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On dit que leurs humbles louanges
A son oreille montent mieux;
Que les anges peuplent les cieux,
Et que nous ressemblons aux anges!
Ah! puisqu'il entend de si loin
Les vœux que notre bouche adresse,
Je veux lui demander sans cesse
Ce dont les autres ont besoin.

Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux,

Et la laine aux petits agneaux,
Et l'ombre et la rosée aux plaines !

Donne au malade la santé,

Au mendiant le pain qu'il pleure,
A l'orphelin une demeure,
Au prisonnier la liberté !

Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur;
Donne à moi sagesse et bonheur,
Pour que ma mère soit heureuse!

Mets dans mon âme la justice,
Sur mes lèvres la vérité,
Qu'avec crainte et docilité

Ta parole en mon cœur mûrisse!

LAMARTINE.

"Moi aussi, mes

15.

LA PEUR.

enfants, moi aussi j'ai été jeune et même toute petite. Je n'ai pas toujours eu les cheveux blancs, la figure ridée et ma robe noire. Cela vous fait

rire, Georges et Mignonne ! Il est pourtant bien vrai que j'ai eu de jolis cheveux blonds comme les vôtres, et certainement vous ne m'auriez pas attrappée à la course."

L'idée que leur grand'mère, qui ne quittait plus guère son fauteuil, avait pu courir, fit sourire la folâtre assistance.

"Et comme vous tous, je n'étais pas toujours sage, et surtout j'étais peureuse à l'excès."

fois.

"Comme Mignonne," crièrent les enfants tous à la

"J'avais une mère adorable, si tendre, si bonne, que je l'aimais extrêmement. Si je me trouvais éloignée d'elle pour quelques instants, je devenais toute triste. Aussitôt qu'elle montait à sa chambre, je lui approchais un fauteuil et je lui mettais un carreau bien moelleux sous les pieds. Était-elle fatiguée de sa promenade, j'ôtais ses souliers et les remplaçais par des pantoufles; quand elle avait la migraine, je fermais les rideaux afin qu'elle reposât dans l'obscurité, et je respirais bien doucement pour que rien ne vînt troubler son repos. C'est qu'elle était si bonne, maman! elle me donnait tout ce qui pouvait me faire plaisir, et quand je faisais quelque faute, elle m'en reprenait tout doucement et s'en montrait plus triste que moi. J'avais un grand chagrin quand elle sortait sans moi, ce qui la retenait souvent à la maison. Papa grondait bien un peu il disait que ma mère ne devait pas se priver de ses plaisirs pour moi, et il avait raison. Cela me donnait parfois le courage de cacher mon chagrin; mais je n'y réussissais pas toujours, car j'avais une peur extrême de rester seule."

-"De quoi pouviez-vous avoir peur dans la maison de votre père ?" dit Oscar.

"J'aurais été bien embarrassée de le dire. Quand j'étais seule, le moindre bruit m'effrayait, et le silence me semblait plus effrayant encore: c'était une véritable maladie. J'avais peur des chevaux, des chiens, des souris, des mouches, de tout enfin ! Mais ce qué, je redoutais le plus au monde, c'était l'obscurité; et mon père défendait qu'on laissât de la lumière dans ma chambre quand j'étais au lit. Ma bonne, en me couchant, me racontait de sottes histoires qui redoublaient ma peur. Et ce qu'il y a de particulier, c'est que plus elles étaient effrayantes, et plus j'aimais à les lui entendre dire."

-"Mais votre mère lui permettait donc de vous effrayer!" dit Alice.

-"Non, en vérité, ma mère ignorait tout cela, et j'avais le tort de ne pas le lui dire; elle eût renvoyé Manette qui était bonne et attentive pour moi. C'était là une grande faute, mes enfants! quand on aime bien sa mère, il ne faut lui cacher rien de ce que l'on a dans l'esprit ; et j'étais punie de cette faute-là par le redoublement de la peur qui me faisait tant souffrir.

