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Ou s'attache à l'acier mobile,

Les

pas

Qui compte sur l'émail fragile
silencieux du temps.
Un pas encore, encore une heure,
Et l'année aura, sans retour,
Atteint sa dernière demeure ;
L'aiguille aura fini son tour.
Pourquoi, de mon regard avide,
La poursuivre ainsi tristement,
Quand je ne puis, d'un seul moment,
Retarder sa marche rapide ?
Du temps qui vient de s'écouler,
Si quelques jours pouvaient renaître,
Il n'en est pas un seul, peut-être,
Que ma voix daignât rappeler.
Mais des ans la fuite m'étonne;
Leurs adieux oppressent mon cœur ;
Je dis c'est encore une fleur
Que l'âge enlève à ma couronne,
Et livre au torrent destructeur;
C'est une ombre ajoutée à l'ombre
Qui déjà s'étend sur mes jours;
Un printemps retranché du nombre
De ceux dont je verrai le cours !
Écoutons!... Le timbre sonore
Lentement frémit douze fois;
Il se tait... Je l'écoute encore,
Et l'année expire à sa voix.
C'en est fait; en vain je l'appelle,
Adieu !... Salut, sa sœur nouvelle,
Salut! Quels dons chargent ta main?
Quel bien nous apporte ton aile?
Quels beaux jours dorment dans ton sein?
Que dis-je ! à mon âme tremblante
Ne révèle point tes secrets.
D'espoir, de jeunesse, d'attraits,
Aujourd'hui tu parais brillante;

F

Et ta course, insensible et lente,
Peut-être amène les regrets!
Ainsi chaque soleil se lève,
Témoin de nos vœux insensés;
Ainsi toujours son cours s'achève,
En entraînant, comme un vain rêve,
Nos vœux déçus et dispersés.
Mais l'espérance fantastique,
Répandant sa clarté magique
Dans la nuit du sombre avenir,
Nous guide, d'année en année,
Jusqu'à l'aurore fortunée
Du jour qui ne doit pas finir.

AMABLE TASTU

21.

LE CHAUDRONNIER.

Le roi d'Angleterre, Jacques II, contraint d'abandonner son royaume, vint se réfugier en France; Louis XIV lui donna un asile à Saint-Germain, où vinrent aussi se fixer quelques sujets fidèles qui l'avaient suivi. Mme. de Varonne, dont je vais vous conter l'histoire, était d'une famille irlandaise, qui avait suivi Jacques II dans l'exil: tout le temps que vécut son mari, elle jouit d'une honnête aisance; mais devenue veuve, et se trouvant sans protection, sans parents, elle n'eut pas le crédit d'obtenir de la cour une partie de la pension qui avait fait subsister son mari. Cependant, elle écrivit aux ministres, elle envoya plusieurs placets; on lui répondit "qu'on mettrait sa demande sous les yeux du roi." Deux ans se passèrent sans qu'elle vît ses espérances se réaliser. Enfin, ayant renouvelé ses sollicitations, elle reçut un refus formel; il ne lui fut

plus possible de s'aveugler sur son sort. Sa situation était déplorable; depuis deux ans, elle avait été obligée de vendre successivement, pour vivre, son argenterie et une partie de ses meubles; il ne lui restait aucune res

source.

Comme elle réfléchissait sur sa destinée, Ambroise, son domestique, entra. C'était un homme de quarante ans, qui, depuis vingt années, servait Mme. de Varonne ; ne sachant ni lire ni écrire, brusque, taciturne, grondeur, il avait toujours eu l'air de mépriser ses camarades, de bouder ses maîtres; sa mine constamment refrognée, son humeur chagrine rendaient son service peu agréable. Cependant, son exactitude, sa bonne conduite l'avaient toujours fait regarder comme un excellent sujet et un domestique précieux. On ne lui connaissait que les qualités essentielles, et pourtant, il possédait des vertus sublimes; sous un extérieur si grossier, il cachait l'âme la plus sensible et la plus élevée.

Mme. de Varonne, quelque temps après la mort de son mari, avait renvoyé les gens attachés à son service, et n'avait gardé qu'une cuisinière, une servante et Ambroise. Enfin, elle se voyait contrainte de congédier encore ces trois domestiques. Ambroise, comme je vous le disais, entra: on était en hiver; il tenait une bûche, et allait la mettre au feu, lorsque Mme. de Varonne lui dit: "Ambroise, il faut que je vous parle."

