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toile de coton, afin qu'elle ait un habit neuf pour la noce de sa fille. Bonsoir, ma chère maman; ma santé se fortifie tous les jours. Mme. Steinhausse a mille bontés pour moi, et je me trouverais tout à fait heureuse, si je n'étais pas privée du bonheur de voir ma chère maman; du moins son portrait ne quitte pas mon bras; chaque jour je le baise en lui disant bonjour et bonsoir. Adieu, ma chère et tendre maman: votre enfant vous embrasse de tout son cœur.

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Le surlendemain, Delphine reçut de sa mère une réponse charmante, et au lieu d'une pension de cinquante écus pour la bonne femme, Mme. Mélite envoyait un contrat de trois cents livres, sans oublier l'habit neuf pour le jour du mariage. Delphine transportée de joie, porta sur-le-champ son présent à la vieille paysanne, que ce bienfait rendit parfaitement heureuse.

Delphine, au mois de juillet, trouva la campagne bien plus belle qu'auparavant; elle faisait de longues promenades dans les champs, quelquefois le soir, au clair de la lune, avec Mme. Steinhausse et Henriette. D'ailleurs, ayant pris le goût de l'occupation, elle n'éprouvait pas un seul instant d'ennui; tantôt elle lisait ou se mettait à écrire, tantôt elle travaillait, et apprenait d'Henriette à dessiner des fleurs, à dessécher des plantes, dont elle se faisait dire les noms et les propriétés; elle employait en bonnes actions l'argent que Mme. Mélite lui envoyait tous les mois pour ses menus plaisirs. Aimée de tous, satisfaite d'elle-même, elle se sentait chaque jour plus heureuse; on ne remarquait plus sur son visage cette langueur, cet air

d'abattement qui en avaient altéré les charmes pendant si longtemps; ses yeux étaient animés, brillants; elle avait toute la fraîcheur de la jeunesse. Sachant également bien marcher, courir et sauter, elle avait acquis, en quatre mois, plus de grâce, de légèreté, que tous les maîtres de danse de Paris n'auraient pu lui en donner.

Au commencement du mois d'août, le docteur lui déclara qu'elle pouvait quitter son étable, et au même instant on la conduisit dans une jolie petite chambre préparée exprès pour elle. Delphine sentit une joie bien vive en se voyant établie dans un appartement agréable et commode; sa fenêtre donnait sur la vallée; la beauté de la vue, la propreté du plancher et des meubles l'enchantaient.

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Delphine resta encore deux mois chez le docteur; elle acheva d'y perfectionner son caractère, d'y fortifier sa santé. Enfin, vers le commencement du mois d'octobre, elle jouit du bonheur de revoir sa mère. Mme. Mélite la pressa dans ses bras avec transport, elle pouvait à peine la reconnaître. Delphine était prodigieusement grandie; en même temps elle avait pris de l'embonpoint et les couleurs les plus vives. Mme. Mélite, au comble de ses vœux, la regardait, la serrait contre son sein, l'embrassait, voulait parler, et ne pouvait exprimer l'excès de sa joie que par des pleurs. Mme. Steinhausse, témoin de son bonheur, jouit en silence d'un si doux spectacle.-"Vous me l'avez donnée mourante," dit-elle enfin; "je vous la rends, madame, dans toute la force de la santé ; et ce qui vaut mieux encore, je vous la rends bonne, douce, égale, sensible, raisonnable, enfin digne de faire votre bonheur. Cependant elle est si jeune, si peu formée, qu'à moins

de certains ménagements on pourrait craindre encore pour elle des rechutes; si vous voulez les prévenir, voici le régime qu'elle doit suivre; il n'est pas rigoureux, mais nécessaire."-" Elle le suivra," interrompit Mme. Mélite; "donnez, madame."

Et prenant le papier que lui présentait Mme. Steinhausse, elle le lut tout haut:

ORDONNANCE DU DOCTEUR STEINHAUSSE.

"Mlle. Delphine passera six mois de l'année à la campagne; à Paris, elle ira très-rarement aux spectacles, se donnera beaucoup d'exercice à pied, même en hiver; elle ne mangera jamais que du pain à son déjeûner et à son goûter, excepté dans le temps des fruits; elle ne portera que des habits simples, les seuls qui soient commodes et légers.

