Christophe est le fils d'une veuve qui occupe une petite ferme, bon garçon, mais un peu simple. Les gens de son village l'appellent par dérision: Christophe le malin. Un jour sa mère l'envoie à la foire acheter une faux. En s'en revenant, il se met à faire tournoyer cette faux si maladroitement qu'elle lui échappe des mains, tombe sur un agneau et le tue. C "Sot garçon que tu es," lui dit sa mère; pour éviter tout accident, il fallait mettre cette faux dans une des voitures de paille ou de foin que nos voisins ramènent au village." -"Pardonnez-moi," répond humblement Christophe; "une autre fois, je serai mieux avisé." La semaine suivante, elle l'envoie acheter des aiguilles, en lui recommandant bien de ne pas les perdre. "Soyez tranquille," s'écrie-t-il avec confiance. Il va et revient tout triomphant. "Eh bien! Christophe, où sont mes aiguilles?" -"Ah! elles sont en sûreté. En sortant de la boutique où je les avais achetées, j'aperçois la voiture de notre voisin Doyle chargée de foin. J'ai mis là les aiguilles, elles sont en sûreté." -"Oui, en sûreté," dit la mère, "si bien en sûreté qu'il n'y a plus moyen de les retrouver; tu aurais dû les piquer dans ton chapeau." -"Pardonnez-moi," répond Christophe, "une autre fois je serai mieux avisé." La semaine suivante, par une chaude journée, Christophe va chercher à une lieue de distance une petite provision de beurre. Se souvenant du dernier conseil de sa mère, il pose ce beurre dans son chapeau, et le chapeau sur sa tête. On peut se figurer dans quel état il rentre au logis, le beurre fondu par la chaleur et coulant sur ses joues. Sa mère découragée n'osait plus lui confier la moindre commission. Cependant un jour elle se détermine à l'envoyer encore au marché pour y vendre une paire de poulets: "Ecoute," lui dit-elle, "n'accepte pas le premier prix qu'on t'offrira. Attends le second. "Très-bien," répond Christophe. Le voilà sur le marché. Un chaland s'approche: "Voulez-vous trois francs de vos poulets?" "Merci, ma mère m'a dit de ne pas accepter le premier prix qu'on m'offrirait, mais d'attendre le second." -"Elle a grandement raison, votre mère. Eh bien ! voici mon second prix: deux francs." "Soit. Il me semble que j'aurais mieux fait d'accepter votre première proposition. Mais puisque je suis le conseil de ma mère, elle ne peut me blâmer." Après cette nouvelle équipée, Christophe fut condamné à rester au logis. Sa mère savait qu'on se moquait d'elle et de lui. Un matin pourtant, elle veut encore faire un essai, et elle lui dit : 66 Va vendre cette brebis au marché. Mais ne te laisse pas encore tromper, ne la livre qu'au plus haut prix." -"Bien," répond Christophe, "cette fois je connais mon affaire." "Combien ce mouton ? lui demande un boucher. -"Ma mère m'a dit de ne le céder que pour le plus haut prix." -"Vingt francs ?" "Est-ce le plus haut prix ?" -" A peu près." "A moi la laine et la bête," dit un garçon en grimpant sur une échelle. -"Combien ?" "Cinq francs." -"C'est bien loin de vingt," réplique timidement Christophe. "Oui, mais voyez jusqu'où monte cette échelle. Dans tout le marché, il n'y a pas un prix plus haut que le mien." -"Vous avez raison. La brebis est à vous.' Dès ce jour le bon Christophe ne fut plus envoyé nulle part, ni pour vendre ni pour acheter. X. MARMIER, 11. CONSEILS AUX PETITS GARÇONS. Avant tout, rends hommage au Créateur suprême ; Chaque jour, sans manquer, exerce ta mémoire. Garde-toi de mentir: cette habitude est vile; Si tu commets le mal, seulement en idée, Un enfant ne doit pas usurper la parole: FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU. 12. CONSEILS AUX PETITES FILLES. Lorsque dans un miroir tu trouves ta figure, Si la nature ingrate, en formant ton visage, Joindre un air de douceur avec un ton modeste, Du bien que l'on t'a fait conserve la mémoire ; Mais du bien que tu fais ne tire point de gloire; Dieu sait ce qu'il te faut beaucoup mieux que toi-même; Si tu te souviens bien que ce juge suprême Doit couronner le juste et punir le méchant. FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU. 13. UN GROS CHAGRIN. Il est de fait qu'en recueillant tous mes souvenirs, je dois avouer que j'étais excessivement préoccupé. Un manuscrit que j'avais confié... |