Le ton ému avec lequel Mme. de Varonne prononça ces mots frappa Ambroise; posant sa bûche sur le plancher, et regardant sa maîtresse: "Mon Dieu ! madame," dit-il, "qu'est-ce qu'il y a?" savez-vous ce que je dois à la cuisinière ? lui devez rien, madame, ni à moi, ni à Marie; vous

"Ambroise, "Vous ne

avez payé le mois hier m'en souvenais pas.

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"Ah! tant mieux: je ne Eh bien Ambroise, je vous charge de dire à la cuisinière et à Marie, que je n'ai plus besoin de leurs services... Et vous-même, mon cher Ambroise, il faut que vous cherchiez une autre condition." "Une autre condition !... Que voulezvous dire? Je veux mourir à votre service; je ne vous quitterai point, quoi qu'il arrive..." — " Ambroise, vous ne connaissez pas ma situation." "Madame, vous ne connaissez pas Ambroise... Eh bien! si l'on vous retranche de votre pension, et que vous n'ayez pas le moyen de payer vos gens, renvoyez les autres, à la bonne heure; mais moi, je n'ai pas mérité d'être chassé avec eux. Je n'ai point l'âme mercenaire, madame..." "Mais, Ambroise, je suis ruinée, entièrement ruinée. Tout ce que je possédais, je l'ai vendu, et l'on m'ôte ma pension..." "On vous ôte votre pension?... ça ne se peut pas."-"Rien n'est plus vrai cependant... Pourtant, dans mon malheur, j'éprouve une grande consolation, c'est de me sentir parfaitement résignée... Moi, du moins, je n'ai point d'enfants; je souffrirai seule c'est peu souffrir..." "Non, non," s'écria Ambroise d'une voix entrecoupée, "non, vous ne souffrirez pas. J'ai des bras, je sais travailler."

En achevant ces mots, Ambroise, tout en larmes, sortit précipitamment, sans attendre de réponse.

Au bout de quelques minutes, Ambroise revint; il tenait un petit sac de peau, et le posant sur la cheminée: "Grâce à Dieu," dit-il, "grâce à vous, madame, et à défunt monsieur, il y a là-dedans trente louis. Cet argent vient de vous, il vous appartient..." "Ambroise! le fruit de vos épargnes durant vingt ans !..... je ne puis accepter..."-"Quand vous aviez de l'argent,

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vous m'en donniez.

Quand vous n'en avez plus, je vous le rends. L'argent n'est bon qu'à cela. Je sais bien que cette petite somme ne peut pas tirer madame d'embarras; mais voici comme je compte m'arranger. Il faut que madame se souvienne que je suis le fils d'un chaudronnier, et que je n'ai pas oublié mon premier métier; car, dans mes moments perdus, et quelquefois, quand madame me permettait de sortir, j'allais chez Nicault, un de mes pays, qui est chaudronnier, et je travaillais chez lui pour me distraire. Eh bien! à présent, je travaillerai sérieusement, et avec quel courage! Dès demain je me mets à l'ouvrage. Nicault, qui est un brave homme, ne m'en laissera pas manquer."

Mme. de Varonne, ne trouvant pas d'expression pour témoigner son admiration, levait les yeux au ciel, et ne répondait que par des pleurs.

Le lendemain, la cuisinière et la servante furent congédiées. Ambroise loua dans Saint-Germain une petite chambre bien propre, bien claire, à un troisième étage, la meubla du peu de meubles qui restaient à sa maîtresse, et y conduisit Mme. de Varonne. Elle y trouva un bon lit, un grand fauteuil bien commode, une petite table avec une écritoire et du papier, au-dessus de laquelle ses livres étaient rangés sur cinq ou six planches; une grande armoire qui contenait son linge, ses robes, et une provision de fil pour travailler; un couvert d'argent (car Ambroise ne voulait pas qu'elle mangeât dans de l'étain), et la bourse de peau qui contenait les trente louis. Dans un coin de la chambre, derrière un rideau, était cachée la petite vaisselle de terre, qui devait servir à la cuisine de Mme. de Varonne. Voilà," dit Ambroise, "tout ce que j'ai pu trouver de mieux pour le prix que madame voulait mettre à son

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