On soupait dans ce temps-là. Mon père, espérant me guérir de ces vaines frayeurs, exigeait qu'on me laissât seule dans ma chambre aussitôt que j'étais couchée, une heure avant que mes parents ne se missent à table.

Si je m'endormais immédiatement, peu m'importait qu'il restât quelqu'un auprès de moi; mais quand Manette m'avait dit un de ces contes effrayants que j'aimais tant, le sommeil ne venait pas, ou bien je m'éveillais en sursaut, me croyant environnée de figures étranges. Alors la peur me saisissait au point de me

faire descendre du lit, et j'allais en robe de nuit jusque dans la cour. Je me blottissais auprès de la fenêtre de la salle à manger dont on ne fermait jamais les volets. De cette place, je voyais papa et maman, je les entendais parler, et j'étais rassurée. Quand ils faisaient mine de sortir de table, je remontais bien vite me tapir dans mon petit lit où j'avais beaucoup de peine à me réchauffer. Aussi j'étais. perpétuellement enrhumée, ce qui affligeait beaucoup ma mère qui n'y comprenait rien; car elle me soignait avec une grande sollicitude et me vêtait chaudement.

Un jour que Manette m'avait parlé d'animaux fabuleux qui vomissaient des flammes et mangeaient les petits enfants, je rêvais à toutes ces affreuses choses quand je fus éveillée tout à coup par un bruit qui se faisait dans mes rideaux. Je me pelotonnai dans un coin de mon lit et j'attendis en tremblant que le bruit se renouvelât. Mon cœur battait si fort qu'il faisait autant de bruit que la grosse horloge de la cuisine. Au bout d'un quart d'heure qui me parut long comme une journée, quelque chose sauta tout auprès de moi et une main velue passa sur ma figure. Je crus que j'allais mourir. Je voulus crier et je n'avais plus de voix. Un instant après, le verre qui était sur ma table de nuit tomba et se cassa. Retrouvant alors toutes mes forces, je gagnai l'escalier que j'eus bientôt descendu.

La neige tombait à gros flocons et couvrait le pavé de la cour d'un beau tapis blanc. Je me glissai nu-pieds tout le long de la muraille, et je parvins à la fenêtre de la salle à manger. La vue de mes parents me rassura complétement. Justement ma mère parlant de moi, disait:

D

"Je suis sûre que cette pauvre Lucile a bien peur, là-haut, par le vent qu'il fait !"

-"Bah!" répondait mon père, "tu gâtes cette enfant. Depuis que j'exige qu'elle reste seule et sans lumière dans sa chambre, elle en a fort bien pris son parti, et elle n'en est pas morte."

En disant ces mots, il tourna par hasard les yeux vers la fenêtre et vit ma petite figure collée au vitrage. Il se leva vivement et courut à la porte du vestibule.

Craignant d'être grondée bien fort pour ma désobéissance, je me mis à genoux en joignant les mains. Je ne sentais plus le froid de la neige où mes jambes étaient toutes cachées, tant j'avais de chagrin d'avoir mécontenté mon bon père que j'aimais beaucoup. Mais au lieu de me gronder il me dit en souriant:

-"Que fais-tu donc là, petite ? Pourquoi n'entres-tu pas dans la salle ?”

Ces douces paroles, auxquelles j'étais loin de m'attendre, me firent un bien infini. Je pleurai, tant je me sentais heureuse! Ma mère m'enveloppa de sa pelisse et me prit sur ses genoux. Elle pleurait aussi en silence. On me fit prendre un peu de vin chaud sucré, puis papa me questionna; et je finis par avouer que toutes les fois que je ne dormais pas, je descendais ainsi les voir souper. Ma mère'regarda son mari et ses larmes redoublèrent.

-"Ma petite mère mignonne, lui dis-je en l'embrassant tendrement, ne pleurez plus ! Je resterai là-haut puisque cela vous plaît, et j'attendrai que les vilaines figures viennent m'emporter; et le lendemain au matin, quand vous ne trouverez plus votre petite fille, vous direz qu'elle a mieux aimé mourir que de vous faire de la peine."

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