Pour la préserver de l'ennui, on lui donnera des livres instructifs et amusants, et l'on ne souffrira pas qu'elle soit un moment oisive: si elle se laissait aller par hasard à la tristesse, il faudrait lui rappeler le bien qu'elle a fait à la grand'mère d'Agathe. En suivant cette méthode et ce régime, Mlle. Delphine conservera sa santé, sa gaieté, et le bonheur dont elle jouit."

Mme. Mélite approuva fort ce régime; elle promit de le suivre exactement, et témoigna à Mme. Steinhausse la plus vive reconnaissance; l'année d'ensuite, elle acheta une maison dans la vallée de Montmorency, dans le voisinage de celle de Mme. Steinhausse. Delphine conserva toute sa vie pour cette dernière l'attachement qu'elle lui devait, et pour l'aimable Henriette la plus tendre amitié.

DE GENLIS.

19.

TOUT CE QUI BRILLE N'EST PAS OR.

Sur la rive gauche de la Seine, au premier étage d'un ancien hôtel du quai Voltaire, il y avait une fort belle rangée de hautes fenêtres s'ouvrant sur un large balcon où trente personnes auraient pu se mettre en parade. Ces fenêtres éclairaient un riche appartement occupé par M. et Mme. Delacroix, leur fils Octave (un enfant de huit ans), et enfin un admirable chien danois de la petite espèce auquel on avait donné le nom poétique de Roméo.

Octave et Roméo étaient inséparables, et ils formaient un ensemble ravissant.

La nature les eût faits à dessein l'un pour l'autre qu'elle n'aurait pu les appareiller davantage.

Octave avait le teint rose et blanc d'une petite fille, les yeux bleu-foncé, les cheveux cendrés, les sourcils et les cils bruns, et pour compléter tout cela, une grâce et une désinvolture parfaites.

Roméo, de son côté, possédait toutes les qualités qui distinguent sa race: la poitrine large, les flancs étroits, une tête adorablement fine, se terminant par le plus joli petit museau qu'on pût voir. Et des dents si blanches, des gencives si roses, si fraîches qu'on eût volontiers mordu avec lui au même morceau de pain. Quant à ses jambes, elles étaient si nerveuses, si déliées, qu'à la course aucun animal n'aurait pu le gagner de vitesse.

Notez encore que sa robe blanche, mouchetée de noir, brillait comme de la soie, et qu'il portait au cou un magnifique collier d'or, doublé d'une bande de velours

nacarat plus large que le collier: ce qui tranchait admirablement sur la blancheur de son poil.

Quand le temps était beau, l'enfant et le chien jouaient ensemble sur le balcon, au grand ravissement des promeneurs du quai qui, le plus souvent, s'écriaient: "Le bel enfant et le beau chien !!! "

Si Roméo était insensible à ces éloges, ils causaient un extrême plaisir à Octave dont la vanité égalait la gentillesse; aussi ne faisait-il pas la plus petite promenade sans emmener Roméo au bout d'un large ruban de soie rose, ne le laissant sous aucun prétexte tenir par le domestique qui les accompagnait toujours dans leur sortie.

Son chien était sa gloire et son orgueil, absolument comme s'il eût été cause de la beauté de l'animal.

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Son père se promenait un jour sur le quai de Billy, lorsqu'un énorme chien se mit à le suivre. Il n'aperçut pas d'abord ce compagnon; mais l'animal, qui voulait être remarqué, finit par marcher si près de lui qu'il attira tout à coup son attention. M. Delacroix fit involontairement un bond de côté, tellement cette apparition était effrayante au premier abord. Qu'on s'imagine un gros chien des montagnes, le poil noir, long et emmêlé, la gueule béante, et dont la tête et le corps saignaient par une douzaine de blessures.

Le second mouvement de M. Delacroix fut de brandir sa canne pour l'éloigner; mais le chien le regarda d'un air si suppliant qu'il avait quelque chose d'humain. M. Delacroix laissa retomber sa canne.

Le chien s'approcha alors en rampant, sans cesser de le regarder dans les yeux, et vint lui lécher la main. M. Delacroix le caressa à son tour en lui disant :

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