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sentiment de ma brutalité et de la peine que je lui avais faite, me revint si fort, que les larmes piquèrent mes yeux ; je m'assis tout près de son lit, et la dormeuse, de sa petite main potelée, m'emprisonna le doigt.

"Petit père," me dit-elle en s'endormant, "tu m'aimes bien bien sûr dis!" Et elle coucha sa

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jolie petite tête sur ma main.

Au moment où ma chérie allait partir pour le pays

des rêves:

"Jeanne," lui demandai-je tout bas, "tu

n'as plus ton gros chagrin, n'est-ce pas !"

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Puis elle me sourit en fermant les yeux.

Je restai un instant auprès du lit; tout en dormant, l'enfant entr'ouvrit ses lèvres, et au milieu de sons inarticulés, je crus entendre:

66 Si,

papa aime encore bébé."

Je ne saurais dire comment, ces temps derniers, ce souvenir revint me visiter.

Bien des jours, bien des années se sont écoulées : Jeanne est devenue grande fille, et nous nous aimons maintenant presque comme deux amis.

Son petit bouquet de fête est fané depuis longtemps, et le souvenir des premières larmes que je lui ai fait verser est toujours vivant en moi.

Le bébé a perdu son zézaiement, mais a gardé, ję pense, tout cet amour enfantin qu'il nous donnait autrefois. Jeanne a dix-sept ans, et va nous quitter.

C'était hier, et, en causant encore, je me plaisais à la ramener à son jeune âge; elle redevenait bébé, la chère enfant, sachant que j'en avais plaisir, et je retrouvais tout ce bon temps lointain, et elle, le souvenir de ses joies et de ses bonheurs passés.

"Papa," me dit-elle, en venant encore sur mes

genoux comme autrefois, "te rappelles-tu mon gros

chagrin, dis?"

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"Ma fille chérie ! murmurai-je en la baisant au front, et sans répondre autrement.

"Celui que je vais te faire est bien autrement gros, pauvre père !" Et elle me donna un bon baiser à pincettes, comme au temps où elle avait quatre ans. Ce fut alors moi qui pleurai.

On sonna. C'était lui!

La mignonne m'essuya les yeux et alla attendre à la porte. Les souvenirs lui partirent du cœur, chassés par le nouveau venu qui idéalisait l'avenir.

Bébé sourit aujourd'hui, et c'est le père qui pleure. Il est si loin pour elle, le gros chagrin!

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On dit que c'est toi qui fais naître
Les petits oiseaux, dans les champs,
Et qui donne aux petits enfants
Une âme aussi pour te connaître !

On dit que c'est toi qui produis
Les fleurs dont le jardin se pare,
Et que, sans toi, toujours avare,
Le verger n'aurait point de fruits.

Aux dons que ta bonté mesure
Tout l'univers est convié;
Nul insecte n'est oublié
A ce festin de la nature.

L'agneau broute le serpolet,
La chèvre s'attache au cytise,
La mouche au bord du vase puise
Les blanches gouttes de mon lait!

L'alouette a la graine amère
Que laisse envoler le glaneur,
Le passereau suit le vanneur,
Et l'enfant s'attache à sa mère.

Et pour obtenir chaque don
Que chaque jour tu fais éclore,
A midi, le soir, à l'aurore,
Que faut-il ? prononcer ton nom!

O Dieu! ma bouche balbutie
Ce nom des anges redouté.
Un enfant même est écouté
Dans le chœur qui te glorifie!

On dit qu'il aime à recevoir
Les vœux présentés par l'enfance,
A cause de cette innocence

Que nous avons sans le savoir.

On dit que leurs humbles louanges
A son oreille montent mieux ;
Que les anges peuplent les cieux,
Et que nous ressemblons aux anges!
Ah! puisqu'il entend de si loin
Les vœux que notre bouche adresse,
Je veux lui demander sans cesse
Ce dont les autres ont besoin.

Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux,

Et la laine aux petits agneaux,
Et l'ombre et la rosée aux plaines !

Donne au malade la santé,

Au mendiant le pain qu'il pleure,
A l'orphelin une demeure,
Au prisonnier la liberté !

Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur;
Donne à moi sagesse et bonheur,
Pour que ma mère soit heureuse!

Mets dans mon âme la justice,
Sur mes lèvres la vérité,
Qu'avec crainte et docilité

Ta parole en mon cœur mûrisse!

LAMARTINE.

"Moi aussi, mes

15.

LA PEUR.

enfants, moi aussi j'ai été jeune et même toute petite. Je n'ai pas toujours eu les cheveux blancs, la figure ridée et ma robe noire. Cela vous fait

rire, Georges et Mignonne! Il est pourtant bien vrai que j'ai eu de jolis cheveux blonds comme les vôtres, et certainement vous ne m'auriez pas attrappée à la course.'

L'idée que leur grand'mère, qui ne quittait plus guère son fauteuil, avait pu courir, fit sourire la folâtre assistance.

"Et comme vous tous, je n'étais pas toujours sage, et surtout j'étais peureuse à l'excès."

-" Comme Mignonne," crièrent les enfants tous à la fois.

"J'avais une mère adorable, si tendre, si bonne, que je l'aimais extrêmement. Si je me trouvais éloignée d'elle pour quelques instants, je devenais toute triste. Aussitôt qu'elle montait à sa chambre, je lui approchais un fauteuil et je lui mettais un carreau bien moelleux sous les pieds. Était-elle fatiguée de sa promenade, j'ôtais ses souliers et les remplaçais par des pantoufles; quand elle avait la migraine, je fermais les rideaux afin qu'elle reposât dans l'obscurité, et je respirais bien doucement pour que rien ne vînt troubler son repos. C'est qu'elle était si bonne, maman! elle me donnait tout ce qui pouvait me faire plaisir, et quand je faisais quelque faute, elle m'en reprenait tout doucement et s'en montrait plus triste que moi. J'avais un grand chagrin quand elle sortait sans moi, ce qui la retenait souvent à la maison. Papa grondait bien un peu il disait que ma mère ne devait pas se priver de ses plaisirs pour moi, et il avait raison. Cela me donnait parfois le courage de cacher mon chagrin; mais je n'y réussissais pas toujours, car j'avais une peur extrême de rester seule."

:

-"De quoi pouviez-vous avoir peur dans la maison de votre père ?" dit Oscar.

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