès sept heures du matin, et n'y revenait guère que vers sept heures du soir; ce qui ne lui permettait que bien rarement d'accompagner les deux enfants dans leurs promenades.

Le père de Henri, qui n'avait nulle occupation forcée, les menait presque tous les jours faire une promenade en bateau sur la Seine.

Henri, élevé par son père, nageait comme un poisson; quant à Charles, on n'avait jamais pu réussir à lui faire faire deux brassées; la péur paralysait ses mouvements dans l'eau. Mais ce qui était singulier avec une pareille disposition, c'était son goût très-vif pour les promenades sur la rivière.

L'été et une partie de l'automne s'étaient passés ainsi, et l'on arrivait à l'époque de la rentrée des classes.

Des deux amis, un seul avait été en pension, c'était Henri; l'autre, d'une santé un peu faible, était toujours resté sous le toit paternel. Cependant, son père pensa que la vie régulière de la pension pourrait profiter, d'abord aux études de son fils, et ensuite au développement de ses forces physiques.

Charles, à qui l'on fit part de ces réflexions, demanda aussitôt à être placé dans la même pension que son ami Henri, ce qu'on lui accorda immédiatement.

La joie des deux amis fut grande à cette nouvelle, et ils ne parlèrent plus que du plaisir qu'ils auraient à ne pas se quitter.

Charles et Henri travaillaient donc ensemble, jouaient ensemble, dormaient dans la même chambre.

Personne n'eût alors deviné que cette merveilleuse entente allait bientôt cesser.

Charles, nous l'avons dit, n'avait jamais quitté la maison paternelle, où l'on était très-indulgent pour lui à cause de son état maladif. La discipline de la pension le surprit d'abord, puis elle le révolta.

Charles, qui n'osait pas se plaindre du régime de la pension dont tous ses camarades se contentaient, se mit à gémir sur les mauvais procédés dont il prétendait être l'objet, et résolut de se plaindre à sa mère. Très-intelligent, il comprit qu'on ne le retirerait pas de pension sans avoir interrogé son ami Henri.

Un soir donc qu'ils se déshabillaient tous deux pour se mettre au lit, Charles hasarda de dire :

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'Henri, ne trouves-tu pas que c'est assommant de se lever et de se coucher toujours à la même heure? D'être forcé de travailler, assis devant une table, quand on voudrait sauter et courir dans un jardin ? De ne pouvoir prononcer un mot pendant les heures d'étude sans attraper des cinq cents lignes à copier; de manger ce qu'on n'aime pas, et enfin de vivre avec une foule de petits imbéciles qui sont toujours à vous ennuyer?"

-"Que veux-tu? c'est la vie de pension."

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Moi, je veux sortir d'ici," fit Charles.

"Tu dis des bêtises... dormons! ça vaudra mieux,"

répliqua Henri, qui, cinq minutes après, dormait effectivement.

Le lendemain matin, la terrible cloche les réveilla tous deux, comme à l'ordinaire.

"Bonjour, Charles," dit gaiement Henri.

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'Bonjour, Henri," répondit froidement Charles. "Tiens! mon vieux Charlot, on dirait que tu me boudes ?"

"Oui! et cela parce que tu es un égoïste." -"Moi!" fit Henri surpris.

"Sans doute, tu te plais ici, et pour cette seule raison tu veux que j'y reste."

-"C'est afin que nous soyons toujours ensemble." -"C'est possible."

La cloche, qui sonnait la rentrée des classes, interrompit la conversation des deux camarades.

Charles, le jour même, en cachette, écrivait à sa mère la lettre suivante :

"Ma chère mère,

Je ne voulais pas d'abord te causer du chagrin, mais je suis si malheureux, je souffre tant, que je ne puis plus garder le silence, surtout avec toi qui es si bonne.

Tout a très-bien été pendant les premiers jours que j'ai passés à la pension, et je ne regrettais rien, si ce n'était d'être séparé de toi, de papa et de ma sœur. Enfin, nous causions de vous avec Henri, et cela me consolait un peu. Mais voilà qu'il s'est fait tout à coup un grand changement parmi mes camarades, et que tous se sont réunis contre moi, qui pourtant ne leur ai jamais rien fait.

Ils se sont mis à m'appeler "monsieur la pilule!" "monsieur le malade!" "monsieur l'infirme!" Henri luimême, qui m'avait d'abord défendu contre eux, est passé

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